* Champ lexical de la lumière ("bougie, feu") en opposition avec celui de l’obscurité ("ténèbres", "obscurité") : un jeu d’ombre et de lumière ; création d’une atmosphère propice à la montée de la peur et de l’introduction du fantastique.
* Espace divisé en deux zones :
- la chaleur (affective) du foyer "cheminée", "bougie", "feu" où se trouvent Lucile, Chateaubriand et sa mère symbolisant la chaleur affective et d’autre part la
- froideur la vaste salle peu éclairée "par une seule bougie" qui s’ouvre sur tout le reste du château et la froideur hivernale du monde nocturne où déambule le père source de froideur affective.
* Or le père plonge peu à peu dans ce monde invisible et lorsqu’il "émerge peu à peu de l’obscurité " c’est pour y retourner. Sa place est donc dans l’ombre, l’obscurité et le froid de la nuit hivernale et non à la chaleur du foyer.
2. Déambulation
* Le narrateur insiste avec de nombreux détails, d’une manière obsédante sur ces mouvements tels qu’ils sont perçus : "il s’éloignait du foyer", "il revenait vers la lumière et émergeait …", "il se rapprochait de nous" , "il entrait …puis revenait… et s’avançait.".
* On peut voir que le foyer où se trouve les enfants constitue le point fixe autour duquel s’ordonnent les allées et venues du père (Cf. exemples précédents) interrompues régulièrement sans raison apparente (d’où étrange) :"mon père s’arrêtait", il avait"suspendu ses pas".
* En fait les deux enfants observent la promenade de leur père dans la crainte que celui-ci ne se rapproche d’eux et ne leur adresse la parole.
3. Silence accablant
* Dans toute cette scène, au décor déjà lugubre vient s’ajouter un silence inquiétant sur lequel résonnent les moindres bruits amplifiés par l’écho du château : "on l’entendait seulement encore marcher ", "nous entendions les portes se refermer sur lui".
* On peut qualifier cette scène de quasi-mécanique : au début de l'extrait, la famille quitte la table, la mère s’installe sur un lit, les domestiques retirent le couvert sans aucune parole prononcée, on perçoit juste un soupir de la mère.
* La seule tentative de communication est constituée d’un cache-cache verbal entre le père et ses enfants :"nous échangions quelques mots à voix basse" puis "nous nous taisions" mais cette tentative est vite court-circuitée par le père :"Il nous disait, en passant :"De quoi parliez-vous ?" Saisis de terreur, nous ne répondions rien".
II. La famille
Petite introduction de l’axe II : Comme on l’a déjà vu dans l’axe précédent l’environnement est divisé en deux parties, autour de la cheminée, les deux enfants et la mère et dans la nuit, à l’extérieur, le père. Dans cet axe, nous verrons quelle est la cause de cette scission au sein du foyer familial.
1. Le jeu des pronoms
* Le jeu des pronoms est caractéristique des liens entre les différents membres de la famille.
* D’un côté le père, dans tout le texte, il n’est désigné précisément qu’une seule fois au début du texte : "Mon père", sinon dans le reste du texte, il n’est désigné que par les pronoms personnels il et lui. Cette désignation vague montre bien la distance et la froideur entre Chateaubriand et son père.
* De l’autre côté, Lucile et Chateaubriand, rassemblés dans la locution "Lucile et moi" et dans le pronom personnel nous. Ce pronom récurrent exprime bien la proximité entre les deux enfants unis dans la même crainte du père.
* Enfin, les rapports avec la mère se situent entre la froideur du
père et la proximité avec Lucile. Elle est désignée
par la locution neutre "ma mère" et on voit par ses soupirs qu’elle possède elle aussi un
caractère assez mélancolique et triste. Mais on voit à la
fin du texte qu’elle est réunie à ses enfants "ma
mère, ma sœur et moi" et qu’elle subit comme eux la crainte du père.
2. Fantôme de Combourg
* La description des vêtements que porte le comte de Chateaubriand (" vêtu d’une robe de ratine blanche" et coiffé d’" un grand bonnet blanc") paraît à première vue très ordinaire.
* Pourtant le narrateur insinue une notion d’étrangeté à cette description au premier abord anodine :
- à la première désignation "robe de ratine blanche " est ajouté une correction "ou plutôt un espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. La notion " une espèce… " rend plus vague la forme générale du vêtement et la restriction " que je n’ai vu qu’à lui " renforce la singularité, l’étrangeté de cet accoutrement.
