Les Mémoires d'Outre-Tombe

Chateaubriand

Description de Venise

De "Ce n'est plus même la cité..." à "...et tous les sourires de la nature.."
Partie 3, Livre 39, Chapitre 4 (extrait)





Plan de la fiche sur Les Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Chateaubriand (Saint-Malo, 4 septembre 1768 - Paris, 4 juillet 1848), est écrivain et homme politique français. Il est aussi un initiateur du romantisme en France. Il sera influencé par ses 3 voyages à Venise dont le deuxième est relaté dans cet extrait (voyage de 1833).


Lecture du texte

    Ce n'est plus même la cité que je traversai lorsque j'allais visiter les rivages témoins de sa gloire, mais grâce à ses brises voluptueuses et à ses flots amènes, elle garde un charme ; c'est surtout aux pays en décadence qu'un beau climat est nécessaire. Il y a assez de civilisation à Venise pour que l'existence y trouve ses délicatesses. La séduction du ciel empêche d'avoir besoin de plus de dignité humaine ; une vertu attractive s'exhale de ces vestiges de grandeur, de ces traces des arts dont on est environné. Les débris d'une ancienne société qui produisit de telles choses, en vous donnant du dégoût pour une société nouvelle, ne vous laissent aucun désir d'avenir. Vous aimez à vous sentir mourir avec tout ce qui meurt autour de vous ; vous n'avez d'autre soin que de parer les restes de votre vie à mesure qu'elle se dépouille. La nature, prompte à ramener de jeunes générations sur des ruines comme à les tapisser de fleurs, conserve aux races les plus affaiblies l'usage des passions et l'enchantement des plaisirs. […]
    A part de toutes les autres cités, fille aînée de la civilisation antique sans avoir été déshonorée par la conquête, Venise ne renferme ni décombres romains, ni monuments des Barbares. On n'y voit point non plus ce que l'on voit dans le nord et l'occident de l'Europe, au milieu des progrès de l'industrie ; je veux parler de ces constructions neuves, de ces rues entières élevées à la hâte, et dont les maisons demeurent ou non achevées, ou vides.

    Que pourrait-on bâtir ici ? de misérables bouges qui montreraient la pauvreté de conception des fils auprès de la magnificence du génie des pères ; des cahutes blanchies qui n'iraient pas au talon des gigantesques demeures des Foscari et des Pesaro. Quand on avise la truelle de mortier et la poignée de plâtre qu'une réparation urgente a forcé d'appliquer contre un chapiteau de marbre, on est choqué. Mieux valent les planches vermoulues barrant les fenêtres grecques ou moresques, les guenilles mises sécher sur d'élégants balcons, que l'empreinte de la chétive main de notre siècle.
    Que ne puis-je m'enfermer dans cette ville en harmonie avec ma destinée, dans cette ville des poètes, où Dante, Pétrarque, Byron, passèrent ! Que ne puis-je achever d'écrire mes Mémoires à la lueur du soleil qui tombe sur ces pages ! L'astre brûle encore dans ce moment mes savanes floridiennes et se couche ici à l'extrémité du grand canal. Je ne le vois plus ; mais à travers une clairière de cette solitude de palais, ses rayons frappent le globe de la Douane, les antennes des barques, les vergues des navires, et le portail du couvent de Saint-Georges-Majeur. La tour du monastère, changée en colonne de rose, se réfléchit dans les vagues  ; la façade blanche de l'église est si fortement éclairée, que je distingue les plus petits détails du ciseau. Les enclôtures des magasins de la Giudecca sont peintes d'une lumière titienne ; les gondoles du canal et du port nagent dans la même lumière. Venise est là, assise sur le rivage de la mer, comme une belle femme qui va s'éteindre avec le jour : le vent du soir soulève ses cheveux embaumés ; elle meurt saluée par toutes les grâces et tous les sourires de la nature.

    Chateaubriand - Les Mémoires d'Outre-Tombe - Partie 3, Livre 39, Chapitre 4 (extrait)





Annonce des axes

I. Une ville envoûtante
1. Singulière
2. Fascinante

II. La description de Venise mène à une méditation
1. La vanité des bâtiments
2. La finitude humaine : Ville ancienne

III. Souffrance atténuée par le rôle salvateur de Venise
1. Visite de la ville
2. Désir d’éternité



Structure du texte

De "Ce n'est plus même la cité…" à "…la chétive main de notre siècle." : Miroir du mal être de Chateaubriand.
De " Que ne puis-je m'enfermer dans cette ville …" à la fin : Reflet de la destinée de Chateaubriand.


Commentaire littéraire

I. Une ville envoûtante

1. Singulière

- Insistance : "A part de toutes les autres cités, fille aînée" -> Venise plus grande que les autres citées. Enumération de négation -> Description négative + beauté indicible  = Ville exceptionnelle.

2. Fascinante

- Un charme indéfini d’où le mystère et la fascination
- Champ lexical de la grâce (voluptueuses / amènes / La séduction / Délicatesse / charme / passions / enchantement …)
- Allitérations en S et Z -> « grâce à ses brises voluptueuses et à ses flots amènes », «  Les débris … produisit »
- Personnification : « Fille aînée » + «  Belle femme » + « cheveux embaumées »


II. La description de Venise mène à une méditation

1. La vanité des bâtiments

- Opposition : « pauvreté / magnificence », « Fils  pères », « cahutes / gigantesque demeures »
- Opposition temporelle : «  Valent … que la chétive main de notre siècle »
- « truelle de mortier », « poignée de plâtre » -> Insistance sur l’objet et la matière -> absence de réflexion esthétique et logique
- « aucun désir d’avenir », « du dégoût » -> Mal du siècle = mal du narrateur.

2. La finitude humaine : Ville ancienne

- « Ce n’est plus [la] même » = suggère que la cité est vieille
- Champ lexical des ruines : (décadence, vestiges, traces, débris, ruines, dépouille)
- Structure circulaire : île, enfermement … +  Assonance en I en boucle + Inversion son (vous (…) m… (…) m… (…) vous) (« Vous aimez à vous sentir mourir avec tout ce qui meurt autour de vous ») -> fuite du temps
- Lamentation = « Que ne puis-je … ! » + « dans cette ville » = immobilité + Coucher de soleil + répétition de mourir + similarité auteur et ville.


III. Souffrance atténuée par le rôle salvateur de Venise

1. Visite de la ville

Champ lexical pictural

2. Désir d’éternité

Sonorité = chant = revivre en boucle + Chateaubriand = Orphée.





Conclusion

    Chateaubriand livre ici une description pessimiste et non méliorative de Venise. Mais la souffrance de l'auteur est atténuée par le rôle salvateur de Venise.

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Merci à Romain pour cette analyse sur la description de Venise de Les Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand