Une Vie

Guy de Maupassant - 1883

Extrait du chapitre 9

De "Quand il n’y eut plus qu’un amas..." à "...ni joie, ni bonheur."





Plan de la fiche sur le chapitre 9 de Une Vie de Maupassant :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Nous sommes à la fin du chapitre 9 de Une Vie de Guy de Maupassant, la baronne vient de mourir, Jeanne reste seule pour la veiller, emplie de chagrin et de souvenirs. Elle vient de trouver la correspondance amoureuse de sa mère et son infidélité, tout comme elle a découvert celle de son mari au début du chapitre. Tout cela contribue au sentiment de perte irrémédiable dans le deuil et la désillusion.

    Afin de mieux nous faire percevoir l’écoulement du temps, Maupassant construit cette scène comme un diptyque, qui renvoie à la scène de la fenêtre du chapitre 1 (en mai 1819 : seulement 2 ans se sont écoulés entre les 2 scènes). Ce contraste entre les 2 scènes est encore accentué par une utilisation ironique de la nature.

Une Vie - Maupassant



Lecture du texte

    Quand il n'y eut plus qu'un amas de cendres au fond du foyer, elle retourna s'asseoir auprès de la fenêtre ouverte comme si elle n'eût plus osé rester auprès de la morte, et elle se remit à pleurer, la figure dans ses mains, et gémissant d'un ton navré, d'un ton de plainte désolée : " Oh ! ma pauvre maman, oh ! ma pauvre maman ! "
    Et une atroce réflexion lui vint : - si petite mère n'était pas morte, par hasard, si elle n'était qu'endormie d'un sommeil léthargique, si elle allait soudain se lever, parler ? -- La connaissance de l'affreux secret n'amoindrirait-elle pas son amour filial ? L'embrasserait-elle des mêmes lèvres pieuses ? La chérirait-elle de la même affection sacrée ? Non. Ce n'était pas possible ! Et cette pensée lui déchira le cœur.
    La nuit s'effaçait ; les étoiles pâlissaient ; c'était l'heure fraîche qui précède le jour. La lune descendue allait s'enfoncer dans la mer qu'elle nacrait sur toute sa surface.
    Et le souvenir saisit Jeanne de cette nuit passée à la fenêtre lors de son arrivée aux Peuples. Comme c'était loin, comme tout était changé, comme l'avenir lui semblait différent !

    Et voilà que le ciel devint rose, d'un rose joyeux, amoureux, charmant. Elle regarda, surprise maintenant comme devant un phénomène, cette radieuse éclosion du jour, se demandant s'il était possible que sur cette terre où se levaient de pareilles aurores, il n'y eût ni joie ni bonheur.

    Extrait du chapitre 9 - Une Vie - Guy de Maupassant




Annonce des axes

I. Le rôle de la mémoire
1. La mémoire de Jeanne
2. La mémoire du lecteur

II. Le rôle des contrastes ironiques
1. Le dedans et le dehors
2. Une ironie désespérante



Commentaire littéraire

I. Le rôle de la mémoire

1. La mémoire de Jeanne

Elle réduit en cendres le passé de sa mère et le sien : elle a brûlé les lettres familiales et amoureuses.
Nous l’entendons pousser une « plainte désolée » au discours direct « Oh ! ma pauvre maman ».
Puis elle se torture et nous suivons ses réflexions, sa pensée au discours indirect libre « la connaissance de l’affreux secret n’amoindrirait-elle pas son amour filial ? » puis « comme c’était loin ! ».
Enfin nous entrons dans ses pensées amères au discours indirect : « se demandant s’il était possible que, sur cette terre […] il n’y eut ni joie ni bonheur ».
Ces choix progressifs de discours, nous éloigne peu à peu de Jeanne, avec le discours direct nous partageons son chagrin ensuite ses divagations sur la résurrection de sa mère sont mises à distance, puis sa pensée plus générale (presque philosophique), sa réflexion sur la vie, nous est transmise indirectement comme si le narrateur et nous même pouvaient aussi la partager.

Nous partageons aussi son souvenir de la première soirée aux peuples, selon la manière de Maupassant de nous associer à la mémoire du personnage. Il crée ainsi son diptyque en renforçant l’unité de l’œuvre et nous fait parcourir l’épaisseur temporelle d’une durée subjective.


2. La mémoire du lecteur

Nous gardons en mémoire la première scène et Maupassant nous guide en construisant ces scènes symétriquement et de façon contrastée.
Nous sommes la nuit avec Jeanne, devant la fenêtre ouverte, au printemps : dans la première scène, elle est debout, dans la seconde, elle retourne s’asseoir, accablée.
Ici ses pensées sont endeuillées, déchirantes, au lieu d’être joyeuses, pleines d’espoir. Dans notre première scène, elle rêvait d’amour conjugal, ici elle perd même son amour filial, l’amour conjugal étant déjà perdu.
Maupassant nous rend directement sensible la perception du temps, nous pensons comme Jeanne : « comme c’était loin, comme tant était changé, comme l’avenir lui semblait différent ! ». Elle a déjà perdue beaucoup d’illusions, son mari, au lieu d’être le prince charmant se révèle être avare, brutal, infidèle. Sa mère est morte, au lieu de laisser un souvenir de Sainte (selon l’abbé Picot), elle est une femme méprisable, infidèle, tout n’est que tromperie et mensonge (« non ce n’était pas possible ». Elle ne peut aimer sa mère infidèle).

A travers la perception, la sensibilité et la morale de Jeanne, Maupassant nous fait partager sa conception pessimiste du monde.


II. Le rôle des contrastes ironiques

1. Le dedans et le dehors

Les deux espaces forment un contraste : à l’intérieur de la chambre règne l’obscurité, la mort, le deuil. Dans le foyer on ne  voit plus « qu’un amas de cendres » qui renvoie symboliquement aux cendres du cœur de Jeanne, aux illusions détruites : celles du passé  (lettres), celles du présent (mort de mère) et même celles de l’avenir. L’espoir est perdu : « ni joie ni bonheur ». Dedans s’écoulent les larmes et monte la plainte de Jeanne. Dehors, « la nuit s’efforçait », « c’était l’heure fraîche qui précède le jour », la lune « navrait la mer ». Dehors, le monde est lumineux, beau, jeune, joyeux et même amoureux, c’est le printemps.
Seul ici le ciel est joyeux et amoureux, cette aurore radieuse surprend Jeanne comme une ironie désespérante.


2. Une ironie désespérante

L’indifférence de la nature, souligne par contraste le désespoir de Jeanne. Dans la première scène du chapitre 1, il y avait accord entre la nuit printanière et la jeune fille. Les beautés de la nature, ses plaisirs formaient avec la joie de Jeanne une harmonie parfaite et illusoire. Maintenant l’aurore est si joyeuse, si amoureuse qu’elle paraît une ironie navrante, une blessure, une moquerie, une cruauté supplémentaire pour cette femme en deuil.





Conclusion

    Cette scène forme un diptyque avec celle du Chapitre 1 de Une Vie : elles s’éclairent l’une l’autre, par contraste et permettent à Maupassant, en racontant une vie, de nous faire percevoir sa conception de la vie, du temps qui passe, de la mort qui frappe et des illusions qui se perdent.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse sur le chapitre 9 de Une Vie de Maupassant