L’illusion Comique

Corneille - 1635

ACTE V, scène 5






Plan de la fiche sur la scène 5 de l'Acte 5 de L’illusion comique de Corneille :
Introduction
Lecture de la scène 5 de l'acte 5
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Durant le XVIIème siècle, deux mouvements littéraires cohabitaient : le baroque et le classicisme. Le baroque est moins strict du point vue de l’écriture par rapport au classicisme ; le non respect des trois unités, de la bienséance et bien d’autres. L’acte 5 de L’Illusion comique (1635) de Pierre Corneille apporte un effet de rupture avec le comique des actes 1, 2 et 3. En effet, durant les deux derniers actes, le registre tragique est dominant et le spectateur et Pridamant sont trompés par l’illusion.

    A la scène 5 de l’acte V, Pridamant croit son fils mort car Alcandre lui a montré le spectacle de sa déchéance. C'est alors qu'une toile se lève : Clindor et ses compagnons se partagent la recette de leur représentation !
    Comment Alcandre parvient-il à dissiper les réticences de Pridamant quant à la réussite professionnelle de Clindor ? Tout d’abord Alcandre tient un discours élogieux du théâtre, ensuite ce discours a une véritable visée argumentative et didactique.

Corneille
Corneille



Lecture de la scène 5 de l'acte 5

ACTE V - SCENE V
Alcandre, Pridamant

Alcandre
Ainsi de notre espoir la fortune se joue :
Tout s’élève ou s’abaisse au branle de sa roue :
Et son ordre inégal, qui régit l’univers,
Au milieu du bonheur a ses plus grands revers.

Pridamant
Cette réflexion, mal propre pour un père,
Consolerait peut-être une douleur légère ;
Mais, après avoir vu mon fils assassiné,
Mes plaisirs foudroyés, mon espoir ruiné,
J’aurais d’un si grand coup l’âme bien peu blessée,
Si de pareils discours m’entraient dans la pensée.
Hélas ! dans sa misère il ne pouvait périr ;
Et son bonheur fatal lui seul l’a fait mourir.
    N’attendez pas de moi des plaintes davantage :
La douleur qui se plaint cherche qu’on la soulage ;
La mienne court après son déplorable sort.
Adieu ; je vais mourir, puisque mon fils est mort.

Alcandre
D’un juste désespoir l’effort est légitime,
Et de le détourner je croirais faire un crime.
Oui, suivez ce cher fils sans attendre à demain ;
Mais épargnez du moins ce coup à votre main ;
Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles,
Et pour les redoubler voyez ses funérailles.

(Ici on relève la toile, et tous les comédiens paraissent avec leur portier,
qui comptent de l’argent sur une table, et en prennent chacun leur part.)


Pridamant
Que vois-je ? chez les morts compte-t-on de l’argent ?

Alcandre
Voyez si pas un d’eux s’y montre négligent.

Pridamant
Je vois Clindor ! ah dieux ! quelle étrange surprise !
Je vois ses assassins, je vois sa femme et Lyse !
Quel charme en un moment étouffe leurs discords,
Pour assembler ainsi les vivants et les morts ?

Alcandre
Ainsi tous les acteurs d’une troupe comique,
Leur poëme récité, partagent leur pratique :
L’un tue, et l’autre meurt, l’autre vous fait pitié ;
Mais la scène préside à leur inimitié.
Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles,
Et, sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles,
Le traître et le trahi, le mort et le vivant,
Se trouvent à la fin amis comme devant.
    Votre fils et son train ont bien su, par leur fuite,
D’un père et d’un prévôt éviter la poursuite ;
Mais tombant dans les mains de la nécessité,
Ils ont pris le théâtre en cette extrémité.

Pridamant
Mon fils comédien !

Alcandre
                D’un art si difficile
Tous les quatre, au besoin, ont fait un doux asile ;
Et, depuis sa prison, ce que vous avez vu,
Son adultère amour, son trépas imprévu,
N’est que la triste fin d’une pièce tragique
Qu’il expose aujourd’hui sur la scène publique,
Par où ses compagnons en ce noble métier
Ravissent à Paris un peuple tout entier.
Le gain leur en demeure, et ce grand équipage,
Dont je vous ai fait voir le superbe étalage,
Est bien à votre fils, mais non pour s’en parer
Qu’alors que sur la scène il se fait admirer.

Pridamant
J’ai pris sa mort pour vraie, et ce n’était que feinte ;
Mais je trouve partout même sujet de plainte.
Est-ce là cette gloire, et ce haut rang d’honneur
Où le devait monter l’excès de son bonheur ?

Alcandre
Cessez de vous en plaindre. À présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre ;
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands ;
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;
Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde,
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau.
Même notre grand roi, ce foudre de la guerre
Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la terre,
Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l’œil et l’oreille au Théâtre-François :
C’est là que le Parnasse étale ses merveilles ;
Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles ;
Et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard
De leurs doctes travaux lui donnent quelque part.
D’ailleurs, si par les biens on prise les personnes,
Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes ;
Et votre fils rencontre en un métier si doux
Plus d’accommodement qu’il n’eût trouvé chez vous.
Défaites-vous enfin de cette erreur commune,
Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune.

Pridamant
Je n’ose plus m’en plaindre, et vois trop de combien
Le métier qu’il a pris est meilleur que le mien.
Il est vrai que d’abord mon âme s’est émue :
J’ai cru la comédie au point où je l’ai vue ;
J’en ignorais l’éclat, l’utilité, l’appas,
Et la blâmais ainsi, ne la connaissant pas ;
Mais, depuis vos discours, mon cœur plein d’allégresse
A banni cette erreur avecque sa tristesse.
Clindor a trop bien fait.

Alcandre
             N’en croyez que vos yeux.

Pridamant
Demain, pour ce sujet, j’abandonne ces lieux ;
Je vole vers Paris. Cependant, grand Alcandre,
Quelles grâces ici ne vous dois-je point rendre ?

Alcandre
Servir les gens d’honneur est mon plus grand désir.
J’ai pris ma récompense en vous faisant plaisir.
Adieu. Je suis content, puisque je vous vois l’être.

Pridamant
Un si rare bienfait ne se peut reconnaître :
Mais, grand mage, du moins croyez qu’à l’avenir
Mon âme en gardera l’éternel souvenir.

L'illusion Comique - Acte V, scène 5 - Corneille




Annonce des axes

I. Eloge du théâtre
1. Honneur et grandeur du théâtre
2. Un divertissement universel
3. Un métier respectable

II. Dénouement à visée didactique
1. Alcandre veut convaincre
2. Plusieurs destinataires
3. Evolution de la vision du théâtre



Commentaire littéraire

I. Eloge du théâtre

Corneille, par la voix d’Alcandre, se livre à un éloge du théâtre par ailleurs assez méprisé au XVIIème siècle.

1. Honneur et grandeur du théâtre

Alcandre utilise un lexique appréciatif pour faire l'éloge du théâtre : « art », « doux asile », « noble métier », « superbe », « délices »…

Alcandre fait allusion à l'antiquité pour montrer la grandeur du théâtre, et rappeler que cet art est très ancien : « Parnasse » (le mont Parnasse en Grèce est la résidence traditionnelle des Muses dans la mythologie), « Apollon ».

Selon Alcandre, le théâtre est un grand art : les expressions hyperboliques et superlatives mettent en avant cette idée : « le plus doux », « et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard », « les plus rares », les mots « s’émerveillent, doctes travaux, leurs veilles… ».
Ces superlatifs et l'utilisation répétée de l'adverbe d’intensité « si » montre qu'il s'agit ici d'un éloge lyrique.

Le travail poétique, qu’est le théâtre, est élevé au rang le plus noble et le plus haut.

Alcandre construit l’équivalence entre pouvoir du mage et pouvoir du dramaturge.


2. Un divertissement universel

Alcandre utilise le champ lexical du divertissement : « divertissement », « délices », « plaisir », « passe-temps »…
La valeur de divertissement du théâtre ne peut être remise en cause car les grands et les gouvernements lui apportent de l’attention : champ lexical de la noblesse (« princes, grands, roi »).
Le parallélisme « Les délices du peuple, et le plaisir des grands » avec les mots opposés peuple et grands montre que le théâtre est fait pour tout le monde : le peuple et les nobles.


3. Un métier respectable

Alcandre qualifie le théâtre de « noble métier » et de « métier si doux », montrant ainsi que c'est un métier respectable et agréable.

Primadant reconnait lui-même la respectabilité de ce métier avec le comparatif de supériorité : « Le métier qu'il a pris est meilleur que le mien ».

Le théâtre est regardé par des grands hommes.

