Dom Juan

Molière

Acte V, scène 2

La tirade sur l'hypocrisie : De "Il n'y a plus de honte..." à "...siècle"




Plan de la fiche sur la scène 2 de l'Acte V - Dom Juan de Molière :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

- situer l'auteur, Molière, et l'œuvre : Dom Juan
- Lorsque Molière écrit Dom Juan, il vient d'essuyer une première interdiction de Tartuffe en 1664. La cabale menée par les dévots a influencé le dramaturge. Cette tirade permet donc en même temps à Dom Juan de mettre en évidence son système de valeur fondé sur l'hypocrisie et à Molière, à travers cet éloge paradoxal, de lui donner une portée polémique.


Lecture du texte


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Projet collectif - source : litteratureaudio.com


DOM JUAN, à Sganarelle

Il n’y a plus de honte maintenant à cela : l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure et chacun a la liberté de les attaquer hautement, mais l’hypocrisie est un vice privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit en repos d’une impunité souveraine. On lie, à force de grimaces, une société étroite avec tous les gens du parti. Qui en choque un, se les jette tous sur les bras ; et ceux que l’on sait même agir de bonne foi là-dessus, et que chacun connaît pour être véritablement touchés, ceux là, dis-je, sont toujours les dupes des autres ; ils donnent hautement dans le panneau des grimaciers, et appuient aveuglément les singes de leurs actions. Combien crois-tu que j’en connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion, et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux roulements d’yeux rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire. C’est sous cet abri favorable que je veux me sauver, et mettre en sûreté mes affaires. Je ne quitterai point mes douces habitudes ; mais j’aurai soin de me cacher et me divertirai à petit bruit. Que si je viens à être découvert, je verrai, sans me remuer, prendre mes intérêts à toute la cabale, et je serai défendu par elle envers et contre tous. Enfin c’est là le vrai moyen de faire impunément tout ce que je voudrai. Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zélés indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée. C’est ainsi qu’il faut profiter des faiblesses des hommes, et qu’un sage esprit s’accommode aux vices de son siècle.

Extrait de la scène 2 de l'acte V de Dom Juan - Molière



Annonce des axes

I. L'art de la rhétorique de Dom Juan
1. Recours à la tirade
2. Une parole efficace
3. Une démonstration

II. Un éloge paradoxal
1. Éloge de l'hypocrisie (du vice)
2. Exhibition du cynisme
3. Métalangage théâtrale

III. La portée polémique de la tirade
1. Critique de l'hypocrisie
2. Critique des faux dévots
3. Critique sociale



Commentaire littéraire

I. L'art de la rhétorique de Dom Juan

1. Recours à la tirade

Permet à Dom Juan de dévoiler son argumentation et de révéler ses véritables sentiments envers la religion et l'hypocrisie.

2. Une parole efficace

Emploi du pronom indéfini " on ", pluriel " ils ", métaphores, personnifications et évocations concrètes " ferme la bouche ", " un bouclier "… contribuent à l'efficacité de sa parole
=> convaincre S et le spectateur de la justesse de ses idées, de son attitude

3. Une démonstration

Emploi de connecteurs logiques => structurent la tirade :
=> Accentuer la portée de la démonstration.


II. Un éloge paradoxal

1. Éloge de l'hypocrisie (du vice)

Mise en relief :
- par l'usage de tournures impersonnelles qui simule un discours moral " c'est ainsi qu'il faut profiter… "
- par ton appréciatif : hyperboles " meilleurs " " merveilleux "
subjonctif " qu'on puisse "

2. Exhibition du cynisme

(expressions d'opinions, de sentiments destinés à provoquer)

-> Hypocrisie (profondément subversif -> Tartuffe) donne vertu (cf. éloge tabac)

3. Métalangage théâtrale

Le théâtre pour montrer la comédie humaine
-> Champ lexical du théâtre : " le pers "…
-> Sens original du mot hypocrite
" la profession " " un art " " imposture " " grimaces " " grimaciers " " stratagèmes " " sous cet habit "


III. La portée polémique de la tirade

1. Critique de l'hypocrisie

- Longue critique de son pouvoir social (1ère partie tirade) et de son immoralité (2ème partie)
- Diptyque avec la scène 1 de l'acte V : l'effet précède la cause -> Dom Juan fait fonctionner les signes dévots avant d'en faire l'analyse (a joué au sens propre la comédie et en a montré l'efficacité)
=> Véritable pamphlet

2. Critique des faux dévots

Allusion à la censure explicite (-> prolonge la polémique), et à la cabale contre Tartuffe

3. Critique sociale

Image cinglante de la société du XVIIème où " tous les vices à la mode passent pour vertu "
Plaidoyer pour les attitudes éloignées de toute fausseté avilissante et pour son idéal d'authenticité ici évoqué en creux.





Conclusion

    Ce choix dramaturgique exprime la volonté de Molière de condamner la fausse dévotion, son désir de refonder la soc sur la sincérité et la vertu. En effet, dans un monde où l'on ne peut plus rattacher le signe à une vérité du divin, seule l'éthique humaine peut garantir le bon usage des signes sociaux. C'est là précisément ce que pervertit le " faux dévot " : il sape le fondement social (l'honnêteté) en prêtant aux hommes les faux signes d'une relation avec le divin.

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Merci à Victor pour cette analyse sur la scène 2 de l'Acte V de Dom Juan de Molière