Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise,
Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes
mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers
la toile de l'araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, - les
fleurs qui regardaient déjà.
Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et
l'on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme
sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, - aux abattoirs, dans
les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres.
Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les "mazagrans"
fumèrent dans les estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les
enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant
tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des
clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et
les premières communions se célébrèrent aux cent
mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti
dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par
les déserts de thym, - et les églogues en sabots
grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette,
bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
- Sourds, étang, - écume, roule sur le pont, et par
dessus les bois; - draps noirs et orgues, - éclairs et
tonnerres - montez et roulez; - Eaux et tristesses,
montez et relevez les Déluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, - oh les pierres
précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes, ! -
c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa
braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous
raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande; son dormaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
A la lisière de la forêt, - les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, - la fille à lèvres d'orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu'ombrent, traversent et habillent les arcs-en ciel, la flore, la mer.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la
mer; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse
vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets
et des jardinets dégelés - jeunes mères et grandes
soeurs aux regards pleins de pèlerinages - sultanes,
princesses de démarche et de costume tyranniques,
petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, I'heure du "cher corps" et
"cher cœur".
C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. - La jeune maman trépassée descend le perron. - La calèche du cousin crie sur le sable. - Le petit frère - (il est aux Indes !) là, devant le couchant, sur le pré d'œillets. - Les vieux qu'on a enterrés tout droits dans le rempart aux giroflées.
L'essaim des feuilles d'or entoure la maison du général. Ils sont dans le Midi. - On suit la route rouge pour arriver à l'auberge vide. Le château est à vendre; les persiennes sont détachées. - Le curé aura emporté la clef de l'église. - Autour du parc, les loges des gardes sont inhabitées. Les palissades sont si hautes qu'on ne voit que les cimes bruissantes. D'ailleurs il n'y a rien à voir là-dedans.
Les prés remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. L'écluse est levée. ô les calvaires et les moulins du désert, les îles et les meules !
Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berçaient. Des bêtes d'une élégance fabuleuse circulaient. Les nuées s'amassaient sur la haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes.
Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisère du bois.
Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.
Je suis le saint, en prière sur la terrasse,-comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l'allée dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.
Qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du ciment en relief - très loin sous terre.
Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt.-
A une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons s'implantent, les brumes s'assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin !
Moins haut, sont des égouts. Aux côtés, rien que l'épaisseur du globe. Peut-être les gouffres d'azur, des puits de feu. C'est peut-être sur ces plans que se rencontrent lunes et comètes, mers et fables.
Aux heures d'amertume je m'imagine des boules de saphir, de métal. Je suis maître du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle au coin de la voûte ?
Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour. A présent, gentilhomme d'une campagne aigre au ciel sobre, j'essaye de m'émouvoir au souvenir de l'enfance mendiante, de l'apprentissage ou de l'arrivée en sabots, des polémiques, des cinq ou six veuvages, et quelques noces où ma forte tête m'empêcha de monter au diapason des camarades. Je ne regrette pas ma vieille part de gaîté divine: l'air sobre de cette aigre campagne alimente fort activement mon atroce scepticisme. Mais comme ce scepticisme ne peut désormais être mis en oeuvre, et que d'ailleurs je suis dévoué à un trouble nouveau, - j'attends de devenir un très méchant fou.
Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde, j'ai illustré la comédie humaine. Dans un cellier j'ai appris l'histoire. A quelque fête de nuit dans une cité du Nord, j'ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres. Dans un vieux passage à Paris on m'a enseigné les sciences classiques. Dans une magnifique demeure cernée par l'Orient entier j'ai accompli mon immense et passé mon illustre retraite. J'ai brassé mon sang. Mon devoir m'est remis. Il ne faut même plus songer à cela. Je suis réellement d'outre-tombe, et pas de commissions.
Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
Ta tête se détourne: le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour !
Arrivée de toujours, qui t'en iras partout.
C'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.
C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami.
C'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. L'aimée.
L'air et le monde point cherchés. La vie.
L'éclairage revient à l'arbre de bâtisse. Des deux extrérnités de la salle, décors quelconques, des élévations harmoniques se joignent. La muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes de frises, de bandes athmosphériques et d'accidences géologiques. - Rêve intense et rapide de groupes sentimentaux avec des êtres de tous les caractères parmi toutes les apparences.
Les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage.
La mer de la veillée, telle que les seins d'Amélie.
Les tapisseries, jusqu'à mi-hauteur, des taillis de dentelle, teinte d'émeraude, où se jettent les tourterelles de la veillée.
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La plaque du foyer noir, de réels soleils des grèves: ah ! puits des magies; seule vue d'aurore, cette fois.
Enfant, certains ciels ont affiné
mon optique: tous les caractères nuancèrent ma
physionomie. Les Phénomènes s'émurent. - A présent
l'inflexion éternelle des moments et l'infini des
mathématiques me chassent par ce monde où je subis tous
les succès civils, respecté de l'enfance étrange et
des affections énormes. - Je songe à une Guerre, de droit ou de force, de logique bien imprévue.
C'est aussi simple qu'une phrase musicale.
Jeunesse
Les calculs de côté,
I'inévitable descente du ciel, et la visite des
souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure,
la tête et le monde de l'esprit.
- Un cheval détale sur le turf suburbain, et le long des
cultures et des boisements, percé par la peste
carbonique. Une misérable femme de drame, quelque part
dans le monde,soupire après des abandons improbables.
Les desperadoes languissent après l'orage, l'ivresse et
les blessures. De petits enfants étouffent des
malédictions le long des rivières.-
Reprenons l'étude au bruit de l'oeuvre dévorante qui se
rassemble et remonte dans les masses.
Homme de constitution ordinaire, la chair n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger; - ô journées enfantes ! - le corps un trésor à prodiguer; - ô aimer, le péril ou la force de Psyché ? La terre avait des versants fertiles en princes et en artistes, et la descendance et la race vous poussaient aux crimes et aux deuils: le monde, votre fortune et votre péril. Mais à présent, ce labeur comblé, toi, tes calculs, - toi, tes impatiences - ne sont plus que votre danse et votre voix, non fixées et point forcées, quoique d'un double événement d'invention et de succès une saison, - en l'humanité fraternelle et discrète par l'univers sans images; - la force et le droit réfléchissent la danse et la voix à présent seulement appréciées.
Les voix instructives exilées... L'ingénuité physique amèrement rassise... - Adagio. Ah ! l'égoïsme infini de l'adolescence, l'optimisme studieux : que le monde était plein de fleurs cet été ! Les airs et les formes mourant... - Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence ! Un choeur de verres, de mélodies nocturnes... En effet les nerfs vont vite chasser.
Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.
Ce sont les conquérants du
monde
Cherchant la fortune chimique personnelle;
Le sport et le comfort voyagent avec eux;
Ils emmènent l'éducation
Des races, des classes et des bêtes, sur ce Vaisseau.
Repos et vertige
A la lumière diluvienne,
Aux terribles soirs d'étude.
Car de la causerie parmi
les appareils, - le sang; les fleurs, le feu, les bijoux-
Des comptes agités à ce bord fuyard,
- On voit, roulant comme une digue au-delà de la route
hydraulique motrice:
Monstrueux, s'éclairant sans fin, - leur stock
d'études;
Eux chassés dans l'extase harmonique
Et l'héroïsme de la découverte.
Aux accidents
atmosphériques les plus surprenants
Un couple de jeunesse s'isole sur l'arche,
- Est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne ?
Et chante et se poste.