Aussitôt que l'idée du Déluge se fut rassise,
Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes
mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers
la toile de l'araignée.
Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, - les
fleurs qui regardaient déjà.
Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et
l'on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme
sur les gravures.
Le sang coula, chez Barbe-Bleue, - aux abattoirs, dans
les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres.
Le sang et le lait coulèrent.
Les castors bâtirent. Les "mazagrans"
fumèrent dans les estaminets.
Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les
enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant
tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des
clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et
les premières communions se célébrèrent aux cent
mille autels de la cathédrale.
Les caravanes partirent. Et le Splendide-Hôtel fut bâti
dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par
les déserts de thym, - et les églogues en sabots
grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette,
bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
- Sourds, étang, - écume, roule sur le pont, et par
dessus les bois; - draps noirs et orgues, - éclairs et
tonnerres - montez et roulez; - Eaux et tristesses,
montez et relevez les Déluges.
Car depuis qu'ils se sont dissipés, - oh les pierres
précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes, ! -
c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa
braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous
raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
Cette idole, yeux noirs et crin jaune, sans parents ni cour, plus noble que la fable, mexicaine et flamande; son dormaine, azur et verdure insolents, court sur des plages nommées, par des vagues sans vaisseaux, de noms férocement grecs, slaves, celtiques.
A la lisière de la forêt, - les fleurs de rêve tintent, éclatent, éclairent, - la fille à lèvres d'orange, les genoux croisés dans le clair déluge qui sourd des prés, nudité qu'ombrent, traversent et habillent les arcs-en ciel, la flore, la mer.
Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la
mer; enfantes et géantes, superbes noires dans la mousse
vert-de-gris, bijoux debout sur le sol gras des bosquets
et des jardinets dégelés - jeunes mères et grandes
soeurs aux regards pleins de pèlerinages - sultanes,
princesses de démarche et de costume tyranniques,
petites étrangères et personnes doucement malheureuses.
Quel ennui, I'heure du "cher corps" et
"cher cœur".
C'est elle, la petite morte, derrière les rosiers. - La jeune maman trépassée descend le perron. - La calèche du cousin crie sur le sable. - Le petit frère - (il est aux Indes !) là, devant le couchant, sur le pré d'œillets. - Les vieux qu'on a enterrés tout droits dans le rempart aux giroflées.
L'essaim des feuilles d'or entoure la maison du général. Ils sont dans le Midi. - On suit la route rouge pour arriver à l'auberge vide. Le château est à vendre; les persiennes sont détachées. - Le curé aura emporté la clef de l'église. - Autour du parc, les loges des gardes sont inhabitées. Les palissades sont si hautes qu'on ne voit que les cimes bruissantes. D'ailleurs il n'y a rien à voir là-dedans.
Les prés remontent aux hameaux sans coqs, sans enclumes. L'écluse est levée. ô les calvaires et les moulins du désert, les îles et les meules !
Des fleurs magiques bourdonnaient. Les talus le berçaient. Des bêtes d'une élégance fabuleuse circulaient. Les nuées s'amassaient sur la haute mer faite d'une éternité de chaudes larmes.
Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisère du bois.
Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.
Je suis le saint, en prière sur la terrasse,-comme les bêtes pacifiques paissent jusqu'à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand'route par les bois nains; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d'or du couchant.
Je serais bien l'enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l'allée dont le front touche le ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L'air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.
Qu'on me loue enfin ce tombeau, blanchi à la chaux avec les lignes du ciment en relief - très loin sous terre.
Je m'accoude à la table, la lampe éclaire très vivement ces journaux que je suis idiot de relire, ces livres sans intérêt.-
A une distance énorme au-dessus de mon salon souterrain, les maisons s'implantent, les brumes s'assemblent. La boue est rouge ou noire. Ville monstrueuse, nuit sans fin !
Moins haut, sont des égouts. Aux côtés, rien que l'épaisseur du globe. Peut-être les gouffres d'azur, des puits de feu. C'est peut-être sur ces plans que se rencontrent lunes et comètes, mers et fables.
Aux heures d'amertume je m'imagine des boules de saphir, de métal. Je suis maître du silence. Pourquoi une apparence de soupirail blêmirait-elle au coin de la voûte ?
Un Prince était vexé de ne s'être
employé jamais qu'à la perfection des générosités
vulgaires. Il prévoyait d'étonnantes révolutions de
l'amour, et soupçonnait ses femmes de pouvoir mieux que
cette complaisance agrémentée de ciel et de luxe. Il
voulait voir la vérité, l'heure du désir et de la
satisfaction essentiels. Que ce fût ou non une
aberration de piété, il voulut. Il possédait au moins
un assez large pouvoir humain.
Toutes les femmes qui l'avaient connu furent
assassinées. Quel saccage du jardin de la beauté ! Sous
le sabre, elles le bénirent. Il n'en commanda point de
nouvelles. - Les femmes réapparurent.
Il tua tous ceux
qui le suivaient, après la chasse ou les libations. -
Tous le suivaient.
Il s'amusa à égorger les bêtes de luxe. Il fit flamber
les palais. Il se ruait sur les gens et les taillait en
pièces. - la foule, les toits d'or, les belles bêtes
existaient encore.
Peut-on s'extasier dans la destruction, se rajeunir par
la cruauté ! Le peuple ne murmura pas. Personne n'offrit
le concours de ses vues.
