Laisse de Pharaon la terre Egyptienne, Demeure en ta maison pour vivre toute tienne, Tu ne vois à ta Cour que feintes et soupçons : Laisse ces honneurs pleins d’un soin ambitieux, Ronsard, Sonnets pour Hélène |
Nous étudierons d'abord le lyrisme amoureux de
ce poème, puis le rejet de la Cour comme démarche persuasive
et enfin le thème du temps, récurrent dans les poèmes
de Ronsard.
Etude méthodique :
I/ Un lyrisme amoureux
1- L'appel, l'invitation
- Marque du lyrisme : invitation qui engage intimement le poète.
- Ronsard se compare à la Terre Promise (« viens sur le Jourdain » (2)).
- Charme poétique et effets de persuasion : « vient ... Jourdain » (2), « cour
... tout » (3).
=> Dans la première strophe, Ronsard insiste sur l'appel à le rejoindre.
2- le jeu du moi et du toi
- Effacement ou présence diffuse du narrateur (3-14) confirmée
par le titre du recueil : Sonnet pour Hélène, qui met en exergue
la destinataire. -> dialogue moi/toi
- « Laisse moi » (3) = idée de rapprochement (familier +
tutoiement)
- « Je serais ton Orphée // et toi mon Eurydice » parallélisme
de construction de part et d'autre de l'hémistiche + chiasme symbolique
formé par le jeu des pronoms et adjectifs de personnes.
- Mais la relation est ambiguë : le poète est d'abord soumis à la
tradition courtoise, mais injonctions et ordres « paternalistes »,
le représentant comme un guide.
=> A travers ce jeu du toi et du moi, Pierre de Ronsard suggère un rapprochement entre le locuteur et le destinataire.
3- Le chant Orphique
- En s'identifiant au célèbre Orphée dans le vers final,
Ronsard suggère que c'est par son chant qu'il peut convaincre Hélène.
- Dans ce sonnet (d'origine provençale, ce mot désigne une pièce
accompagnée de musique), on retrouve en effet le pouvoir du poète
musicien qu'était Orphée, charmant Hommes, bêtes...
- Les injonctions adressées à Hélène sont appuyées
par le rythme régulier des vers imposé par la césure de
l'alexandrin au 6ème pied (6//6 6//6 6//6 3///6 ; 6//6 6//6 6//6
6//6 ; 6//6 *6). Accentué par le crescendo anaphorique des injonctions : « laisse » (1) « laisse
moi » (3-12).
- Allitération = difficulté de se détourner
du charme de la Cour et caractère impérieux de la demande du
poète :
Demeure en ta maison pour vivre toute tienne,
Contente toi de peu : l’âge s’enfuit soudain.
Pour trouver ton repos, n’attend
point à demain :
N’attend
point que l’hiver sur les cheveux te vienne.
=> Le poète par son chant Orphique cherche à séduire, c'est-à-dire au sens étymologique du terme à détourner Hélène de la cour.
II/ Le rejet de la Cour : une démarche persuasive
1- Eloignement de la Cour
- Mépris du poète pour la Cour sensible dans la mise à distance
de ce qui a les faveurs de la femme aimée par l'emploi du possessif « ta ».
Appuyé par une allitération en [t] qui marque le dédain
du poète et par l'emploi d'une restriction « tu ne vois à ta
Cour que feintes et soupçons ».
- Il n'y a plus d’évocation insistante de l'être aimé là-bas.
=> Le premier rejet de la Cour est marqué par son éloignement.
2- La Cour et ses tromperies
- Souffrances et illusions qui accompagnent la vie de Cour : « Terre Égyptienne,
Terre de servitude » (1-2), « Circé », « sirène », « magicienne » (4).
Connotations dépréciatives de ces références (de
l'illusion).
- Lexique de l'imposture « tout ce fard mondain » (3), « ta
magicienne » (4), « feintes et soupçons » (9), « cent
milles façons » (10) (idées de versatilité), « la
vertu fausse et vraie la malice » (11 chiasme), « honneurs plein
d'un soin ambitieux » (12)
=> Ronsard dénonce les tromperies, les illusions propres à la Cour.
3- L'éloge de l'intimité et de la vie simple
- Référence au Jourdain, à la Terre Promise, lieu de
bonheur et de prospérité.
- Allusions aux « nymphes » et « dieux » qui habitent
les champs, c’est-à-dire l'espace simple de la vie privée
(13). Suggère le passage d'une royauté éphémère
(vie de Cour) à la vie éternelle.
- Eloge de la simplicité V 5-6-12 par la modestie du vocabulaire
employé « ta maison » « peu » « aux
champs » mise
en valeur par le caractère presque tautologique « vivre toute
tienne ».
=> En signifiant les vertus de l'intimité, du retour à soi, Ronsard marque la supériorité de la vie intime sur la vie de Cour.
L'opposition entre les deux modes d'être est sensible dans la structure même du poème (1er quatrain = vie de Cour, 2nd = vie intime, 1er tercet = vie de cour, 2nd juxtapose évocation de la Cour et éloge de la vie intime), et permet à Ronsard de détourner la femme aimée de l'éclat factice et séducteur de la Cour pour la rendre à la simplicité de la vie intime, c’est-à-dire l'amour, implicite jusqu'à la chute.
III/ Le thème du temps qui s'écoule
- Lexique du temps : « l'âge », « soudain » (6), « à demain » (7), « l'hiver » (8),
métaphore de la vieillesse. Cette évocation est associée à l'idée
du temps qui s'écoule à travers des expressions qui opposent
le mouvement « s'enfuit » (6), « te vienne » (8) à l'immobilisme « n'attend
point » (7).
- L'emploi des fricatives [f] [s] et [v] semble suggérer la fluidité du
temps qui passe.
- L'évocation du temps qui passe conduit à une réflexion
philosophique et à une démarche épicurienne illustrées
ici par « contente-toi de peu » (6) « pour trouver ton repos » (7),
ce que résume une maxime de la philosophie grecque : « Rien de
trop ».
- Cette sagesse est tournée vers l'avenir comme en témoigne
l'image du prophète Moïse (1-2) annonçant la Terre Promise
et l'emploi du futur dans le 2nd tercet (13/14).
=> Outre la valeur des expressions péjoratives ou mélioratives,
Ronsard cherche ici à convaincre la destinataire en la pressant par
un véritable Memento mori (rappelle toi que tu es mortel).
Conclusion
Ronsard met donc dans ce poème le lyrisme au service
de l'entreprise amoureuse en employant les thèmes, les expressions et
la musicalité du lyrisme amoureux, mais aussi par une démarche
persuasive visant à élever l'intimité, le retour à soi,
et les valeurs d'une vie simple au dessus des tromperies de la Cour. Le thème,
récurant dans les poèmes de Ronsard, du temps qui passe presse
la jeune femme par un véritable Memento Mori.
Mais ce poème n'aura pas, du moins immédiatement,
le succès
escompté puisque d'autres, plus célèbres encore, lui succéderont
comme « Mignonne » ou « Quand vous serez bien vielle ».
Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette
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