Texte A : Daniel Defoe, Robinson Crusoé (1719)
Dans son roman, l'anglais Daniel Defoe raconte l'histoire d'un de ses compatriotes Robinson Crusoé qu'un naufrage aurait jeté sur une île déserte pour de très longues années. Au bout d'environ dix ou douze jours que j'étais là , il me vint à l'esprit que je perdrais la connaissance du temps, faute de livres, de plumes et d'encre, et même que je ne pourrais plus distinguer les dimanches des jours ouvrables. Pour éviter cette confusion, j'érigeai sur le rivage où j'avais pris terre pour la première fois, un gros poteau en forme de croix, sur lequel je gravai avec mon couteau, en lettres capitales, cette inscription : J'ABORDAI ICI LE 30 SEPTEMBRE 1659 Sur les côtés de ce poteau carré, je faisais tous les jours une hoche1, chaque septième hoche avait le double de la longueur des autres, et tous les premiers du mois j'en marquais une plus longue encore. Par ce moyen, j'entretins mon calendrier, ou le calcul de mon temps, divisé par semaines, mois et années. 1 Encoche |
Texte B : Saint-John Perse, "La Ville", Images à Crusoé (Éloges, 1911)
Le poète Saint-John Perse, dans son recueil Images à Crusoé, imagine Robinson retourné à la civilisation et méditant sur son séjour dans l'île. LA VILLE [...]      Joie ! ô joie déliée dans les hauteurs du ciel ! 1 plasmes : fluides vitaux |
Texte C : Jean Giraudoux, Suzanne et le Pacifique (1921)
Nouveau Robinson, Suzanne se retrouve, après un naufrage, sur une île déserte, elle y découvre des objets abandonnés par un marin allemand échoué là avant elle : parmi ceux ci, un exemplaire de Robinson Crusoé, dans la lecture duquel elle se plonge aussitôt.      Ce puritain accablé de raison, avec la certitude qu'il était l'unique jouet de la Providence, ne se confiait pas à elle une seule minute. A chaque instant pendant dix huit années, comme s'il était toujours sur son radeau, il attachait des ficelles, il sciait des pieux, il clouait des planches. Cet homme hardi frissonnait de peur sans arrêt, et n'osa qu'au bout de treize ans reconnaître toute son île. Ce marin qui voyait de son promontoire à l'œil nu les brumes d'un continent, alors que j'avais nagé au bout de quelques mois dans tout l'archipel, jamais n'eut l'idée de partir vers lui. Maladroit, creusant des bateaux au centre de l'île marchant toujours sur l'équateur avec des ombrelles comme un fil de fer. Méticuleux, connaissant le nom de tous les plus inutiles objets d'Europe, et n'ayant de cesse qu'il n'eût appris tous les métiers. Il lui fallait une table pour manger, une chaise pour écrire, des brouettes, dix espèces de paniers (et il désespéra de ne pouvoir réussir la onzième), plus de filets à provisions que n'en veut une ménagère les jours de marché, trois genres de faucilles et faux, et un crible, et des roues à repasser, et une herse, et un mortier, et un tamis. Et des jarres, carrées, ovales et rondes, et des écuelles, et un miroir, et toutes les casseroles. Encombrant déjà sa pauvre île, comme sa nation plus tard allait faire le monde, de pacotille et de fer-blanc. Le livre était plein de gravures, pas une ne me le montrât au repos : c'était Robinson bêchant, ou cousant, ou préparant onze fusils dans un mur à meurtrières, disposant un mannequin pour effrayer les oiseaux. Toujours agité, non comme s'il était séparé des humains, mais comme s'il était brouillé avec eux, et ne connaissant aucun des deux périls de la solitude, du suicide et la folie. Le seul homme peut-être, tant je le trouvais tatillon et superstitieux que je n'aurais pas aimé rencontrer dans une île. |
Texte D : Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967)
Vendredi, surpris par Robinson en train de fumer en cachette, a provoqué, sans le vouloir, un gigantesque incendie qui détruit tout ce que Robinson avait entrepris de construire. Robinson regardait autour de lui d'un air hébété, et machinalement il se mit à ramasser les objets que la grotte avait vomis avant de se refermer. Il y avait des hardes déchirées, un mousquet au canon tordu, des fragments de poterie, des sacs troués, des couffins crevés. Il examinait chacune des ces épaves et allait la placer délicatement au pied du cèdre géant. Vendredi l'imitait plus qu'il ne l'aidait, car répugnant naturellement à réparer et à conserver, il achevait généralement de détruire les objets endommagés. Robinson n'avait pas la force de s'en irriter, et il ne broncha même pas lorsqu'il le vit disperser à pleines poignées un peu de blé qu'il avait trouvé au fond d'une urne. 1 Tenn : nom du chien de Robinson |