La Curée

Emile Zola

Chapitre 1 (fin) - L'éclosion du désir incestueux

De "Renée, lentement, s'était adossée…" à "...mordit une des feuilles amères."





Plan de la fiche sur le chapitre 1 de La Curée de Emile Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Dans la suite des vingt romans des Rougon-Macquart, La Curée (1872) décrit l'assaut de Paris par les spéculateurs de 1850, au lendemain du Second Empire. Emile Zola (1840 - 1902) assimile une vision naturaliste à l'histoire naturelle et sociale de la famille des Rougon-Macquart.

    À la fin du dîner organisé par son mari, Renée se retire dans la serre de leur hôtel. Le spectacle de son beau-fils en galante compagnie suscite en elle un sentiment de jalousie où se mêle une attirance dont elle commence à comprendre la nature incestueuse.

La Curée - Zola


Texte étudié


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Renée, lentement, s'était adossée au socle de granit. Dans sa robe de satin vert, la gorge et la tête rougissantes, mouillées des gouttes claires de ses diamants, elle ressemblait à une grande fleur, rose et verte, à un des Nymphéa du bassin, pâmé par la chaleur. A cette heure de vision nette, toutes ses bonnes résolutions s'évanouissaient à jamais, l'ivresse du dîner remontait à sa tête, impérieuse, victorieuse, doublée par les flammes de la serre. Elle ne songeait plus aux fraîcheurs de la nuit qui l'avaient calmée, à ces ombres murmurantes du parc, dont les voix lui avaient conseillé la paix heureuse. Ses sens de femme ardente, ses caprices de femme blasée s'éveillaient. Et, au- dessus d'elle, le grand Sphinx de marbre noir riait d'un rire mystérieux, comme s'il avait lu le désir enfin formulé qui galvanisait ce cœur mort, le désir longtemps fuyant, « l'autre chose » vainement cherchée par Renée dans le bercement de sa calèche, dans la cendre fine de la nuit tombante, et que venait brusquement de lui révéler sous la clarté crue, au milieu de ce jardin de feu, la vue de Louise et de Maxime, riant et jouant, les mains dans les mains.
A ce moment, un bruit de voix sortit d'un berceau voisin, dans lequel Aristide Saccard avait conduit les sieurs Mignon et Charrier.
- Non, vrai, monsieur Saccard, disait la voix grasse de celui-ci, nous ne pouvons vous racheter cela à plus de deux cents francs le mètre.
Et la voix aigre de Saccard se récriait :
- Mais, dans ma part, vous m'avez compté le mètre de terrain à deux cent cinquante francs.
- Eh bien, écoutez, nous mettons deux cent vingt-cinq francs.
Et les voix continuèrent, brutales, sonnant étrangement sous les palmes tombantes des massifs. Mais elles traversèrent comme un vain bruit le rêve de Renée, devant laquelle se dressait, avec l'appel du vertige, une jouissance inconnue, chaude de crime, plus âpre que toutes celles qu'elle avait déjà épuisées, la dernière qu'elle eût encore à boire. Elle n'était plus lasse.
L'arbuste derrière lequel elle se cachait à demi, était une plante maudite, un Tanghin de Madagascar, aux larges feuilles de buis, aux tiges blanchâtres, dont les moindres nervures distillent un lait empoisonné. Et, à un moment, comme Louise et Maxime riaient plus haut, dans le reflet jaune, dans le coucher de soleil du petit salon, Renée, l'esprit perdu, la bouche sèche et irritée, prit entre ses lèvres un rameau de Tanghin, qui lui venait à la hauteur des dents, et mordit une des feuilles amères.

Emile Zola - La Curée - Fin du chapitre I




Annonce des axes

I. Un lieu sensuel
1. L'éveil des sens
2. Le règne des synesthésies
3. Sensualité et abandon

II. L'énigme du désir
1. La métamorphose fatale de Renée
2. Une énigme tragique

III. Une scène annonciatrice
1. Une transgression programmée
2. "L'autre chose"
3. La perversion des liens familiaux



Commentaire littéraire

I. Un lieu sensuel

1. L'éveil des sens

Situé en fin de chapitre, ce passage constitue le point d'orgue de la soirée. Zola insiste sur l'effet de progression qui caractérise l'atmosphère : "l'ivresse du dîner" est "doublée par les flammes de la serre", de sorte que Renée, à l'instar d'une des plantes de la serre, est "pâmé[e] par la chaleur".