La fin de la tragédie arrive par la découverte des comédiens partageant la recette : cet hommage à l’argent qui est montré est une réalité sociale, et ainsi Corneille montre que le théâtre permet de gagner sa vie convenablement. Champ lexical de l'argent : « argent », « gain », « rentes »…

Transition : Pendant l’éloge du théâtre, Alcandre ne perd pas de vue son objectif : convaincre Pridamant de la réussite liée au théâtre.


II. Dénouement à visée didactique

1. Alcandre veut convaincre

Alcandre souhaite convaincre Pridamant, et ainsi Corneille convaincre le public, de la beauté et de l'utilité du théâtre. Pour cela, il utilise plusieurs procédés.

Alcandre emploie des impératifs (« Voyez si pas un d'eux », « Cessez de vous en plaindre » « N’en croyez que vos yeux »…) et des présents à valeur injonctive.

Le discours d'Alcandre est construit et ordonné. Par exemple, avec l'utilisation de connecteurs logiques « Ainsi… Mais… Et… » dans la tirade commençant par « Ainsi tous les acteurs d'une troupe comique ».

Alcandre utilise des accumulations élogieuses : « L'entretien de Paris, le souhait des provinces, / Le divertissement le plus doux de nos princes, / Les délices du peuple, et le plaisir des grands ».

Utilisation du présent de vérité générale pour exprimer son opinion afin d'y faire adhérer Pridamant, par exemple « le théâtre / Est en un point si haut que chacun l'idolâtre »


2. Plusieurs destinataires

Il y a plusieurs destinataires à travers le discours d’Alcandre qui justifie et met en avant les qualités du théâtre.

Le mage s’adresse à Pridamant, son interlocuteur direct qui se plaint du destin de son fils. Pridamant représente l’autorité bourgeoise et morale qui juge le théâtre mais aussi l’autorité paternelle inquiète pour son fils.

Puis le ton change et Alcandre s’adresse peu à peu aux protecteurs du théâtre : « Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde » fait référence à Richelieu, ministre qui aide les artistes et notamment Corneille, « Même notre grand roi » fait référence à Louis XIII. Il se dessine un Corneille politique que l’on retrouvera dans le Cid et Cinna. Le théâtre prend une autre fonction que le divertissement. Le dramaturge se doit de célébrer la monarchie de droit divin qui le protège. Ainsi, « Même notre grand roi… » a une fonction de louange destinée au roi. Le champ lexical des héros qui s’est vidé d’ironie et de comique a pris une valeur d’éloge courtisane, il flatte le roi.

Alcandre met en avant l’importance pour le dramaturge d’avoir des mécènes qui aiment et protègent le théâtre.


3. Evolution de la vision du théâtre

Le « fief » renvoie aux châteaux du Moyen Age, difficilement accessibles. Alcandre s’adresse au père, aux protecteurs, aux spectateurs pour en changer les mentalités. Comme vu précédemment, il insiste sur les effets obtenus par le théâtre : « dont les rentes sont bonnes, un métier si doux, plus de biens et d’honneur… »…

Alcandre met en évidence le décalage de génération entre la vision du père (« votre temps ») et celle du fils (« aujourd’hui ») : « Et ce que votre temps voyait avec mépris / Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits » -> Opposition imparfait / présent dans ces deux vers pour montrer l'évolution des mentalités.

Ainsi, Pridamant a changé d'avis sur le théâtre : « Je n'ose plus m'en plaindre », gradation élogieuse « J'en ignorais l'éclat, l'utilité, l'appas ».

Opposition avant/après : « d'abord mon âme s'est émue […] depuis […] mon cœur plein d'allégresse / A banni cette erreur avecque sa tristesse ».

Le terme « erreur » montre bien que Primadant a changé son opinion sur le théâtre. Pridamant évoque l’allégresse que provoque la comédie.

L'utilisation du passé (« s'est émue », « J'ai cru », « J'en ignorais », « blâmais ») montre que le jugement négatif de Pridamant sur le théâtre est terminé. Et Pridamant n'a pas l'intention de revenir sur son nouveau jugement : « Mon âme en gardera l'éternel souvenir. »





Conclusion

    Cette scène 5 de l'acte 5 de L'Illusion comique de Corneille est un plaidoyer élogieux en faveur du théâtre.
    Le but d’Alcandre est finalement atteint : Pridamant a pu, grâce à l'éloge d’Alcandre du théâtre mené en réalité dans toute l’œuvre, reconnaître le métier d’acteur de son fils. Une réconciliation entre eux est possible.

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