Un soir il galopait fièrement. Un Génie apparut, d'une
beauté ineffable, inavouable même. De sa physionomie et
de son maintien ressortait la promesse d'un amour
multiple et complexe ! d'un bonheur indicible,
insupportable même ! Le Prince et le Génie
s'anéantirent probablement dans la santé essentielle.
Comment n'auraient-ils pas pu en mourir ? Ensemble donc
ils moururent.
Mais ce Prince décéda, dans son palais, à un âge
ordinaire. Le Prince était le Génie. Le Génie était
le Prince.
La musique savante manque à notre désir.
Des drôles très solides. Plusieurs
ont exploité vos mondes. Sans besoins, et peu pressés
de mettre en oeuvre leurs brillantes facultés et leur
expérience de vos consciences. Quels hommes mûrs ! Des
yeux hébétés à la façon de la nuit d'été, rouges
et noirs, tricolores, d'acier piqué d'étoiles d'or; des
faciès déformés, plombés, blêmis, incendiés; des
enrouements folâtres ! La démarche cruelle des oripeaux ! - Il y a quelques jeunes, - comment regarderaient-ils
Chérubin ?- pourvus de voix effrayantes et de quelques
ressources dangereuses. On les envoie prendre du dos en
ville, affublés d'un luxe dégoûtant.
O le plus violent Paradis de la grimace enragée ! Pas
de comparaison avec vos Fakirs et les autres
bouffonneries scéniques. Dans des costumes improvisés
avec le goût du mauvais rêve ils jouent des
complaintes, des tragédies de malandrins et de
demi-dieux spirituels comme l'histoire ou les religions
ne l'ont jamais été. Chinois, Hottentots, bohémiens,
niais, hyènes, Molochs, vieilles démences, démons
sinistres, ils mêlent les tours populaires, maternels,
avec les poses et les tendresses bestiales. Ils
interpréteraient des pièces nouvelles et des chansons
"bonnes filles".
Maîtres jongleurs, ils transforment le lieu et les
personnes, et usent de la comédie magnétique. Les yeux
flambent, le sang chante, les os s'élargissent, les
larmes et des filets rouges ruissellent. Leur raillerie
ou leur terreur dure une minute, ou des mois entiers.
J'ai seul la clef de cette parade sauvage.
Gracieux fils de Pan ! Autour de ton
front couronné de fleurettes et de baies tes yeux, des
boules précieuses, remuent. Tachées de lies brunes, tes
joues se creusent. Tes crocs luisent. Ta poitrine
ressemble à une cithare, des tintements circulent dans
tes bras blonds.
Ton cœur bat dans ce ventre où dort le double sexe.
Promène-toi, la nuit, en mouvant doucement cette cuisse,
cette seconde cuisse et cette jambe de gauche.
Devant une neige Un Etre de Beauté de haute taille. Des sifflements de mort et des cercles de musique sourde font monter, s'élargir et trembler comme un spectre ce corps adoré, des blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes. Les couleurs propres de la vie se foncent, dansent, et se dégagent autour de la Vision, sur le chantier. Et les frissons s'élèvent et grondent et la saveur forcenée de ces effets se chargeant avec les sifflements mortels et les rauques musiques que le monde, loin derrière nous, lance sur notre mère de beauté, - elle recule, elle se dresse. Oh ! nos os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux.
Ô la face cendrée, lécusson de
crin, les bras de cristal ! Le canon sur lequel je dois
m'abattre à travers la mêlée des arbres et de l'air
léger !
Ô les énormes avenues du pays saint, les terrasses du temple ! Qu'a-t-on fait du brahmane qui m'expliqua les Proverbes ? D'alors, de là-bas, je vois encore même les vieilles ! Je me souviens des heures d argent et de soleil vers les fleuves, la main de la compagne sur mon épaule, et de nos caresses debout dans les plaines poivrées. - Un envol de pigeons écarlates tonne autour de ma pensée - Exilé ici, j ai eu une scène où jouer les chefs-d'oeuvre dramatiques de toutes les littératures. Je vous indiquerais les richesses inouïes. J'observe l'histoire des trésors que vous trouvâtes. Je vois la suite ! Ma sagesse est aussi dédaignée que le chaos. Qu'est mon néant, auprès de la stupeur qui vous attend ?
Je suis un inventeur bien autrement méritant que tous ceux qui m'ont précédé; un musicien même, qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour. A présent, gentilhomme d'une campagne aigre au ciel sobre, j'essaye de m'émouvoir au souvenir de l'enfance mendiante, de l'apprentissage ou de l'arrivée en sabots, des polémiques, des cinq ou six veuvages, et quelques noces où ma forte tête m'empêcha de monter au diapason des camarades. Je ne regrette pas ma vieille part de gaîté divine: l'air sobre de cette aigre campagne alimente fort activement mon atroce scepticisme. Mais comme ce scepticisme ne peut désormais être mis en oeuvre, et que d'ailleurs je suis dévoué à un trouble nouveau, - j'attends de devenir un très méchant fou.
Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde, j'ai illustré la comédie humaine. Dans un cellier j'ai appris l'histoire. A quelque fête de nuit dans une cité du Nord, j'ai rencontré toutes les femmes des anciens peintres. Dans un vieux passage à Paris on m'a enseigné les sciences classiques. Dans une magnifique demeure cernée par l'Orient entier j'ai accompli mon immense et passé mon illustre retraite. J'ai brassé mon sang. Mon devoir m'est remis. Il ne faut même plus songer à cela. Je suis réellement d'outre-tombe, et pas de commissions.
Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. - ô Rumeurs et Visions !
Départ dans l'affection et le bruit neufs !
