L’imitation de Pozzo et Lucky

Samuel Beckett, En attendant Godot

De "ESTRAGON. - Je m'en vais" à "nous sommes servis sur un plateau."
Pages 100 à 104 (Les éditions de minuit)






Introduction

     D'une guerre mondiale à l'autre, les sociétés encaissent chocs et bouleversements et se transforment dans une volonté de s'éloigner de la violence et des barbaries commises. Ces changements se traduisent dans le théâtre du XXème siècle par un emprunt à la tradition mais l'accession à une forme de modernité.
     En attendant Godot, publié en 1952 par Samuel Beckett (prix Nobel 1969), narre l'attente de deux personnages étranges : Vladimir et Estragon. Dans la scène que nous étudierons, ils cherchent à tromper leur ennui en jouant à Pozzo et Lucky, deux personnages rencontrés précédemment.
     Comment le jeu en abîme va donner de l'existence aux personnages ?


Lecture du texte


Annonce des axes d'étude

    Nous étudierons tout d'abord le jeu en abîme, puis l'espace scénique et enfin nous verrons son apport à l'existentialité des personnages.


Etude méthodique :

I/ Le jeu en abîme

1- L'apparition du jeu en abîme

- Dans la scène précédente, Vladimir et Estragon ont commencé à jouer avec le chapeau oublié par Pozzo.
- Dès le début de l'extrait, il est proposé de « jouer à Pozzo et Lucky », la polysémie du verbe jouer prête a confusion entre un jeu (enfantin) et le jeu propre aux acteurs.
- Enfin, on observe des effets de mimétisme, l'imitation de Lucky par Vladimir « Vladimir ployé ».

=> On est donc rentré dans une mise en abîme, les personnages joués par des acteurs jouent eux-mêmes d'autres personnages.

2- Vladimir, metteur en scène ?

- Vladimir semble diriger la mise en scène
        - Il emploie de nombreux impératifs et de nombreuses phrases nominales.
        - On observe l'absence de didascalies pendant la mise en abîme, comme si Beckett s'effaçait au profit d'une autre mise en scène.
        - Estragon obéit aux consignes de Vladimir.
- Estragon ne rentrant pas vraiment dans le jeu en abîme, tous les rôles finissent par être assumés par le même personnage.

=> On assiste donc à une dégradation du spectacle théâtrale puisque la mise en scène est confiée à un personnage et que tous les rôles finissent par être assumés par lui.

3- Les évocations du regard

- Estragon « regarde avec stupéfaction » car il est spectateur du jeu de Vladimir.
                à Mise en abîme du statut de spectateur.
- Coïncidence entre le moment où Vladimir ne voit plus Estragon (en coulisse) et la fin du jeu en abîme.
- « Je ne peux pas » lorsque Estragon est hors scène, il y a donc impossibilité de jouer sans le regard d'Estragon.

=> Il n'y a pas de théâtre sans regard.


II/ L'espace scénique

1- Les limites de l'espace scénique

- Le jeu des entrées et sorties d'Estragon est souligné d'abord par ses effets d'annonce, puis par les cris de Vladimir.
- Les commentaires d'Estragon sur son hors-scène et l'anaphore du mot courir conduisent à la mise en évidence du système scène/coulisses.

=> A travers la mise en évidence des limites de l'espace scénique, Beckett rompt l'illusion théâtrale, suivant ainsi la théorie de la distanciation de Bertolt Brecht.

2- Le Hors-Scène

- Estragon paraît effrayé lorsqu'il revient de son hors-scène, à l'inverse, Vladimir qui n'est pas sorti, semble lui beaucoup plus enthousiaste.
- Estragon n'existe pas hors scène sauf par Vladimir qui ne peut jouer sans Estragon.
- Parallélisme entre le jeu de Vladimir et celui d'Estragon, ils sont liés.

=> Les personnages sont contraints de rester sur l'espace scénique (cf. Pirandello, 6 personnages en quête d'auteur).

III/ Existentialité des personnages

1- L'identité des personnages

- Echange des rôles, les personnages n'interprètent pas le rôle le plus proche de leur personnalité.
- Estragon n'arrive pas à rentrer vraiment dans la mise en abîme, mais Vladimir arrive quand même à se fondre sans difficulté dans un rôle loin de sa personnalité.

=> L'identité des personnages semble fortuite, comme si les individus étaient modelés par l'extérieur, par des choses qui échappent à leur conscience.

2- Possibilité d'agir

- Double jeu (mise en scène).
- Accélération du rythme, action qui se précipite, mise en évidence par les points d'exclamation, la présence de beaucoup de verbes de mouvement, notamment la verbe courir, répété trois fois.

=> La possibilité d'agir, qui leur avait été refusée jusque là, donne une existence aux personnages.

3- Dégradation du jeu théâtral

- La représentation faite de Pozzo et Lucky est caricaturale, mettant l'accent sur le lien dominant dominé, et retire toutes les nuances du jeu initial. La mise en abîme apparaît donc ici comme le pâle reflet d'une scène déjà vue.
- Les personnages se sont agités, comme le montre les indications spatiales figurant le désordre du mouvement, mais pour rien, montrant ainsi la vanité de l'action.
- Il avait été dit (page 51) « danser puis penser, c'est l'ordre naturel », ici on a pensé (chapeau) puis dansé, d'où une dégradation de l'action humaine par rapport à la pièce originale.
- Enfin, lorsque Lucky avait pensé, il avait dit la tirade la plus longue de toute la pièce tandis que lorsque Vladimir s'y essaye, rien ne se passe.

=> Etant donné que la pensée est le fondement de l'action, Beckett annihile ici tout ce qui fait l'essence de l'être humain.


Conclusion

     A travers la mise en abîme, la mise en évidence de l'espace scénique, Beckett souligne l'existentialisme des personnages, pour finalement annihiler tout ce qui fait l'essence de l'être humain.


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