Electre

Jean Giraudoux

Acte II, scène 9

De "LE MENDIANT. – Alors voici la fin...." à la fin de la scène




Plan de la fiche sur l'acte II, Scène 9 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    A la fin de l'année 1936, Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce, Electre représentée pour la première fois à Paris au printemps 1937. A cette époque, de nombreux écrivains, comme Cocteau, s'inspire des grands mythes de l'antiquité et poursuivent ainsi la tradition ; mais Giraudoux fait une œuvre originale en transformant le désir de vengeance en quête de la vérité.

Acte II scène 9 : narration du meurtre par le mendiant au moment même où il se déroule.


Lecture du texte

ACTE II
SCÈNE 9


[...]

LE MENDIANT. – Alors voici la fin. La femme Narsès et les mendiants délièrent Oreste. Il se précipita à travers la cour. Il ne toucha même pas, il n'embrassa même pas Électre. Il a eu tort. Il ne la touchera jamais plus. Et il atteignit les assassins comme ils parlementaient avec l'émeute, de la niche en marbre. Et comme Égisthe penché disait aux meneurs que tout allait bien, et que tout désormais irait bien, il entendit crier dans son dos une bête qu'on saignait. Et ce n'était pas une bête qui criait, c'était Clytemnestre. Mais on la saignait. Son fils la saignait. Il avait frappé au hasard sur le couple, en fermant les yeux. Mais tout est sensible et mortel dans une mère, même indigne. Et elle n'appelait ni Électre, ni Oreste, mais sa dernière fille Chrysothémis, si bien qu'Oreste avait l'impression que c'était une autre mère, une mère innocente qu'il tuait. Et elle se cramponnait au bras droit d'Égisthe. Elle avait raison, c'était sa seule chance désormais dans la vie de se tenir un peu debout. Mais elle empêchait Égisthe de dégainer. Il la secouait pour reprendre son bras, rien à faire. Et elle était trop lourde aussi pour servir de bouclier. Et il y avait encore cet oiseau qui le giflait de ses ailes et l'attaquait du bec. Alors il lutta. Du seul bras gauche sans armes, une reine morte au bras droit avec colliers et pendentifs, désespéré de mourir en criminel quand tout de lui était devenu pur et sacré, de combattre pour un crime qui n'était plus le sien et, dans tant de loyauté et d'innocence, de se trouver l'infâme en face de ce parricide, il lutta de sa main que l'épée découpait peu à peu, mais le lacet de sa cuirasse se prit dans une agrafe de Clytemnestre, et elle s'ouvrit. Alors il ne résista plus, il secouait seulement son bras droit, et l'on sentait que s'il voulait maintenant se débarrasser de la reine, ce n'était plus pour combattre seul, mais pour mourir seul, pour être couché dans la mort loin de Clytemnestre. Et il n'y est pas parvenu. Et il y a pour l'éternité un couple Clytemnestre-Égisthe. Mais il est mort en criant un nom que je ne dirai pas.

LA VOIX D'ÉGISTHE, au-dehors. – Électre…

LE MENDIANT. – J'ai raconté trop vite. Il me rattrape.

Electre - Jean Giraudoux



Annonce des axes

I. Le châtiment de la mère
A. L’utilisation des points de vue
B. Un sacrifice sanglant
C. Les commentaires du mendiant

II. La mort tragique d’Égisthe
A. Une lenteur solennelle
B. Un personnage tragique

III. Les caractéristiques du récit
A. La tension dramatique
B. Un présent passé



Commentaire littéraire

I. Le châtiment de la mère

A. L’utilisation des points de vue

1) Le point de vue d’Égisthe (au départ ne comprend pas puis prise de conscience insistant sur les détails sanglants : répétition du verbe saigner - Clytemnestre = animal identifié progressivement tout comme l’assassin "on" puis "son fils").

2) Le point de vue d’Oreste (il frappe au hasard, c’est le pire des meurtres, un matricide => son propre effroi, il a l’impression de tuer une mère innocente car elle crie "Chrysothémis").

B. Un sacrifice sanglant

Comparaison de Clytemnestre à une bête qu’on saigne (le verbe est répété => brutalité insupportable) : lexique de la boucherie Clytemnestre est égorgée, Oreste = bourreau, "et" sépare les étapes de la mise à mort, Clytemnestre est dépouillée de sa dignité de mère et de femme.

C. Les commentaires du mendiant

"une mère" = portée universelle, généralisation. Clytemnestre essaie de se tenir debout (2 sens : pour survivre, pour gagner une dignité qu’elle n’a jamais eu).
La mort de Clytemnestre est pathétique mais pas tragique en raison de son manque de dignité.


II. La mort tragique d’Égisthe

A. Une lenteur solennelle

Ce récit dure plus longtemps que celui de la mort de Clytemnestre : phrases longues, juxtapositions fréquentes, ainsi que la coordination.
Répétition de "lutter" équivalent à son courage. Anaphore de "Alors".

B. Un personnage tragique

1) Egisthe meurt en criminel alors qu’il s’est transformé en roi généreux et aimant son pays. Sa métamorphose a été vaine. Antithèses "criminel" ≠ "pur et sacré", "loyauté" ≠ "infâme". Il se bat pour mourir dignement.

2) Des efforts inutiles.
Tout se ligue contre lui : l’oiseau (= destin), Clytemnestre, son lacet (= les objets).

Lorsqu’il sait que sa mort est inévitable, il cherche à s’éloigner de Clytemnestre car celle-ci représente son passé criminel. Mais il n’y parvient pas, ce qui nous montre bien ici la fatalité du destin (pour l’éternité ce couple Electre/Clytemnestre).

3) Le cri ultime :
Il crie "Électre..." car elle seule peut encore le comprendre même si elle l’a condamné. Tragique.


III. Les caractéristiques du récit

A. La tension dramatique

1) Un récit qui donne à voir
Le mendiant ne s’y trompe pas : il dit "voici" = "vois ceci".

2) Les variations du rythme
Brièveté des phrases, parataxe -> précipitation, imminence du moment tragique.
Puis le rythme se ralentit, coordination, subordination car la fin est connue, elle ne fait aucun doute.

B. Un présent passé

1) Un usage paradoxal des temps verbaux
Giraudoux utilise le passé simple alors que l’action se déroule au même moment.

2) Une répétition du passé
Ce meurtre appartient au passé, à la mythologie et dans ce domaine tout est déterminé : on ne refait pas l’"Histoire".

3) Un accomplissement du fatum
Oreste ne peut échapper à la fatalité du mythe, comme Égisthe et Clytemnestre.
Étymologie : fatum = ce qui a été dit ; mythe = parole
La voix du mendiant est donc celle du destin, encore plus que celle des Euménides.





Conclusion

    Ce récit de meurtres horribles raconté par le mendiant inspire la pitié pour Clytemnestre alors que la mort d’Égisthe est tragique.
    Le mendiant apparaît comme le Coryphée (il récite) et comme un voyant : il est doué de prescience.

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