Un beau matin, chez un peuple fort
doux, un homme et une femme superbes criaient sur la
place publique. "Mes amis, je veux qu elle soit
reine ! " " Je veux être reine !" Elle
riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation,
d'épreuve terminée. Ils se pâmaient l'un contre
l'autre.
En effet ils furent rois toute une matinée où les
tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et
tout l'après-midi, où ils s'avancèrent du côté des
jardins de palmes.
Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.
Ta tête se détourne: le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour !
"Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps", te chantent ces enfants. "élève n'importe où la substance de nos fortunes et de nos voeux " on t'en prie.
Arrivée de toujours, qui t'en iras partout.
Ô mon Bien ! ô mon Beau ! Fanfare
atroce où je ne trébuche point ! Chevalet féerique !
Hourra pour l'oeuvre inouïe et pour Ie corps
merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous
les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va
rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare
tournant, nous serons rendus à l'ancienne inharmonie. ô
maintenant nous si digne de ces tortures ! rassemblons
fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps
et à notre âme créés: cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a
promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal,
de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous
amenions notre très pur amour. Cela commença par
quelques dégoûts et cela finit, - ne pouvant nous
saisir sur-le-champ de cette éternité, - cela finit par
une débandade de parfums.
Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité
des vierges, horreur des figures et des objets d'ici,
sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela
commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit
par des anges de flamme et de glace.
Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que
pour le masque dont tu as gratifié. Nous t'affirmons,
méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier
chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous
savons donner notre vie tout entière tous les jours.
Voici le temps des Assassins.
Quand le monde sera réduit en un
seul bois noir pour nos quatre yeux étonnés, - en une
plage pour deux enfants fidèles, - en une maison
musicale pour notre claire syrnpathie, - je vous
trouverai.
Qu'il n'y ait ici-bas qu'un vieillard seul, calme et
beau, entouré d'un "luxe inouï", - et je suis à
vos genoux.
Que j'aie réalisé tous vos souvenirs,- que je sois
celle qui sait vous garrotter, - je vous étoufferai.
Quand nous sommes très forts, - qui recule ? très gais,
- qui tombe de ridicule ? Quand nous sommes très
méchants, que ferait-on de nous.
Parez-vous, dansez, riez. - Je ne pourrai jamais envoyer
l'Amour par la fenêtre.
- Ma camarade, mendiante, enfant monstre ! comme ça t'est égal, ces malheureuses et ces manoeuvres, et mes embarras. Attache-toi à nous avec ta voix impossible, ta voix ! unique flatteur de ce vil désespoir.
Une matinée couverte, en Juillet. Un goût de cendres vole dans l'air; - une odeur de bois suant dans l'âtre,- les fleurs rouies - le saccage des promenades - la bruine des canaux par les champs - pourquoi pas déjà les joujoux et l'encens ?
J'ai tendu des cordes de clocher à clocher; des guirlandes de fenêtre à fenêtre; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse.
Le haut étang fume continuellement. Quelle sorcière va se dresser sur le couchant blanc ? Quelles violettes frondaisons vont descendre ?
Pendant que les fonds publics s'écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages.
Avivant un agréable goût d'encre de Chine une poudre noire pleut doucement sur ma veillée. - Je baisse les feux du lustre, je me jette sur le lit, et tourné du côté de l'ombre je vous vois, mes filles ! mes reines !
Ô cette chaude matinée de
février. Le Sud inopportun vint relever nos souvenirs
d'indigents absurdes, notre jeune misère.
Henrika avait une jupe de coton à carreau blanc et brun,
qui a dû être portée au siècle dernier, un bonnet à
rubans, et un foulard de soie. C'était bien plus triste
qu'un deuil. Nous faisions un tour dans la banlieue. Le
temps était couvert et ce vent du Sud excitait toutes
les vilaines odeurs des jardins ravagés et des prés
desséchés.
Cela ne devait pas fatiguer ma femme au même point que
moi. Dans une flache laissée par l'inondation du mois
précédent à un sentier assez haut elle me fit
remarquer de très petits poissons.
La ville, avec sa fumée et ses bruits de métiers, nous
suivait très loin dans les chemins. ô I'autre monde,
I'habitation bénie par le ciel et les ombrages ! Le Sud
me rappelait les misérables incidents de mon enfance,
mes désespoirs d été, l'horrible quantité de force et
de science que le sort a toujours éloignée de moi. Non ! nous ne passerons pas l'eté dans cet avare pays où
nous ne serons jamais que des orphelins fiancés. Je veux
que ce bras durci ne traîne plus une chère image.
Des ciels gris de cristal. Un bizarre dessin de ponts, ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en angles sur les premiers, et ces figures se renouvelant dans les autres circuits éclairés du canal, mais tous tellement longs et légers que les rives, chargées de dômes s'abaissent et s'amoindrissent. Quelques uns de ces ponts sont encore chargés de masures. D'autres soutiennent des mâts, des signaux, de frêles parapets. Des accords mineurs se croisent, et filent, des cordes montent des berges. On distingue une veste rouge, peut-être d'autres costumes et des instruments de musique. Sont-ce des airs populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants d'hymnes publics ? L'eau est grise et bleue, large comme un bras de mer. - Un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie.
Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une métropole crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! Ces millions de gens qui n'ont pas besoin de se connaître amènent si pareillement l'éducation, le métier et la vieillesse, que ce cours de vie doit être plusieurs fois moins long que ce qu'une statistique folle trouve pour les peuples du continent. Aussi comme, de ma fenêtre, je vois des spectres nouveaux roulant à travers l'épaisse et éternelle fumée de charbon, - notre ombre des bois, notre nuit d'été ! - des rynnies nouvelles, devant mon cottage qui est ma patrie et tout mon cœur puisque tout ici ressemble à ceci, - la Mort sans pleurs, notre active fille et servante, un Amour désespéré, et un joli Crime piaulant dans la boue de la rue.
A droite l'aube d'été éveille les feuilles et les vapeurs et les bruits de ce coin du parc, et les talus de gauche tiennent dans leur ombre violette les mille rapides ornières de la route humide. Défilé de féeries. En effet: des chars chargés d'animaux de bois doré, de mâts et de toiles bariolées, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés, et les enfants et les hommes sur leurs bêtes les plus étonnantes; - vingt véhicules, bossés, pavoisés et fleuris comme des carrosses anciens ou de contes, pleins d'enfants attifés pour une pastorale suburbaine. - Même des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d'ébène, filant au trot des grandes juments bleues et noires.
Ce sont des villes ! C'est un peuple
pour qui se sont montés ces Alleghanys et ces Libans de
rêve ! Des chalets de cristal et de bois qui se meuvent
sur des rails et des poulies invisibles. Les vieux
cratères ceints de colosses et de palmiers de cuivre
rugissent mélodieusement dans les feux. Des fêtes
amoureuses sonnent sur les canaux pendus derrière les
chalets. La chasse des carillons crie dans les gorges.
Des corporations de chanteurs géants accourent dans des
vêtements et des oriflammes éclatants comme la lumière
des cimes. Sur les plates-formes au milieu des gouffres
les Rolands sonnent leur bravoure. Sur les passerelles de
l'abîme et les toits des auberges l'ardeur du ciel
pavoise les mâts. L'écroulement des apothéoses rejoint
les champs des hauteurs où les centauresses séraphiques
évoluent parmi les avalanches. Au-dessus du niveau des
plus hautes crêtes, une mer troublée par la naissance
éternelle de Vénus, chargée de flottes orphéoniques
et de la rumeur des perles et des conques précieuses, -
la mer s'assombrit parfois avec des éclats mortels. Sur
les versants des moissons de fleurs grandes comme nos
armes et nos coupes, mugissent. Des cortèges de Mabs en
robes rousses, opalines, montent des ravines. Là-haut,
les pieds dans la cascade et les ronces, les cerfs
tettent Diane. Les Bacchantes des banlieues sanglotent et
la lune brûle et hurle. Vénus entre dans les cavernes
des forgerons et des ermites. Des groupes de beffrois
chantent les idées des peuples. Des châteaux bâtis en
os sort la musique inconnue. Toutes les légendes
évoluent et les élans se ruent dans les bourgs. Le
paradis des orages s'effondre. Les sauvages dansent sans
cesse la fête de la nuit. Et une heure je suis descendu
dans le mouvement d'un boulevard de Bagdad où des
compagnies ont chanté la joie du travail nouveau, sous
une brise épaisse, circulant sans pouvoir éluder les
fabuleux fantômes des monts où l'on a dû se retrouver.
Quels bons bras, quelle belle heure me rendront cette
région d'où viennent mes sommeils et mes moindres
mouvements ?
Pitoyable frère ! Que d'atroces
veillées je lui dus ! Je ne me saisissais pas
fervemment de cette entreprise. Je m'étais joué de son
infirmité. Par ma faute nous retournerions en exil, en
esclavage. " Il me supposait un guignon et une
innocence très bizarres, et il ajoutait des raisons
inquiétantes.
Je répondais en ricanant à ce satanique docteur, et
finissais par gagner la fenêtre. Je créais, par-delà
la campagne traversée par des bandes de musique rare,
les fantômes du futur luxe nocturne.
Après cette distraction vaguement hygiénique, je
m'étendais sur une paillasse. Et, presque chaque nuit,
aussitôt endormi, le pauvre frère se levait, la bouche
pourrie, les yeux arrachés, - tel qu'il se rêvait ! -
et me tirait dans la salle en hurlant son songe de
chagrin idiot.
J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris
l'engagement de le rendre à son état primitif de fils
du Soleil, - et nous errions, nourris du vin des cavernes
et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu
et la formule.
L'Acropole officielle outre les
conceptions de la barbarie moderne les plus colossales.
Impossible d'exprimer le jour mat produit par ce ciel
immuablement gris, l'éclat impérial des bâtisses, et
la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût
d'énormité singulier toutes les merveilles classiques
de l'architecture. J'assiste à des expositions de
peinture dans des locaux vingt fois plus vastes
qu'Hampton-Court. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor
norvégien a fait construire les escaliers des
ministères; les subalternes que j'ai pu voir sont déjà
plus fiers que des [Brahmas], et j'ai tremblé à
l'aspect des gardiens de colosses et officiers de
constructions. Par le groupement des bâtiments en
squares, cours et terrasses fermées, on a évincé les
cochers. Les parcs représentent la nature primitive
travaillée par un art superbe. Le haut quartier a des
parties inexplicables: un bras de mer, sans bateaux,
roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés
de candélabres géants. Un pont court conduit à une
poterne immédiatement sous le dôme de la
Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d'acier
artistique de quinze mille pieds de diamètre environ.