2. Le règne des synesthésies

Tous les sens de Renée sont activement sollicités : la vue ("clarté crue", "vision nette", "dans le reflet jaune, dans le coucher de soleil du petit salon"), l'ouïe ("sonnant étrangement", "ombres murmurantes"), le toucher ("chaleur", "flammes de la serre", "jardin de feu"), le goût ("mordit une des feuilles amères" à la fin du passage).
Quant à l'odorat, Zola note plus haut, un peu avant l'extrait étudié : "c'étaient surtout les odeurs qui la brisaient", comparant ces parfums capiteux à "cette odeur d'amour qui s'échappe le matin de la chambre close des jeunes époux".


3. Sensualité et abandon

Au fur et à mesure que "ses sens de femme ardente, ses caprices de femme blasée s'éveillaient", "ses bonnes résolutions s'évanouissaient à jamais". Bref, la raison est submergée par le flot de la passion : seules des phrases négatives la caractérisent ("elle ne songeait plus...").
De même, les conversations de Saccard, saturées de chiffres et de calculs, apparaissent à Renée " brutales, sonnant étrangement" et "comme un vain bruit".


II. L'énigme du désir

1. La métamorphose fatale de Renée

Renée s'abandonne à une "jouissance inconnue" qui s'impose à elle comme une fatalité, "impérieuse" et "victorieuse". À son insu s'impose donc une métamorphose : la femme et la serre partagent les mêmes caractéristiques (ainsi du champ lexical de la chaleur qui qualifie aussi bien l'atmosphère étouffante que la "femme ardente"). De sorte que Renée, par le biais d'une comparaison ("ressemblait à") devient une synecdoque de la serre, en l'espèce d'un "nymphéa".


2. Une énigme tragique

Zola multiplie les références à l'univers tragique : à Sophocle (allusion au Sphinx d'Œdipe roi qui connaît le destin incestueux du héros), à Racine (par le biais de l'emploi réitéré du champ lexical de la lumière) et à la Bible (la serre est le substitut laïc du jardin d'Éden où la faute et la chute auront lieu, et le rameau de Tanghin évoque le fruit défendu).


III. Une scène annonciatrice

1. Une transgression programmée

On observe la présence très fournie des champs lexicaux du tabou et de la transgression ("appel du vertige", "jouissance inconnue, chaude de crime") qui, eu égard à la sensualité qui baigne ce passage, situe la transgression à venir sur le plan des tabous sexuels.


2. "L'autre chose"

S'il n'est encore nommé que par une périphrase, qui scande tout le chapitre I et trahit son insistance obsessionnelle dans le discours de Renée, l'inceste apparaît comme l'horizon logique de cette scène : transgression ultime, il est suggéré par l'emploi de superlatifs ("plus âpre que toutes celles qu'elle avait déjà épuisées") et d'hyperboles ("la dernière qu'elle eût encore à boire"). Quant au dernier mot du chapitre ("amères"), jeu de mot et marque d'ironie tragique, il conjoint dans sa sonorité les valeurs de l'amour, de l'amertume et de la mère.


3. La perversion des liens familiaux

La relation conjugale est décrite comme une incongruité (Saccard est froidement calculateur, Renée s'abandonne à l'ardeur de ses sens). Saccard n'existe qu'au titre d'une voix, toujours évoquée de manière péjorative ("voix aigre", "brutales", etc.).
Quant à la relation maternelle qui unit Renée et Maxime, elle est évoquée par le biais de la jalousie qu'elle suscite en Renée, préfigurant son désir de la transgresser incestueusement.





Conclusion

    Symbole de l'atmosphère de perversion décadente qui imprègne la société du Second Empire, la serre se charge d'une valeur annonciatrice : de nombreux éléments prendront ultérieurement leur signification, pour Renée comme pour le lecteur.

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