- de même manière, à la première désignation du bonnet est corrigé par "qui se tenait tout droit" qui confère au bonnet une notion de bizarrerie.
* Si à ces détails vestimentaires "robe de ratine blanche… ", " bonnet blanc qui se tenait tout droit",
on ajoute le détail physique "sa figure longue te pâle", on obtient une description fantastique, spectrale du père qui est explicitée à la ligne 19 : "comme un spectre".
* Le contraste entre une description physique assez complète du père et l’absence de détails sur sa personnalité, l’association du père avec la mécanique d’une horloge ("le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas") contribuent également à déshumaniser le père et à renforcer son caractère de spectre.
3. Présence maléfique
* Le monde est pétrifié par la présence du père: comme un sort maléfique ; importance du temps : les rituels s’enchaînent à la minute près ; après la promenade, un autre rituel, celui du coucher. "Dix heures sonnaient à l’horloge du château : mon père s’arrêtait ; le même ressort, qui avait soulevé le marteau de l’horloge, semblait avoir suspendu ses pas".
* On peut voir cette présence maléfique renforce la complicité des membres de la famille face au père : le narrateur & Lucile réunis dans un "nous" pour ne pas répondre aux questions du père qui sont formulées comme des accusations.
* On observe le champ lexical de la magie à la fin du texte comme "talisman" qui ici peut-être considéré comme un synonyme de charme, d’enchantement, de sortilège causé par le père ou encore " transformés en statue", "désenchantement ". A l’apparence spectrale du père s’ajoute donc une présence magique, maléfique.
* A la fin du texte, le départ du père est libérateur.
Le charme est rompu, c’est un "désenchantement".
Le silence est rompu, Lucile, Chateaubriand et leur mère recouvrent "les
fonctions de la vie ".
III. Un grand travail d'écriture
1. Prose poétique
* Rythme ternaire : "Le reste de la soirée, l’oreille n’était plus frappée / que du bruit mesuré de ses pas, des soupirs de ma mère/ et du murmure du vent.". La phrase est divisée en trois parties et la dernière partie est également divisée en trois sous-parties. Ces trois sous-parties expriment des sons de moins en moins forts et parallèlement le nombre de syllabes de chaque partie diminue . On peut également noter la récurrence du son [e] et du son [m].
* Le rythme joue aussi un rôle important dans cette phrase où il suggère l’image du spectre :
" puis il revenait / lentement / vers la lumière et émergeait / peu à peu /de l’obscurité, comme un spectre
et on observe le rythme ternaire progressif dans la suite de cette phrase :
avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle."
* "Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse, sans nous répondre, continuait sa route et se retirait au fond de la tour" encore 3 verbes successifs => rythme ternaire
* Enfin, on retrouve également le rythme ternaire dans le désenchantement à la
fin du texte"ma mère, ma sœur et moi".
2. Deux versions
* Chateaubriand a revu ce texte, écrit à Montboissier en 1817, en 1846.
* Lors de cette correction, Chateaubriand a supprimé un passage essentiel pour mieux cerner la personnalité de son père. Dans ce passage, on voit le père sous un jour plus positif, plus proche de ses enfants. Dans ce passage, le père de Chateaubriand raconte ses voyages de corsaire et on peut expliquer par là le goût de Chateaubriand pour les voyages.
* Dans ce passage, on voit également des marques d’amour filial de Chateaubriand envers son père , marques totalement absentes dans la version corrigée.
* En fait, Chateaubriand a supprimé toutes les marques qui pouvaient présenter le père sous un jour positif, pour ne garder que l’image fantastique du père, fantôme du château. Une fois de plus, Chateaubriand a délaissé la vérité pure et a accentué le caractère de son père qu’il voulait mettre en valeur pour servir sa narration.
* "Il y a loin de ces parents sévères aux gâte-enfants
d'aujourd'hui", remarque Chateaubriand sur les rigueurs de son éducation
pour s'en féliciter : il doit à ces méthodes, pense-t-il,
l'originalité de ses idées et la mélancolie de ses sentiments,
nées "de l'habitude de souffrir à l'âge de la faiblesse,
de l'imprévoyance et de la joie". Il a donc tendance à accentuer
ce côté.