Sur quelques points des passerelles de cuivre, des
plates-formes, des escaliers qui contournent les halles
et les piliers, j'ai cru pouvoir juger la profondeur de
la ville ! C'est le prodige dont je n'ai pu me rendre
compte: quels sont les niveaux des autres quartiers sur
ou sous l'acropole ? Pour l'étranger de notre temps la
reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant
est un circus d'un seul style, avec galeries à arcades.
On ne voit pas de boutiques. Mais la neige de la
chaussée est écrasée; quelques nababs aussi rares que
les promeneurs d'un matin de dimanche à Londres, se
dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans
de velours rouge: on sert des boissons polaires dont le
prix varie de huit cents à huit mille roupies. A l'idée
de chercher des théâtres sur ce circus, je me réponds
que les boutiques doivent contenir des drames assez
sombres. Je pense qu'il y a une police. Mais la loi doit
être tellement étrange, que je renonce à me faire une
idée des aventuriers d' ici.
Le faubourg, aussi élégant qu'une belle rue de Paris est
favorisé d'un air de lumière. Lélément démocratique
compte quelques cents âmes. Là encore les maisons ne se
suivent pas; le faubourg se perd bizarrement dans la
campagne, le "Comté¾ qui remplit l'occident
éternel des forêts et des plantations prodigieuses où
les gentilshommes sauvages chassent leurs chroniques sous
la lumière qu'on a créée.
C'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré.
C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami.
C'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. L'aimée.
L'air et le monde point cherchés. La vie.
- Etait-ce donc ceci ?
- Et le rêve fraîchit.
L'éclairage revient à l'arbre de bâtisse. Des deux extrérnités de la salle, décors quelconques, des élévations harmoniques se joignent. La muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes de frises, de bandes athmosphériques et d'accidences géologiques. - Rêve intense et rapide de groupes sentimentaux avec des êtres de tous les caractères parmi toutes les apparences.
Les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage.
La mer de la veillée, telle que les seins d'Amélie.
Les tapisseries, jusqu'à mi-hauteur, des taillis de dentelle, teinte d'émeraude, où se jettent les tourterelles de la veillée.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La plaque du foyer noir, de réels soleils des grèves: ah ! puits des magies; seule vue d'aurore, cette fois.
Sur la pente du talus, les anges
tournent leurs robes de laine dans les herbages d'acier
et d'émeraude.
Des prés de flammes bondissent jusqu'au sommet du
mamelon. A gauche le terreau de l'arête est piétiné
par tous les homicides et toutes les batailles, et tous
les bruits désastreux filent leur courbe. Derrière
l'arête de droite la ligne des orients, des progrès.
Et tandis que la bande en haut du tableau est formée de
la rumeur tournante et bondissante des conques des mers
et des nuits humaines,
La douceur fleurie des étoiles et du ciel et du reste
descend en face du talus, - contre un panier, - contre
notre face, et fait l'abîme fleurant et bleu
là-dessous.
J'ai embrassé l'aube d'été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L'eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s'échevela à travers les sapins: à la cime argentée, je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l'allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l'ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d'un bois de lauriers, je l'ai
entourée avec ses voiles amassés, et j'ai senti un peu
son immense corps. L'aube et l'enfant tombèrent au bas
du bois.
Au réveil il était midi.
D'un gradin d'or, - parmi les
cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et
les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au
soleil, - je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de
filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures.
Des pièces d'or jaune semées sur l'agate, des piliers
d'acajou supportant un dôme d'érmeraudes, des bouquets
de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la
rose d'eau.
Tels qu'un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de
neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre
la foule des jeunes et fortes roses.
Un souffle ouvre des brèches
opéradiques dans les cloisons, brouille le pivotement
des toits rongés, - disperse les limites des foyers, -
éclipse les croisées.
- Le long de la vigne, m'étant
appuyé du pied à une gar- gouille, - je suis descendu
dans ce carrosse dont l'époque est assez indiquée par
les glaces convexes, les panneaux bombés et les sophas
contournés. Corbillard de mon sommeil, isolé, maison de
berger de ma niaiserie, le véhicule vire sur le gazon de
la grande route effacée: et dans un défaut en haut de
la glace de droite tournoient les blêmes figures
lunaires, feuilles, seins; - Un vert et un bleu très
foncés envahissent l'image.
Dételage aux environs d'une tache de gravier.
- Ici va-t-on siffler pour l'orage, et les Sodomes, et
les Solymes, - et les bêtes féroces et les armées,
- (Postillons et bêtes de songe reprendront-ils sous les
plus suffocantes futaies, pour m'enfoncer jusqu'aux yeux
dans la source de soie).
- Et nous envoyer, fouettés à travers les eaux
clapotantes et les boissons répandues, rouler sur l'aboi
des dogues...
- Un souffle disperse les limites du foyer.
Les chars d'argent et de cuivre -
Les proues d'acier et d'argent -
Battent l'écume, -
Soulèvent les souches des ronces-
Les courants de la lande,
Et les ornières immenses du reflux,
Filent circulairement vers l'est,
Vers les piliers de la forêt, -
Vers les fûts de la jetée,
Dont l'angle est heurté par des tourbillons de lumière.
La cascade sonne derrière les huttes d'opéra comique. Des girandoles prolongent, dans les vergers et les allées voisins du Méandre, - les verts et les rouges du couchant. Nymphes d'Horace coiffées au Premier Empire, - Rondes Sibériennes, Chinoises de Boucher.
Se peut-il qu'Elle me fasse
pardonner les ambitions continuellement écrasées,-
qu'une fin aisée répare les âges d'indigence, - qu'un
jour de succès nous endorme sur la honte de notre
inhabileté fatale,
( palmes ! diamant ! - Amour ! force ! - plus haut
que toutes joies et gloires ! - de toutes façons,
partout, - Démon, dieu - Jeunesse de cet être-ci; moi !)
