Bel-Ami

Guy de Maupassant

Partie 1, chapitre 8 (extrait)

De "Mais Georges, que l'ombre..." à "...plus regarder le cadavre."





Plan de la fiche sur Bel-Ami - Première partie, chapitre 8 - de Maupassant :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Dans cet extrait du chapitre 8 de la première partie de Bel-Ami, Forestier, malade, part à Cannes pour essayer de se soigner. Faisant jouer leur pacte d’amitié, Madeleine demande à Bel-Ami de les rejoindre afin de puiser auprès de lui un peu de réconfort. Mais, peu après l’arrivée de Duroy, Forestier s’éteint. L’action de l’extrait suivant se déroule pendant la veillée funèbre : Madeleine et Duroy sont seuls face au mort, et les pensées du journaliste vagabondent.

    Nous analyserons donc la méditation sur la mort à laquelle se livre Bel-Ami puis nous verrons en quoi le cadavre joue un rôle de révélateur sur lui.


Lecture du texte

    Mais Georges, que l'ombre inquiétait auprès de ce cadavre, le contemplait obstinément. Son œil et son esprit attirés, fascinés, par ce visage décharné que la lumière vacillante faisait paraître encore plus creux, restaient fixes sur lui. C'était là son ami, Charles Forestier, qui lui parlait hier encore ! Quelle chose étrange et épouvantable que cette fin complète d'un être ! Oh ! il se les rappelait maintenant les paroles de Norbert de Varenne hanté par la peur de la mort. -- " Jamais un être ne revient. " Il en naîtrait des millions et des milliards, à peu près pareils, avec des yeux, un nez, une bouche, un crâne, et dedans une pensée, sans que jamais celui-ci reparût, qui était couché dans ce lit.

    Pendant quelques années il avait vécu, mangé, ri, aimé, espéré, comme tout le monde. Et c'était fini, pour lui, fini pour toujours. Une vie ! quelques jours, et puis plus rien ! On naît, on grandit, on est heureux, on attend, puis on meurt. Adieu ! homme ou femme, tu ne reviendras point sur la terre ! Et pourtant chacun porte en soi le désir fiévreux et irréalisable de l'éternité, chacun est une sorte d'univers dans l'univers, et chacun s'anéantit bientôt complètement dans le fumier des germes nouveaux. Les plantes, les bêtes, les hommes, les étoiles, les mondes, tout s'anime, puis meurt pour se transformer. Et jamais un être ne revient, insecte, homme ou planète !

    Une terreur confuse, immense, écrasante, pesait sur l'âme de Duroy, la terreur de ce néant illimité, inévitable, détruisant indéfiniment toutes les existences si rapides et si misérables. Il courbait déjà le front sous sa menace. Il pensait aux mouches qui vivent quelques heures, aux bêtes qui vivent quelques jours, aux hommes qui vivent quelques ans, aux terres qui vivent quelques siècles. Quelle différence donc entre les uns et les autres ? Quelques aurores de plus, voilà tout.     Il détourna les yeux pour ne plus regarder le cadavre.

Extrait du chapitre 8 de la partie 1 - Bel-Ami - Maupassant




Annonce des axes

I. Une méditation sur la mort
II. La mort révélatrice



Commentaire littéraire

I. Une méditation sur la mort

    Face au cadavre de son ami, Duroy le matérialiste se laisse aller à une réflexion sur la mort. Tout commence par la contemplation obstinée du corps, donc par les détails physiologiques de la mort, par ce qu’elle a de tangible : "visage décharné" que la lumière rend encore plus "creux". A partir de cette constatation, c’est le souvenir des paroles de Norbert de Varenne, mondain vieillissant, qui l’entraîne sur le terrain glissant de la méditation.

    Nous remarquons alors que ses pensées se résument à deux éléments : jamais un être ne revient, et le caractère éphémère de la vie. Toutes les énumérations auxquelles il se livre, redondantes, dans un phénomène de gradation croissante - par exemple "on naît, on grandit, on est heureux, on attend et puis on meurt" - sont à l’image de son angoisse. Il n’existe nulle solution face à la mort, et elle est d’autant plus terrible et inéluctable chez lui qu’elle est exempte de caractère mystique ou religieux. Elle est ce "néant illimité" que rien ne peut arrêter, elle est totale, universelle. De fait, nous assistons à un mouvement d’ouverture au fil du passage : nous passons du cadavre particulier de Forestier, à un " on " générique, puis aux "plantes", "bêtes", "hommes", "étoiles", "mondes" : la mort englobe tout ce qui existe - bêtes, plantes, planètes, hommes... Elle est surtout cette disparition concrète et matérielle de la matière organique : même lorsqu’il médite, Duroy ne peut s’empêcher d’être profondément matérialiste. La mort ne prend pas, chez lui, de dimension véritablement spirituelle.


II. La mort révélatrice

    Tout d’abord, nous ne pouvons que constater l’angoisse terrible, et qui va croissant comme le rythme des phrases, de Duroy face au mort. En effet, le passage s’ouvre sur " inquiétait " puis nous trouvons " épouvantable " pour enfin arriver à "terreur confuse, immense, écrasante" : plus Duroy regarde ce cadavre, " obstinément ", dans une fascination morbide, plus il est gagné par l’angoisse de la mort.

    Ainsi, Duroy qui, jusque-là, nous apparaissait plutôt froid et calculateur, laisse transparaître son émotion comme le démontre le nombre de phrases exclamatives dans ce passage, sans parler de l’interjection : "C’était là son ami (...) qui lui parlait hier encore !", "Quelle chose étrange et épouvantable que cette fin complète d’un être !" "Oh !",... Sa peur est bien réelle, et non pas simulée ou superficielle comme peuvent l’être ses sentiments amoureux.

    De fait, nous pouvons nous demander si Duroy n’est pas en train de nous révéler le moteur même de son être : finalement, n’est-ce pas l’angoisse de la mort, ce besoin de lutter contre ce "néant illimité" qui le pousse à posséder de la sorte - femmes, situations, titres, gloire ? Puisqu’il ne fait montre d’aucun système de croyance religieuse, sa seule protection contre la mort, c’est cet appétit dont parlait précédemment Madeleine, ce que nous appellerions aujourd’hui une boulimie de consommation.

    Aussi, c’est tout naturellement que son bon sens paysan reprend le dessus : puisque Madeleine est maintenant veuve, pourquoi ne pas retenter sa chance auprès d’elle ? Et ce d’autant plus que le deuil et la tristesse ont l’air de l’enjoliver, de la rendre encore plus attrayante : la femme, ou plutôt le sexe, est le moyen le plus sûr de lutter contre le rien.





Conclusion

    Ainsi, dans cet extrait de Bel-Ami, nous découvrons, en quelque sorte, l’essence même de Duroy. Il se confirme dans son matérialisme - la mort, c’est avant tout l’arrêt des fonctions physiologiques - et son cynisme - Madeleine est de nouveau une cible potentielle de Bel-Ami - mais nous révèle aussi sa faille : c’est la peur de la mort, de la fin, qui le tenaille, le pousse dans son ambition, dans son appétit de possession, sentiment que l’on retrouve d’ailleurs dans la scène du duel.

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