Plan de la fiche sur
Les Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand :
Introduction
L’ouvrage
Les Mémoires d’outre-tombe
est commencé entre 1803 et 1809 ; il fut souvent interrompu par
la vie mouvementée de
Chateaubriand et il le reprendra toujours avec
plaisir. Il est probablement finit en 1841. Et Chateaubriand en fit des lectures
chez Mme Récanier. Même s’il commence à publier son œuvre
pour payer ses dettes dans l’année avant sa mort il les a écrites
pour après sa mort.
-
C’est un essai d’autobiographie, il veut se faire connaître
mais contrairement à Rousseau, il n’a pas fait apparaître
l’aspect médiocre de son existence. Malgré tout, il y fait
son éloge, se peignant comme le héros d’un roman lyrique.
-
Un essai d’histoire contemporaine : il ne paraît connaître
de l’histoire que celle où il a joué un rôle dont
il exagère l’importance. Son orgueil et son imagination déforment
souvent la réalité. Cet ouvrage est un beau témoignage
de cette époque même si ce n’est pas un guide sûr
pour les historiens.
-
Style de Chateaubriand : c’est son œil qui dirige
son travail beaucoup plus que son esprit. C’est sa vision qui nous intéresse
plus que sa réflexion -> « au bout de chaque avenue apparaît
l’image en perspective sur son piédestal » -> extrait de « Promenade – Apparition
de Combourg ». Avant d’évoquer Combourg, Chateaubriand se
plaît à présenter ce souvenir déterminant du chant
de la grive :
- C’est cet événement qui l’a amené à reprendre
l’écriture de
Les Mémoires d’outre-tombe abandonnée
depuis quelques années.
- Car il décrit le phénomène de la mémoire affective
qui déclenche le récit rétrospectif de sa jeunesse qui ouvre la voie à Proust.
Lecture du texte
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Lu par Christiane-Jehanne - source : litteratureaudio.com
[...]
Hier au soir je me promenais seul ; le ciel ressemblait à un ciel d'automne ; un vent froid soufflait par intervalles. A la percée d'un fourré,
je m'arrêtai pour regarder le soleil : il s'enfonçait dans des nuages
au-dessus de la tour d'Alluye, d'où Gabrielle, habitante de cette tour,
avait vu comme moi le soleil se coucher il y a deux cents ans. Que sont devenus
Henri et Gabrielle ? Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront
publiés.
Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive
perchée sur la plus haute branche d'un bouleau. A l'instant, ce son magique
fit reparaître à mes yeux le domaine paternel. J'oubliai les catastrophes
dont je venais d'être le témoin, et, transporté subitement
dans le passé, je revis ces campagnes où j'entendis si souvent
siffler la grive. Quand je l'écoutais alors, j'étais triste de
même qu'aujourd'hui. Mais cette première tristesse était
celle qui naît d'un désir vague de bonheur, lorsqu'on est sans expérience ; la tristesse que j'éprouve actuellement vient de la connaissance des
choses appréciées et jugées. Le chant de l'oiseau dans les
bois de Combourg m'entretenait d'une félicité que je croyais atteindre ; le même chant dans le parc de Montboissier me rappelait des jours perdus à la
poursuite de cette félicité insaisissable. Je n'ai plus rien à apprendre,
j'ai marché plus vite qu'un autre, et j'ai fait le tour de la vie. Les
heures fuient et m'entraînent ; je n'ai pas même la certitude de
pouvoir achever ces Mémoires. Dans combien de lieux ai-je déjà commencé à les écrire,
et dans quel lieu les finirai-je ? Combien de temps me promènerai-je au
bord des bois ? Mettons à profit le peu d'instants qui me restent ; hâtons-nous
de peindre ma jeunesse, tandis que j'y touche encore : le navigateur, abandonnant
pour jamais un rivage enchanté, écrit son journal à la vue
de la terre qui s'éloigne et qui va bientôt disparaître.
Les Mémoires d'Outre-Tombe - Chateaubriand
Première partie - Livre troisième - Chapitre 1 - Promenade. - Apparition de Combourg.
Annonce des axes
I. L'importance du temps
1. L'expression du temps
2. La fuite du temps
3. La hantise de l'avenir
II. La mélancolie de l’écrivain
1. Comparaison passé / présent
2. Une désillusion
3. La solitude (thème rousseauiste)
III. Le rôle de l'écriture autobiographique
1. Une écriture d'analyse des sentiments
2. L'écriture redonne vie au passée
3. Une écriture salvatrice
Commentaire littéraire
I. L'importance du temps
1. L'expression du temps
Le thème du temps est récurrent chez les poètes romantiques, et en particulier chez Chateaubriand.
On trouve dans le texte
un très grand nombre d'indications temporelles sous différentes formes : « hier au soir » (adverbe), « il y a deux cent ans », « quand ces Mémoires seront publiés » (proposition circonstancielle de temps), « à l'instant », « alors », « aujourd'hui », « bientôt », etc. => Très grande variété dans l'évocation du temps absolue et relative.
On remarque la même variété dans les temps verbaux :
- Temps de l'évènement récent (imparfait « ressemblait » et passé simple « fut tiré »).
- Temps de l'évènement passé: même temps verbaux, mais évoquent des actions plus éloignées dans le temps.
- Temps historique : époque de Gabrielle, exprimée par le plus-que-parfait.
- Présent : actualité du narrateur; présent et passé composé.
- Présent de vérité générale : « le navigateur [...] écrit son journal ».
Structure du texte : va et vient entre temps du récit et de l’énonciation.
2. La fuite du temps
La grande diversité des temps montre
la sensibilité de Chateaubriand par rapport au temps qui s'écoule.
Chateaubriand dresse une constatation négative du présent par rapport à un passé mis en valeur, exprimé par certains procédés : évocation d'éléments devant lesquels le temps n'a pas de prise (tour, coucher du soleil) et la similitude des situations : promenade dans un parc, même perception du chant de la grive, mais un contexte temporel et spatial différent, malgré un état d'âme semblable.
« les heures fuient et m'entraînent » : gradation,
impuissance de l'homme face au temps qui passe. Le regard sur le passé lui annonce sa mort (« Ce que je serai devenu quand ces Mémoires seront publiés. »).
3. La hantise de l'avenir
« le peu d'instants qui me restent » : notion du temps qui passe, rapprochement passé-présent ; opposition entre les espoirs passés déçus et sa tristesse actuelle.
Les questions rhétoriques de la fin du texte montrent son
incertitude et son inquiétude face à l'avenir.
II. La mélancolie de l’écrivain
1. Comparaison passé / présent
Chateaubriand dresse une comparaison entre le passé à Combourg et le présent par un jeu de comparaisons et de similitudes. « quand je l'écoutais alors » / « je l'écoute actuellement ». Tristesse à Combourg exprimée par un « vague désir de bonheur », « je croyais », « félicité » : mélange entre bonheur et tristesse.
« si souvent siffler la grive » :
allitération en [s] qui montre la douceur du chant de la grive -> valorisation du passé.
2. Une désillusion
Découverte progressive de la connaissance jusqu'à Montboissier qui n'apporte que des déceptions à Chateaubriand : opposition entre soif de connaissances et la certitude que le bonheur est inaccessible.
La désillusion est mise en relief par un système d'analogie : même lieu, même faits, même sons, mais formules négatives, images amères : « j'ai fait le tour de ma vie ».
3. La solitude (thème rousseauiste)
Le « je » est omniprésent et solitaire.
Pour Chateaubriand, la nature est la seule confidente de ses propos et est un lieu de contemplation et de méditation.
C'est une errance, la description de la marche aboutit à la
métaphore finale du navigateur.
III. Le rôle de l'écriture autobiographique
1. Une écriture d'analyse des sentiments
Même analyse des sentiments qu'autrefois, avec un décalage temporel, qui permet une meilleure compréhension et un jugement. Lexique de l'affectivité :
introspection, volonté de comprendre sa propre tristesse.
2. L'écriture redonne vie au passée
Le récit fait ré-exister une expérience présentée comme agréable, elle redonne vie à des instants passés et fait exister la réalité vécue et la pensée, dans le présent.
Cette plongée dans le passé est déclenché par le chant de la grive (« Je fus tiré de mes réflexions par le gazouillement d'une grive ») : importance de la nature pour Chateaubriand pour qui elle source de réflexion et de mélancolie. Un « son magique » au sens propre car il permet de faire revivre le passé.
C'est à travers les mots que le passé reparaît, le narrateur revit : « je revis ces campagnes où j'entendis ». Même temps, mais époques différentes ;
l'écriture atténue la souffrance.
3. Une écriture salvatrice
L'écriture sauve de l'oubli, estompe un passé douloureux en le faisant momentanément oublier : « j'oubliais les catastrophes ».
Chateaubriand veut garder ce qui est beau. Utilisation de l'impératif « mettons à profit le peu d'instants » ; l'écriture sauve les souvenirs de l'oubli : métaphore « journal » du navigateur = autobiographie, plaisir du lecteur.
Conclusion
La perspective de la mort à venir éclaire tout le texte tel
le soleil couchant (cadre romantique) évoqué au début
de cet extrait de
Les Mémoires d'outre-tombe et explique en même temps la tonalité profondément
mélancolique du passage, et l’écriture même des mémoires.
Il s’agit de laisser une trace, de se construire un tombeau capable de
conjurer cette marche implacable du temps.
A rapprocher de Proust (
A la recherche du temps perdu) et de
Rousseau (
Rêveries
du promeneur solitaire). Pessimisme plus grand de Chateaubriand hanté par la fuite du temps, c’est-à-dire par la perspective inéluctable de la mort.