TEXTE A : Molière, George Dandin George Dandin, riche paysan qui a épousé la noble Angélique, paraît seul sur scène. Acte I, scène 1
George Dandin. Ah ! qu’une femme demoiselle1 est une étrange affaire ! et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s’élever au-dessus de leur condition, et s’allier, comme j’ai fait, à la maison d’un gentilhomme ! La noblesse, de soi2, est bonne ; c’est une chose considérable, assurément : mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu’il est très bon de ne s’y point frotter. Je suis devenu là -dessus savant à mes dépens, et connais le style des nobles, lorsqu’ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. L’alliance qu’ils font est petite avec nos personnes : c’est notre bien seul qu’ils épousent ; et j’aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de m’allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s’offense de porter mon nom, et pense qu’avec tout mon bien je n’ai pas assez acheté la qualité de son mari. George Dandin ! George Dandin ! vous avez fait une sottise, la plus grande du monde. Ma maison m’est effroyable maintenant, et je n’y rentre point sans y trouver quelque chagrin. Molière, George Dandin ou Le Mari confondu, 1668. 1 Femme demoiselle : jeune fille ou femme née de parents nobles. |
TEXTE B : Pierre Augustin Caron de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro Le valet du Comte Almaviva, Figaro, doit épouser Suzanne, servante de la Comtesse. Il apprend que le Comte n’a pas renoncé au « droit de cuissage », ancienne coutume qui permet au maître de passer la nuit de noces avec la mariée. Figaro se plaint de son sort et de Suzanne qui va, d’après lui, céder au Comte à qui elle a donné un rendez-vous secret. Acte V, scène 3
Figaro, seul, se promenant dans l’obscurité, dit du ton le plus sombre. Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !… nul animal créé ne peut manquer à son instinct ; le tien est-il donc de tromper ?… Après m’avoir obstinément refusé quand je l’en pressais devant sa maîtresse1, à l’instant qu’elle me donne sa parole, au milieu même de la cérémonie2… Il riait en lisant3, le perfide ! et moi comme un benêt… non, Monsieur le Comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes4 ; et vous voulez jouter5… On vient… c’est elle… ce n’est personne. – La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari quoique je ne le sois qu’à moitié ! (Il s’assied sur un banc.) – Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? […] Beaumarchais, La Folle Journée ou Le Mariage de Figaro, 1784. 1 Sa maîtresse : la Comtesse. |
TEXTE C : Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour Perdican est amoureux de sa cousine Camille, qu’il doit épouser. Mais elle repousse son amour car elle a décidé d’entrer au couvent. Les deux jeunes gens ont eu une discussion animée. Seul sur scène, Perdican s’interroge. Acte III, scène 1
Devant le château. Perdican. Je voudrais bien savoir si je suis amoureux. D’un côté, cette manière d’interroger est tant soit peu cavalière1, pour une fille de dix-huit ans ; d’un autre, les idées que ces nonnes2 lui ont fourrées dans la tête auront de la peine à se corriger. De plus, elle doit partir aujourd’hui. Diable, je l’aime, cela est sûr. Après tout, qui sait ? peut-être elle répétait une leçon, et d’ailleurs il est clair qu’elle ne se soucie pas de moi. D’une autre part, elle a beau être jolie, cela n’empêche pas qu’elle n’ait des manières beaucoup trop décidées et un ton trop brusque. Je n’ai qu’à n’y plus penser ; il est clair que je ne l’aime pas. Cela est certain qu’elle est jolie ; mais pourquoi cette conversation d’hier ne veut-elle pas me sortir de la tête ? En vérité, j’ai passé la nuit à radoter. Où vais-je donc ? – Ah ! je vais au village. Il sort. Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, 1834. 1 Cavalière : osée, impertinente. |
TEXTE D : Jean Tardieu, La Comédie du langage Un bal est donné au château du Baron de Z… Les invités viennent tour à tour se présenter sur scène. Le premier d’entre eux est Dubois-Dupont. Dubois-Dupont, il est vêtu d’un « plaid » à pèlerine1 et à grands carreaux et coiffé d’une casquette assortie « genre anglais ». Il tient à la main une branche d’arbre en fleur. Je me présente : je suis le détective privé Dubois. Surnommé Dupont, à cause de ma ressemblance avec le célèbre policier anglais Smith. Voici ma carte : Dubois-Dupont, homme de confiance et de méfiance. Trouve la clé des énigmes et des coffres-forts. Brouille les ménages ou les raccommode, à la demande. Prix modérés. On entend soudain la valse qui recommence, accompagnée de rires, de vivats, du bruit des verres entrechoqués. Puis tout s’arrête brusquement. Dès qu’il se tait, en effet, les bruits de bal recommencent, puis s’arrêtent. Une bouffée de bruits de bal. Bruits de bal. Il sort, par la droite, sur la pointe des pieds, un doigt sur les lèvres. J. Tardieu, « Il y avait foule au manoir », in La Comédie du langage, 1987. 1 Plaid à pèlerine : ample manteau orné d’une cape. |