Que des accidents de féerie scientifique et des
mouvements de fraternité sociale soient chéris comme
restitution progressive de la franchise première ?...
Mais la Vampire qui nous rend gentils commande que nous
nous amusions avec ce qu'elle nous laisse, ou
qu'autrement nous soyons plus drôles.
Rouler aux blessures, par l'air lassant et la mer; aux
supplices, par le silence des eaux et de l'air
meurtriers; aux tortures qui rient, dans leur silence
atrocement houleux.
Du détroit d'indigo aux mers
d'Ossian, sur le sable rose et orange qu'a lavé le ciel
vineux viennent de monter et de se croiser des boulevards
de cristal habités incontinent par de jeunes familles
pauvres qui s'alimentent chez les fruitiers. Rien de
riche. - La ville !
Du désert de bitume fuient droit en déroute avec les
nappes de brumes échelonnées en bandes affreuses au
ciel qui se recourbe, se recule et descend, formé de la
plus sinistre fumée noire que puisse faire l'Océan en
deuil, les casques, les roues, les barques, les croupes.
- La bataille !
Lève la tÍte: ce pont de bois, arqué; les derniers
potagers de Samarie; ces masques enluminés sous la
lanterne fouettée par la nuit froide; l'ondine niaise ý
la robe bruyante, au bas de la rivière; les crânes
lumineux dans les plans de pois - et les autres
fantasmagories - la campagne.
Des routes bordées de grilles et de murs, contenant ý
peine leurs bosquets, et les atroces fleurs qu'on
appellerait cœurs et soeurs, Damas damnant de langueur,
- possessions de féeriques aristocraties
ultra-Rhénanes, Japonaises, Guaranies, propres encore ý
recevoir la musique des anciens - et il y a des auberges
qui pour toujours n'ouvrent déjý plus - il y a des
princesses, et si tu n'es pas trop accablé, l'étude des
astres - le ciel.
Le matin où avec Elle, vous vous débattîtes parmi les
éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les
drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums
pourpres du soleil des pôles, - ta force.
Bien après les jours et les
saisons, et les êtres et les pays,
Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et
des fleurs arctiques; (elles n'existent pas.)
Remis des vieilles fanfares d'héroïsme - qui nous
attaquent encore le cœur et la tête - loin des anciens
assassins-
Oh ! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers
et des fleurs arctiques; (elles n'existent pas.)
Douceurs !
Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre,- Douceurs !
- les feux à la pluie du vent de diamants jetée par le
cœur terrestre éternellement carbonisé pour nous. - O
monde !-
(Loin des vieilles retraites et des vieilles flammes,
qu'on entend, qu'on sent,)
Les brasiers et les écumes. La musique, virement des
gouffres et choc des glaçons aux astres.
O Douceurs, ô monde, ô musique ! Et là, les formes,
les sueurs, les chevelures et les yeux, flottant. Et les
larmes blanches, bouillantes, - ô douceurs ! - et la
voix féminine arrivée au fond des volcans et des
grottes arctiques.
Le pavillon...
A vendre ce que les Juifs n'ont pas
vendu, ce que noblesse ni crime n'ont goûté, ce
qu'ignorent l'amour maudit et la probité infernale des
masses: ce que le temps ni la science n'ont pas à
reconnaître;
Les Voix reconstituées; l'éveil fraternel de toutes les
énergies chorales et orchestrales et leurs applications
instantanées; l'occasion, unique, de dégager nos sens !
A vendre les Corps sans prix, hors de toute race, de tout
monde, de tout sexe, de toute descendance ! Les richesses
jaillissant à chaque démarche ! Solde de diamants sans
contrôle !
A vendre l'anarchie pour les masses; la satisfaction
irrépressible pour les amateurs supérieurs; la mort
atroce pour les fidèles et les amants !
A vendre les habitations et les migrations, sports,
féeries et comforts parfaits, et le bruit, le mouvement
et l'avenir qu'ils font !
A vendre les applications de calcul et les sauts
d'harmonie inouïs. Les trouvailles et les termes non
soupçonnés, possession immédiate,
Elan insensé et infini aux splendeurs invisibles, aux
délices insensibles, - et ses secrets affolants pour
chaque vice - et sa gaîté effrayante pour la foule.
- A vendre les Corps, les voix, l'immense opulence
inquestionable, ce qu'on ne vendra jamais. I.es ven deurs
ne sont pas à bout de solde ! Les voyageurs n'ont pas à
rendre leur commission de si tôt !
Pour Hélène se
conjurèrent les sèves ornamentales dans les ombres
vierges et les clartés impassibles dans le silence
astral. L'ardeur de l'été fut confiée à des oiseaux
muets et l'indolence requise à une barque de deuils sans
prix par des anses d'amours morts et de parfums
affaissés.
- Après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur
du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie des
bestiaux à l'écho des vals, et des cris des steppes .-
Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrures et
les ormbres, - et le sein des pauvres, et les légendes
du ciel
Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats
précieux, aux influences froides, au plaisir du décor
et de l'heure uniques.
Enfant, certains ciels ont affiné
mon optique: tous les caractères nuancèrent ma
physionomie. Les Phénomènes s'émurent. - A présent
l'inflexion éternelle des moments et l'infini des
mathématiques me chassent par ce monde où je subis tous
les succès civils, respecté de l'enfance étrange et
des affections énormes. - Je songe à une Guerre, de droit ou de force, de logique bien imprévue.
