Gargantua

François Rabelais, 1534

Chapitre 50 (L) : La harangue que fit Gargantua aux vaincus





Plan de la fiche sur le chapitre 50 de Gargantua de Rabelais :
Introduction
Texte étudié du chapitre 50
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Harangue : discours solennel devant une assemblée ou un personnage important.

    Cet extrait de Gargantua de Rabelais  se rattache à l’étude du courant humaniste et de la contestation des conceptions médiévales illustrées ici par le personnage de Picrochole. Après avoir été écrasé par la troupe de Gargantua, Picrochole, souverain belliqueux à l’ancienne mode s’enfuit honteusement en abandonnant ses troupes et son fils au vainqueur. Gargantua, loin de s’approprier son territoire, règle alors la question en souverain humaniste soucieux de préserver durablement la paix. La gravité de son ton tranche avec la tragédie burlesque où la harangue correspond à un exposé de sciences politiques.

    Le discours politique s’organise en deux grands thèmes :
    - la générosité à l’égard des victimes et des innocents,
    - les fermes répressions à l’égard des fauteurs de troubles.

Rabelais
François Rabelais

Texte étudié du Chapitre 50

Gargantua - Chapitre 50 (extrait)


[...]

    Ne voulant donc aucunement dégénérer de la bienveillance héritée de mes parents, à présent je vous pardonne et vous délivre je vous laisse aller francs et libres comme avant. De plus, en franchissant les portes, chacun d'entre vous sera payé pour trois mois, afin que vous puissiez rentrer dans vos foyers, au sein de vos familles. Six cents hommes d'armes et huit mille fantassins vous conduiront en sûreté, sous le commandement de mon écuyer Alexandre, pour éviter que vous ne soyez malmenés par les paysans. Que Dieu soit avec vous !
    Je regrette de tout mon cœur que Picrochole ne soit pas ici, car je lui aurais fait comprendre que cette guerre avait lieu en dépit de ma volonté et que je ne souhaitais pas accroître mes biens ou ma renommée. Mais puisqu'il a disparu et qu'on ne sait où ni comment il s'est évanoui, je tiens à ce que son royaume revienne intégralement à son fils ; comme celui- ci est d'un âge trop tendre (il n'a pas encore cinq ans révolus), il sera dirigé et formé par les anciens princes et les gens de science du royaume. Et, puisqu'un royaume ainsi décapité serait facilement conduit à la ruine si l'on ne réfrénait la convoitise et la cupidité de ses administrateurs, j'ordonne et veux que Ponocrates soit intendant de tous les gouverneurs, qu'il ait l'autorité nécessaire pour cela et qu'il veille sur l'enfant tant qu'il ne le jugera pas capable de gouverner et de régner par lui-même.
    Je considère que trop de facilité et de laxisme à pardonner aux méchantes gens, leur offre l'occasion de plus facilement commettre de nouveaux méfaits, à cause de cette néfaste assurance de l'impunité.
    Je considère que Moïse, l'homme le plus doux qui fut sur terre en son temps, punissait sévèrement ceux qui se mutinaient et entraient en sédition au sein du peuple d'Israël.
    Je considère Jules César, empereur si débonnaire que, au dire de Cicéron, avoir le pouvoir de toujours sauver tout un chacun et de lui pardonner était à ses yeux le degré souverain de la réussite, et qu'avoir la volonté de le faire était son plus grand mérite ; malgré tout, dans certains cas, malgré ces maximes, il punit impitoyablement les fauteurs de rébellion.
    A ces exemples, je veux qu'avant de partir vous me livriez : premièrement ce beau Marquet qui a été la source et la cause initiale de cette guerre par la faute de son outrecuidance ; deuxièmement ses compagnons fouaciers qui ont négligé de calmer sa tête folle au moment voulu, et enfin tous les conseillers, les capitaines, les officiers et les familiers de Picrochole qui l'auraient encouragé ou glorifié, ou lui auraient conseillé de sortir de ses frontières pour nous tourmenter ainsi.



Annonce des axes

I. La générosité de Gargantua envers les victimes et les innocents
II. Mesures de répressions que Gargantua inflige aux dirigeants vaincus



Commentaire littéraire

I. La générosité de Gargantua envers les victimes et les innocents

1. L’attitude générale de Gargantua

Gargantua est un humaniste qui s’estime investit par Dieu. Il adopte une attitude de pardon et de miséricorde envers les soldats. Il estime qu'il serait indigne d’exercer des représailles sur les vaincus et de profiter de la situation pour mettre feu à la lignée de Picrochole.

2. L'attitude de Gargantua à l’égard des prisonniers

Gargantua libère les prisonniers sans condition ("francs et libres comme avant" : groupe binaire) et il prend soin de faire suivre cette déclaration générale des mesures concrètes qui en assureront l’application ("vous sera payé pour trois mois") et il leur assure leur sécurité de manière à ce qu’il ne soit pas attaqué par des paysans. Cette générosité s’appuie sur un solide bon sens, la présence de soldats errants et affamés ne pourrait que favoriser la reprise du conflit et la poursuite des troubles. Une paix durable ne peut s’instaurer que par les trois mois de salaire et la sécurité qui résulte du nombre élevé d’accompagnateurs.

3. Les mesures prises par Gargantua

- A l’égard du fils de Picrochole
Contrairement à la mentalité féodale qui prône les guerres de conquête pour accroître son bien et sa gloire, Gargantua proclame son pacifisme, son respect des frontières des Etats existants. Pour lui, seule la guerre défensive est légitime. Les circonstances vont lui donner l’occasion de répandre à des principes humanistes puisque le fils de Picrochole sera éduqué et instruit par les gens savant du Royaume, ce qui n’était pas le cas de Picrochole.

- Mais générosité n’est pas faiblesse. Gargantua connaît les faiblesses de la nature humaine. Il les met en évidence par une subordonnée explicative en tête de phrase ("Et, puisqu'un royaume...") et il confie à Ponocrates le soin de veiller sur tous les gouverneurs qui vont s’occuper de l’enfant et administrer l’Etat. L’importance de la mission de Ponocrates est soulignée par une redondance ("J’ordonne et veux") et par la précision avec laquelle la conduite à tenir est exprimée.

Gargantua agit avec sérieux et détermination en chef d’Etat qui sait faire la différence entre clémence et faiblesse. C’est pourquoi il va annoncer une série de mesures visant les responsables du conflit.


II. Mesures de répressions que Gargantua inflige aux dirigeants vaincus

1. Tout d’abord, Gargantua s’appuie sur deux exemples célèbres de l’Antiquité pour justifier son attitude car l’Humaniste fait confiance à la raison et non pas à la force. Ce n’est qu’en dernier recours qu’il utilise la force. Ses deux exemples sont empruntés à la Bible et à l’histoire romaine et dans les deux cas, Moïse, comme Jules César sont présentés comme deux chefs vertueux et reconnus pour leur humanité (parlant de Moïse : "l'homme le plus doux qui fut sur terre en son temps", parlant de Jules César : "empereur si débonnaire") -> superlatifs. La remarque est confirmée par les dires de Cicéron.
Ces deux parangons d’humanité et de vertu n’hésitent cependant pas à adopter des moyens énergiques pour rétablir l’ordre comme le montre les expressions : "punissait sévèrement ceux qui se mutinaient et entraient en sédition" et "punit impitoyablement les fauteurs de rébellion"

2. L’application personnelle qu’en fait Gargantua, instruit par ces deux exemples, énonce les punitions adoptées. Il fait prisonnier tous les responsables ("je veux qu'avant de partir vous me livriez..."), mais on sent qu’il établit des hiérarchies dans les responsabilités. Tout d’abord, il est ironique à l’égard de la cause du conflit, ce qu’il appelle sa "vaine outrecuidance", c’est-à-dire une confiance excessive en lui. Il traite également avec ironie les compagnons fouaciers de Marquet en disant qu’ils auraient dû corriger la tête folle de celui-ci. Quant aux militaires et aux responsables politiques, Gargantua leur inflige la même punition mais il abandonne l’ironie, pour un ton grave, mis en évidence par une énumération ("conseillers, capitaines, officiers et domestiques de Picrochole") et les groupes ternaires ("inciter, flatter, exhorter") qui donnent de la solennité à la phrase, montrant ainsi qu’ils ont gravement failli à leur devoir en donnant au roi de mauvais conseils et qu’ils l’ont amené à déclencher un conflit pour une affaire mineure.





Conclusion

    Après la victoire sur Picrochole, Gargantua a fait la preuve de sa valeur militaire et de sa grandeur morale. C’est le triomphe de l’humanisme sur la mentalité médiévale, des esprits concrets sur les têtes chimériques dont Don Quichotte sera le dernier représentant (avatar). Picrochole a perdu tout bon sens. Gargantua que ses études humanistes ont conduit à aborder tous les domaines de l’activité humaine se comporte à l’inverse en souverain généreux et psychologue qui évite l’humiliation des vaincus tout en prenant les sanctions nécessaires pour assurer une paix durable, condition indispensable au bonheur de ses sujets.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse du chapitre 50 de Gargantua de Rabelais