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Sujet du bac de français 2006 - Séries technologiques
Objet d’étude : La poésie
Corpus :
- Texte A : Paul Verlaine, "L'échelonnement des haies" (Sagesse III, 1881)
- Texte B : Colette, Les Vrilles de la vigne, 1908
- Texte C : Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, II, chapitre premier, 1921
- Texte D : Gustave Roud, Air de solitude, 1945
- Texte E : Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de littérature française, 2005.
TEXTE A - Paul Verlaine, "L'échelonnement des haies" (Sagesse, III, 1881).
L'échelonnement des haies
Moutonne à l'infini, mer
Claire dans le brouillard clair
Qui sent bon les jeunes baies.
Des arbres et des moulins
Sont légers sur le vert tendre
Où vient s'ébattre et s'étendre
L'agilité des poulains.
Dans ce vague d'un Dimanche
Voici se jouer aussi
De grandes brebis aussi
Douces que leur laine blanche.
Tout à l'heure déferlait
L'onde, roulée en volutes1,
De cloches comme des flûtes
Dans le ciel comme du lait.
Stickney, 75
1 volutes : en spirales.
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TEXTE B - Colette, Les Vrilles de la vigne, 1908.
Dans le chapitre intitulé "Jour gris", la narratrice évoque la région de son enfance.
J'appartiens à un pays que j'ai quitté. Tu ne peux empêcher qu'à cette heure s'y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts.
Rien ne peut empêcher qu'à cette heure l'herbe profonde y noie le pied des arbres, d'un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif... Viens, toi qui l'ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jugerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs, qu'un fruit mûrit on ne sait où — là -bas, ici, tout près —, un fruit insaisissable qu'on aspire en ouvrant les narines. Tu jugerais, quand l'automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu'une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches, et tu la flaires, ici, là -bas, tout près...
Et si tu passais en juin, entre les prairies fauchées, à l'heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum, s'ouvrir ton cœur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber la tête, avec un muet soupir...
Et si tu arrivais, un jour d'été, dans mon pays, au fond d'un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, — si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m'oublierais, et tu t'assoirais là , pour n'en plus bouger jusqu'au terme de ta vie !
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TEXTE C - Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, II, chapitre premier, 1921.
Le narrateur part se promener sur une petite route normande.
[...] Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n'avais vu, avec ma grand-mère, au mois d'août, que les feuilles et comme l'emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d'un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu'on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l'horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d'estampe japonaise1 ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné2, presque violent, elles semblaient s'écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c'eût été un amateur d'exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu'aux larmes parce que, si loin qu'elle allât dans ses effets d'art raffiné, on sentait qu'elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne, comme des paysans sur une grande route de France. [...]
1 Estampe japonaise : gravure représentant souvent un paysage stylisé.
2 Rasséréné : ravivé, encore plus bleu
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TEXTE D - Gustave Roud, Air de solitude, 1945.
Extrême-automne
Qu'il est donc rapide, le glissement d'une saison moribonde vers la saison future ! Hier encore (il semble que c'était hier), ce grand pays sous le soleil sec de septembre s'abandonnait aux charrues. Elles ouvraient dans l'herbe rase des prairies de longues blessures roses d'heure en heure élargies. À la pointe du dernier sillon, Fernand, l'épaule nue et dorée comme au plein de l'été, une main sur le soc1 éblouissant, portait de l'autre à ses lèvres une pomme si rouge que le ciel autour d'elle avivait son bleu trop doux. Les chevaux las s'endormaient au repos et leurs crinières, en se penchant vers le sommeil, démasquaient par à -coups le ruban d'horizon, ses pans de collines, ses villages minuscules délicatement dessinés, avec le compte exact des toitures et des arbres leurs couleurs posées côte à côte sans une bavure, à peine amorties au fond de l'air mûri comme un vin d'or. [...]
1 soc : fer de charrue servant à labourer
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TEXTE E - Charles Dantzig, Dictionnaire égoïste de littérature française, 2005.
POESIE : [...] La poésie n'existe pas à l'état naturel. Loin d'être un fait qui préexisterait à l'homme et que celui-ci découvrirait, elle est sa création et son triomphe. Quand Balzac1 parle de poésie du commerce, ce n'est pas qu'elle s'y trouve, c'est qu'il l'y met. Sa sensibilité lui fait transfigurer certains éléments du commerce que les autres ne regardaient même pas. La poésie est la forme supérieure de l'imagination. C'est pour cela qu'on la croit apparentée à la divination.
Or, elle n'a rien à voir avec la Pythie, les mystères d'Eleusis, Dr Imbéné Ravalavanavano amour argent examens2. La poésie, c'est du travail. Il en résulte un chant faisant croire qu'elle se passe dans le ciel. Le poète marche sur une corde. Elle est posée par terre.
La poésie ne se trouve pas que dans les vers. Elle est là où le talent la met. La poésie est le résultat de toute bonne littérature. Mallarmé3 : "Mais, en vérité, il n'y a pas de prose" (réponse à l'Enquête de Jules Huret4).
Le poème est l'objet ; la poésie, éventuellement, le résultat. La poésie est même le résultat de tout art réussi : un tableau est de la poésie, un beau vêtement bien porté est de la poésie, etc. Est poésie le résultat de toute activité humaine menée à bien. Un geste gracieux est de la poésie, un mouvement de troupe bien accompli est de la poésie. [...]
1 Balzac (1799-1850) : romancier français.
2 Tous les noms cités dans cette phrase sont ceux de devins ou de mages censés prédire l'avenir.
3 Mallarmé (1842-1898) : poète français.
4 Jules Huret (1863-1915) : journaliste à L'Echo de Paris. Il fit paraître, en 1891, une enquête sur l'évolution de la littérature.
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I. Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de manière organisée et synthétique (6 points) :
1. Dégagez les points communs et les différences entre les quatre premiers textes du corpus. (3 points)
2. Reformulez trois des idées essentielles du texte de Charles Dantzig. (3 points).
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (14 points) :
Commentaire
Vous commenterez le poème de Paul Verlaine "L'échelonnement des haies" (texte A), en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- vous analyserez comment le recours aux sensations contribue à construire le paysage ;
- vous étudierez comment le poète parvient à créer une atmosphère en accord avec le titre du recueil dont est extrait le poème.
Dissertation
Dans le Dictionnaire égoïste de la littérature française, Charles Dantzig affirme : "La poésie ne se trouve pas que dans les vers". Vous direz si vous partagez son point de vue dans un développement argumenté, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés en classe ou lus personnellement.
Écriture d’invention
Pour une revue de poésie créée avec des camarades, vous devez écrire un article intitulé : "Je n'aime pas les vers : j'aime la poésie !". Rédigez cet article en l'illustrant de citations tirées des textes du corpus et en vous aidant de vos lectures de classe ou personnelles. Vous donnerez à votre prose un ton convaincu, sans aucune familiarité.
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