C'est aussi simple qu'une phrase musicale.
Les calculs de côté,
I'inévitable descente du ciel, et la visite des
souvenirs et la séance des rythmes occupent la demeure,
la tête et le monde de l'esprit.
- Un cheval détale sur le turf suburbain, et le long des
cultures et des boisements, percé par la peste
carbonique. Une misérable femme de drame, quelque part
dans le monde,soupire après des abandons improbables.
Les desperadoes languissent après l'orage, l'ivresse et
les blessures. De petits enfants étouffent des
malédictions le long des rivières.-
Reprenons l'étude au bruit de l'oeuvre dévorante qui se
rassemble et remonte dans les masses.
Homme de constitution ordinaire, la chair n'était-elle pas un fruit pendu dans le verger; - ô journées enfantes ! - le corps un trésor à prodiguer; - ô aimer, le péril ou la force de Psyché ? La terre avait des versants fertiles en princes et en artistes, et la descendance et la race vous poussaient aux crimes et aux deuils: le monde, votre fortune et votre péril. Mais à présent, ce labeur comblé, toi, tes calculs, - toi, tes impatiences - ne sont plus que votre danse et votre voix, non fixées et point forcées, quoique d'un double événement d'invention et de succès une saison, - en l'humanité fraternelle et discrète par l'univers sans images; - la force et le droit réfléchissent la danse et la voix à présent seulement appréciées.
Les voix instructives exilées... L'ingénuité physique amèrement rassise... - Adagio. Ah ! l'égoïsme infini de l'adolescence, l'optimisme studieux : que le monde était plein de fleurs cet été ! Les airs et les formes mourant... - Un choeur, pour calmer l'impuissance et l'absence ! Un choeur de verres, de mélodies nocturnes... En effet les nerfs vont vite chasser.
Tu en es encore à la tentation d'Antoine. L'ébat du zèle écourté, les tics d'orgueil puéril, l'affaissement et l'effroi. Mais tu te mettras à ce travail: toutes les possibilités harmoniques et architecturales s'émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s'offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d'anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.
L'aube d'or et la soirée frissonnante trouvent notre brick en large en face de cette Villa et de ses dépendances qui forment un promontoire aussi étendu que l'Epire et le Péloponnèse, ou que la grande île du Japon, ou que l'Arabie ! Des fanums qu'éclaire la rentrée des théories, d'immenses vues de la défense des côtes modernes; des dunes illustrées de chaudes fleurs et de bacchanales; de grands canaux de Carthage et des Embankments d'une Venise louche, de molles éruptions d'Etnas et des crevasses de fleurs et d'eaux des glaciers, des lavoirs entourés de peupliers d'Allemagne; des talus de parcs singuliers penchant des têtes d'Arbre du Japon; et les façades circulaires des "Royal" ou des "Grand" de Scarbro' ou de Brooklyn; et leurs railways flanquent, creusent, surplombent les dispositions dans cet Hôtel, choisies dans l' histoire des plus élégantes et des plus colossales constructions de l'ltalie, de l'Amérique et de l'Asie, dont les fenêtres et les terrasses à présent pleines d'éclairages, de boissons et de brises riches, sont ouvertes à l'esprit des voyageurs et des nobles - qui permettent, aux heures du jour, à toutes les tarentelles des côtes, - et même aux ritournelles des vallées illustres de l'art, de décorer merveilleusement les façades du Palais-Promontoire.
L'ancienne Comédie poursuit ses
accords et divise ses ldylles :
Des boulevards de tréteaux.
Un long pier en bois d'un bout à 1'autre d'un champ
rocailleux où la foule barbare évolue sous les arbres
dépouillés.
Dans des corridors de gaze noire, suivant le pas des
promeneurs aux lanternes et aux feuilles.
Des oiseaux des mystères s'abattent sur un ponton de
maçonnerie mû par l'archipel couvert des embarcations
des spectateurs.
Des scènes lyriques accompagnées de flûte et de
tambour s'inclinent dans des réduits ménagés sous les
plafonds, autour des salons de clubs modernes ou des
salles de l'Orient ancien.
La féerie manoeuvre au sommet d'un amphithétre
couronné par les taillis, - Ou s'agite et module pour
les Béotiens, dans l'ombre des futaies mouvantes sur
l'arête des cultures.
L'opéra-comique se divise sur notre scène à l'arête
d'intersection de dix cloisons dressées de la galerie
aux feux.
En quelque soir, par exemple, que se
trouve le touriste naïf, retiré de nos horreurs
économiques, la main d'un maître anime le clavecin des
prés; on joue aux cartes au fond de l'étang, miroir
évocateur des reines et des mignonnes; on a les saintes,
les voiles, et les fils d'harmonie, et les chromatismes
légendaires, sur le couchant.
Il frissonne au passage des chasses et des hordes. La
comédie goutte sur les tréteaux de gazon. Et l'embarras
des pauvres et des faibles sur ces plans stupides!
A sa vision esclave, - l'Allemagne s'échafaude vers des
lunes; les déserts tartares s'éclairent - les révoltes
anciennes grouillent dans le centre du Céleste Empire;
par les escaliers et les fauteuils de rois - un petit
monde blême et plat, Afrique et Occidents, va
s'édifier. Puis un ballet de mers et de nuits connues,
une chimie sans valeur, et des mélodies impossibles.
La même magie bourgeoise a tous les points où la malle
nous déposera ! Le plus élémentaire physicien sent
qu'il n est plus possible de se soumettre à cette
atmosphère personnelle, brume de remords physiques, dont
la constatation est déjà une affliction.
Non ! - Le moment de l'étuve, des mers enlevées, des
embrasements souterrains, de la planète emportée, et
des exterminations conséquentes, certitudes si peu
malignement indiquées dans la Bible et par les Nornes et
qu'il sera donné à l'être sérieux de surveiller. -
Cependant ce ne sera point un effet de légende !
La réalité étant trop épineuse
pour mon grand caractère, - je me trouvai néanmoins
chez Madame, en gros oiseau gris bleu s'essorant vers les
moulures du plafond et traînant l'aile dans les ombres
de la soirée.
Je fus, au pied du baldaquin supportant ses bijoux
adorés et ses chefs-d'oeuvre physiques, un gros ours aux
gencives violettes et au poil chenu de chagrin, les yeux
aux cristaux et aux argents des consoles.
Tout se fit ombre et aquarium ardent. Au matin, - aube de
juin batailleuse, - je courus aux champs, âne,
claironnant et brandissant mon grief, jusqu'à ce que les
Sabines de la banlieue vinrent se jeter à mon poitrail.
Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d'Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la surveillance d'une enfance, elle a été, à des époques nombreuses, l'ardente hygiène des races ! Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action. - ô terrible frisson des amours novices sur le sol sanglant et par l'hydrogène clarteux ! trouvez Hortense.
Le mouvement de lacet sur la berge
des chutes du fleuve,
Le gouffre à l'étambot,
La célérité de la rampe,
L'énorme passade du courant,
Mènent par les lumières inouïes
Et la nouveauté chimique
Les voyageurs entourés des trombes du val
Et du strom.
Ce sont les conquérants du
monde
Cherchant la fortune chimique personnelle;
Le sport et le comfort voyagent avec eux;
Ils emmènent l'éducation
Des races, des classes et des bêtes, sur ce Vaisseau.
Repos et vertige
A la lumière diluvienne,
Aux terribles soirs d'étude.
Car de la causerie parmi
les appareils, - le sang; les fleurs, le feu, les bijoux-
Des comptes agités à ce bord fuyard,
- On voit, roulant comme une digue au-delà de la route
hydraulique motrice:
Monstrueux, s'éclairant sans fin, - leur stock
d'études;
Eux chassés dans l'extase harmonique
Et l'héroïsme de la découverte.
Aux accidents
atmosphériques les plus surprenants
Un couple de jeunesse s'isole sur l'arche,
- Est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne ?
Et chante et se poste.
A ma soeur Louise Vanaen de
Voringhem: - Sa cornette bleue tournée à la mer du
Nord. - Pour les naufragés.
A ma soeur Léonie Aubois d'Ashby. Baou - l'herbe d'été
bourdonnante et puante. - Pour la fièvre des mères et
des enfants.
A Lulu, - démon - qui a conservé un goût pour les
oratoires du temps des Amies et de son éducation
incomplète. Pour les hommes ! - A madame ***.
A l'adolescent que je fus. A ce saint vieillard, ermitage
ou mission.
A l'esprit des pauvres. Et à un très haut clergé.
Aussi bien à tout culte en telle place de culte
mémoriale et parmi tels événements qu'il faille se
rendre, suivant les aspirations du moment ou bien notre
propre vice sérieux,
Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le
poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit
rouge, - (son cœur ambre et spunk), - pour ma seule
prière muette comme ces régions de nuit et précédant
des bravoures plus violentes que ce chaos polaire.
A tout prix et avec tous les airs, même dans des voyages
métaphysiques. - Mais plus alors.
"Le drapeau va au paysage
immonde, et notre patois étouffe le tambour.
"Aux centres nous alimenterons la plus cynique
prostitution. Nous massacrerons les révoltes logiques.
"Aux pays poivrés et détrempés ! - au service des
plus monstrueuses exploitations industrielles ou
militaires.
"Au revoir ici, n'importe où. Conscrits du bon
vouloir, nous aurons la philosophie féroce; ignorants
pour la science, roués pour le confort; la crevaison
pour le monde qui va. C'est la vraie marche. En avant,
route !"
Il est l'affection et le présent
puisqu'il a fait la maison ouverte à l'hiver écumeux et
à la rumeur de l'été, lui qui a purifié les boissons
et les aliments, lui qui est le charme des lieux fuyants
et le délice surhumain des stations. Il est l'affection
et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans
les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel
de tempête et les drapeaux d'extase.
Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison
merveilleuse et imprévue, et l'éternité: machine
aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu
l'épouvante de sa concession et de la nôtre: ô
jouissance de notre santé, élan de nos facultés,
affection égoïste et passion pour lui, lui qui nous
aime pour sa vie infinie...
Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, sonne, sa promesse sonne : "Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces
ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré !"
Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce péché : car c'est fait, lui étant, et étant aimé.
O ses souffles, ses têtes, ses courses; la terrible célérité de la perfection des formes et de l'action.
O fécondité de l'esprit et immensité de l'univers !
Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !
Sa vue, sa vue ! tous les agenouillages anciens et les peines relevées à sa suite.
Son jour ! l'abolition de
toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique
plus intense.
Son pas ! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.
O lui et nous ! l'orgueil plus bienveillant que les
charités perdues.
O monde ! et le chant clair des malheurs nouveaux !
Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons,
cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au
château, de la foule à la plage, de regards en regards,
forces et sentiments las, le héler et le voir et le
renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de
neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour.