L’illusion Comique

Corneille - 1635

Acte III, scène 1






Plan de la fiche sur la scène 1 de l'Acte 3 de L’illusion comique de Corneille :
Introduction
Lecture de la scène 1 de l'acte 3
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    L'illusion comique a été écrite en 1635 par Pierre Corneille (1606 - 1684). Cette tragi-comédie connaît un grand succès à cette époque mais ne respecte guère les règles du théâtre classique. Les cinq actes ont une longueur, des tons et des sujets très divers.

    Adraste vient d’apprendre qu’Isabelle ne l’aime pas et se rend chez Géronte pour le convaincre qu’il doit épouser Isabelle.

    Géronte et sa fille s'affrontent verbalement comme nous le montrerons dans notre lecture analytique. L'autre thèmes que nous aborderons est qu’il y a une argumentation déséquilibrée entre les deux protagonistes. Ou encore : l’enjeu de cette scène est un discours polémique. Pour cela nous verrons tout d’abord que le débat s’appuie sur la force du père puis nous montrerons la présence d’une argumentation habile de la part d’Isabelle et enfin, nous analyserons l’importance de cette scène.

Corneille
Corneille



Lecture de la scène 1 de l'acte 3

ACTE III - SCENE PREMIERE


GERONTE.
Apaisez vos soupirs et tarissez vos larmes ;
Contre ma volonté ce sont de faibles armes :
Mon cœur, quoique sensible à toutes vos douleurs,
Ecoute la raison, et néglige vos pleurs.
Je sais ce qu'il vous faut beaucoup mieux que vous-même.
Vous dédaignez Adraste à cause que je l'aime ;
Et parce qu'il me plaît d'en faire votre époux,
Votre orgueil n'y voit rien qui soit digne de vous.
Quoi ! manque-t-il de bien, de cœur ou de noblesse ?
En est-ce le visage ou l'esprit qui vous blesse ?
Il vous fait trop d'honneur.

ISABELLE.
Je sais qu'il est parfait,
Et que je réponds mal à l'honneur qu'il me fait ;
Mais si votre bonté me permet en ma cause,
Pour me justifier, de dire quelque chose,
Par un secret instinct, que je ne puis nommer,
J'en fais beaucoup d'état, et ne le puis aimer.
Souvent je ne sais quoi que le ciel nous inspire
Soulève tout le cœur contre ce qu'on désire,
Et ne nous laisse pas en état d'obéir,
Quand on choisit pour nous ce qu'il nous fait haïr.
Il attache ici-bas avec des sympathies
Les âmes que son ordre a là-haut assorties :
On n'en saurait unir sans ses avis secrets ;
Et cette chaîne manque où manquent ses décrets.
Aller contre les lois de cette providence,
C'est le prendre à partie, et blâmer sa prudence,
L'attaquer en rebelle, et s'exposer aux coups
Des plus âpres malheurs qui suivent son courroux.

GERONTE.
Insolente, est-ce ainsi que l'on se justifie ?
Quel maître vous apprend cette philosophie ?
Vous en savez beaucoup ; mais tout votre savoir
Ne m'empêchera pas d'user de mon pouvoir.
Si le ciel pour mon choix vous donne tant de haine,
Vous a-t-il mise en feu pour ce grand capitaine ?
Ce guerrier valeureux vous tient-il dans ses fers ?
Et vous a-t-il domptée avec tout l'univers ?
Ce fanfaron doit-il relever ma famille ?

ISABELLE.
Eh ! De grâce, monsieur, traitez mieux votre fille !

GERONTE.
Quel sujet donc vous porte à me désobéir ?

ISABELLE.
Mon heur et mon repos, que je ne puis trahir.
Ce que vous appelez un heureux hyménée
N'est pour moi qu'un enfer si j'y suis condamnée.

GERONTE.
Ah ! Qu'il en est encor de mieux faites que vous
Qui se voudraient bien voir dans un enfer si doux !
Après tout, je le veux ; cédez à ma puissance.

ISABELLE.
Faites un autre essai de mon obéissance.

GERONTE.
Ne me répliquez plus quand j'ai dit : "Je le veux."
Rentrez : c'est désormais trop contesté nous deux.

L’illusion Comique - Corneille - 1635




Annonce des axes

I. Un débat qui s’appuie sur la force du père
1. Une relative impatience et insensibilité
2. Un père semi-démurge
3. Un père autoritaire, sarcastique

II. Une habile argumentation d’Isabelle
1. Schéma, structure argumentative
2. Au niveau de l’énonciation
3. Une volonté de se déculpabiliser

III. L’importance de cette scène
1. Dans l’intrigue
2. Pour Pridamant
3. Portée universelle



Commentaire littéraire

I. Un débat qui s’appuie sur la force du père

1. Une relative impatience et insensibilité

- Géronte emploie l’impératif pour que sa fille arrête de pleurer ("Apaisez", "tarissez").
- Géronte coupe net à la discussion à la fin de la scène : "Ne me répliquez plus quand j'ai dit : "Je le veux." / Rentrez : c'est désormais trop contesté nous deux."


2. Un père semi-démurge

- "Je sais ce qu'il vous faut beaucoup mieux que vous-même.".
- Champ lexical du devoir, de l’obligation.
- Géronte met en avant les qualités d’Adraste comme un juge tout puissant pour mieux convaincre sa fille ("manque-t-il de bien, de coeur ou de noblesse ?").


3. Un père autoritaire, sarcastique

- Emploi l’impératif à de nombreuses reprises.
- Géronte vilipende sa fille pour la rendre inférieure et kla faire changer d'avis ("Votre orgueil", "Insolente").
- Mode indicatif (certitude).
- Champ lexical du pouvoir, de la puissance ("pouvoir", "désobéir", "puissance").
- Il dévalorise Matamore ("fanfaron "), l’ennemi d’Adraste qu’il croit être son prétendant.
- Géronte use de son éloquence pour convaincre sa fille : questions oratoires, ironiques.
- Antiphrases ironiques : dire le contraire de ce que l’on pense ("Ce guerrier valeureux vous tient-il dans ses fers ? / Et vous a-t-il domptée avec tout l'univers ?"), hyperbole ("tout l'univers"). Ton injonctif.


II. Une habile argumentation d’Isabelle

1. Schéma, structure argumentative

La première réplique d’Isabelle est longue, sans tâtonnement mais avec force, elle fait une concession "je sais qu’il est parfait" concernant l’éloge d’Adraste : mea culpa en admettant les qualités d’Adraste. Elle emploie un terme mélioratif mais très vite elle justifie son opposition aux choix paternels en osant répondre à la question de Géronte. C’est pour mieux contre argumenter.
Elle commence par le connecteur d’opposition "mais". Elle dit qu’elle ne peut pas exercer son libre-arbitre ("Par un secret instinct"), qu’elle est soumise aux lois du destin car une force céleste la domine et désobéir la mettrait en grave péril "s'exposer aux coups / Des plus âpres malheurs qui suivent son courroux" (valeur religieuse). Elle oppose cet argument religieux à l’autorité de son père.
De plus, elle emploie une interjection et une ponctuation forte : "Eh ! De grâce, monsieur, traitez mieux votre fille !"


2. Au niveau de l’énonciation

- Déictique personnel "je" pour faire son mea culpa, reconnaître son infériorité.
- Rapidement, elle emploie des tournures générales impersonnelles "nous", "notre", "on".
- Emploi du mode impersonnel : l’indicatif.
- Sentence, maxime solennelle pour convaincre son père ; valeur atemporelle.


3. Une volonté de se déculpabiliser

En plus des tournures générales, on a le champ lexical des chaînes : "attache", "assorties", "unir", "chaîne". L'idée d’attachement, d’aliénation (soumission), souligne l’idée qu’elle est irresponsable de ses sentiments.

Isabelle emploie une réelle argumentation contrairement au père qui ne s’appuie pas sur un raisonnement mais sur sa force paternelle.


III. L’importance de cette scène

1. Dans l’intrigue

Le refus de Géronte laisse présager une fin funeste, tragique, mais la détermination d’Isabelle annonce des rebondissements.


2. Pour Pridamant

C’est une première catharsis grâce à un effet de symétrie, de miroir. En effet Pridamant serait le double de Géronte pour l’abus du pouvoir paternel et Clindor, le double d’Isabelle. Géronte est antipathique pour nous et Pridamant pourra remettre en cause lui et son attitude envers Clindor.


3. Portée universelle

C'est une dénonciation impressive, connotative. L’idée d’Aristote que le théâtre est cathartique s’illustre ici si Corneille arrive à changer dans le public certains parents trop autoritaires.





Conclusion

=> Bilan

=> Ouverture : Roméo et Juliette, L’école des femmes

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Merci à Amadine pour cette analyse sur la scène 1 de l'Acte 3 de L’illusion comique de Corneille