Pot-Bouille

Emile Zola - 1882

Chapitre 17 - L'éternel recommencement

De "D’ailleurs, la maison avait retrouvé le train de son honnêteté bourgeoise." à "...souffrait cruellement dans sa dignité."




Plan de la fiche sur Pot-Bouille de Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Le roman Pot-Bouille de Emile Zola est paru en 1882. Zola y montre un immeuble parisien dans lequel vit une bourgeoisie qui, derrière un luxe de façade, montre des comportements peu respectables (adultères, complots, intrigues…). L'expression pot-bouille désignait une cuisine populaire, de faible qualité, comme les comportements des bourgeois de cet immeuble.

    Plusieurs mois ont passé depuis que la liaison entre Octave et Berthe a été "officiellement" découverte. Face au scandale, Berthe a dû retourner chez ses parents et Octave a quitté la maison. Le jeune homme est à présent tout à ses projets commerciaux avec le Bonheur des Dames et sa patronne, Mme Hédouin, qui songe à une alliance dans tous les domaines.

Pot-Bouille - Zola


Texte étudié

Pot-Bouille
Chapitre 17 (extrait)

[…]

D’ailleurs, la maison avait retrouvé le train de son honnêteté bourgeoise. Derrière les portes d’acajou, de nouveaux abîmes de vertus se creusaient ; le monsieur du troisième venait travailler une nuit par semaine, l’autre madame Campardon passait avec la rigidité de ses principes, les bonnes étalaient des tabliers éclatants de blancheur ; et, dans le silence tiède de l’escalier, les pianos seuls, à tous les étages, mettaient les mêmes valses, une musique lointaine et comme religieuse.
Cependant, le malaise de l’adultère persistait, insensible pour les gens sans éducation, mais désagréable aux personnes d’une moralité raffinée. Auguste s’obstinait à ne pas reprendre sa femme, et tant que Berthe demeurerait chez ses parents, le scandale ne serait pas effacé, il en resterait une trace matérielle. Aucun locataire, du reste, ne racontait publiquement la véritable histoire, qui aurait gêné tout le monde ; d’un commun accord, sans même s’être entendu, on avait décidé que les difficultés entre Auguste et Berthe venaient des dix mille francs, d’une simple querelle d’argent : c’était beaucoup plus propre. On pouvait, dès lors, en parler devant les demoiselles. Les parents paieraient-ils ou ne paieraient-ils pas ? et le drame devenait tout simple, car pas un habitant du quartier ne s’étonnait ni ne s’indignait, à l’idée qu’une question d’argent pût déchaîner des gifles dans un ménage. Au fond, il est vrai, cette convention de bonne compagnie n’empêchait pas les choses d’être ; et la maison, malgré son calme devant le malheur, souffrait cruellement dans sa dignité.

Zola - Pot-Bouille - 1882




Annonce des axes

I. La dynamique cyclique
II. Une hypocrisie institutionnalisée et autorégulatrice
III. Un tableau critique suggestif et ironique



Commentaire littéraire

I. La dynamique cyclique

Située à l'avant-dernier chapitre du roman, cette scène récapitulative résonne comme un tableau rétrospectif attestant explicitement d'une intra-textualité comme d'une autoréférentialité narratives.

En effet, cet extrait fait de proche en proche, directement, écho à la scène initiale d'exposition du chapitre I. D'une scène à l'autre, les modifications sont minimes, voire imperceptibles. Si lors de la présentation de l'immeuble et de ses habitants, il est question du "silence grave de l'escalier" et de "l'air tiède qui venait du vestibule", dans cette scène, il s'agit du "silence tiède de l'escalier" interrompu par des rythmiques solennelles et graves. Le narrateur en vient même à renvoyer, avec l'adjectif "nouveau", à la scène originelle d'ouverture.
Révélant le mystère, au demeurant peu entretenu, des mystérieux intérieurs bourgeois ("Derrière les portes d'acajou, de nouveaux abîmes de vertus se creusaient"), cet extrait fait nettement référence à celle du chapitre premier quand cette énigme n'est encore que pressentie : "Derrière les belles portes d'acajou luisant, il y avait comme des abîmes d'honnêteté" (chapitre I). L'effet de symétrie est ainsi patent. D'autant que celui-ci répond non seulement à une même thématique (le faux-semblant bourgeois) mais en outre aux mêmes intrigues et au même personnel romanesque (les Vabre, les Josserand, les Campardon, "le monsieur du troisième"). Véritable motif musical, ce modèle narratif procède d'une mélopée avec son rythme lent et interminable qui retentit à travers tout le récit comme à l'occasion de cette scène : "à tous les étages [...] les mêmes valses, une musique lointaine et comme religieuse".
Ce phénomène de répétition est en outre rendu par l'emploi de l'imparfait généralisé dans cet extrait. Il s'agit enfin du réseau lexical de l'habitude et de la routine qui tend à homogénéiser immeubles et locataires : "le train de son honnêteté bourgeoise", "Aucun locataire", "publiquement", "tout le monde", "pas un habitant du quartier ne s'étonnait ni ne s'indignait", "la maison".


II. Une hypocrisie institutionnalisée et autorégulatrice

Confrontée au scandale de l'adultère de Berthe, la maison de la rue de Choiseul paraît décrire un processus d'autorégulation visant à dissiper la dépravation de la jeune femme.
Inquiets de la réputation de la maison comme de la leur, les locataires mettent en effet un point d'honneur à étouffer les rumeurs d'infamie qui circulent, s'autocensurant si besoin est : "Aucun locataire, du reste, ne racontait publiquement la véritable histoire, qui aurait gêné tout le monde". L'immeuble, davantage le quartier, font ainsi corps dans cette "affaire" même si le "malaise" reste perceptible chez certains comme le signale non sans ironie le narrateur : "le malaise de l'adultère [...] insensible pour les gens sans éducation, mais désagréable aux personnes d'une moralité raffinée".
Très rapidement, cependant, "la maison avait retrouvé le train de son honnêteté". Sous l'hypocrisie ouatée sensible à chaque étage, perçant derrière chaque porte et derrière chaque propos, il s'établit une connivence tacite et entendue entre les locataires : "d'un commun accord, sans même s'être entendu, on avait décidé que les difficultés entre Auguste et Berthe venaient des dix mille francs, d'une simple querelle d'argent : c'était beaucoup plus propre". Déguisant le motif du différend qui brouille le couple, ils invoquent une obscure question d'argent non moins sordide et mesquine : "On pouvait dès lors en parler devant les demoiselles. Les parents paieraient-ils ou ne paieraient-ils pas ? et le drame devenait tout simple, car pas un habitant du quartier ne s'étonnait ni ne s'indignait, à l'idée qu'une question d'argent pût déchaîner des gifles dans un ménage".

Aussi, à travers le déshonneur de Berthe, est-ce toute la maison qui est rendue solidaire et complice dans l'adultère et le mensonge. Au-delà des émois, semble ainsi prévaloir un instinct de conservation : l'hypocrisie dont Zola se plaît à peindre un tableau impressionniste et suggestif.


III. Un tableau critique suggestif et ironique

S'employant à porter un regard critique sur les pratiques de cette bourgeoisie d'apparat, Zola joue très subtilement des contrastes et des antithèses dont la duplicité du sens n'échappe pas au lecteur à ce stade du récit : "Derrière les portes d'acajou, de nouveaux abîmes de vertus se creusaient", "les bonnes étalaient des tabliers éclatants de blancheur", "une musique lointaine et comme religieuse".
Cette ambivalence ne se réduit pas aux lieux mais concerne également les personnages : "le monsieur du troisième venait [...] une nuit par semaine", "l'autre Mme Campardon passait avec la rigidité de ses principes". Plutôt que de revenir explicitement sur chacun des personnages, le romancier opère ici par allusions. Distillant parcimonieusement les informations sur les locataires et leur sombres activités, il parvient non seulement à un effet impressionniste mais aussi à tisser un étroit rapport de complicité avec son lecteur.

Il arrive que les contrastes suggestifs soient teintés de sarcasmes. Ce procédé est notamment rendu grâce à l'usage du discours indirect libre qui permet au narrateur de nous faire entendre toute la vacuité et l'hypocrisie des propos des locataires : "on avait décidé que les difficultés entre Auguste et Berthe venaient des dix mille francs [...] c'était beaucoup plus propre", "On pouvait, dès lors, en parler devant les demoiselles", "Au fond il est vrai, cette convention de bonne compagnie n'empêchait pas les choses d'être".

Sensible dans ces énoncés, le jugement moral de Zola peut aussi se livrer à découvert, sans guère de précautions énonciatives ou rhétoriques : "le malaise de l'adultère persistait, insensible pour les gens sans éducation, mais désagréable aux personnes d'une moralité raffinée", "et la maison, malgré son calme devant le malheur, souffrait cruellement dans sa dignité".





Conclusion

    Revenant à plusieurs reprises dans le récit sous des formes et avec nuances différentes, cette scène décline un véritable paradigme rythmique. Ponctuant la composition narrative de Pot-Bouille, à l'instar d'un leitmotiv, elle permet ainsi à la satire zolienne de la bourgeoisie de résonner avec d'autant plus de virulence.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse de Pot-Bouille de Zola