Texte A : Arthur Rimbaud, « Roman », Cahier de Douai, in Poésies, 1870-1872
Le poète Rimbaud a produit toute son œuvre poétique alors qu'il n'était lui-même qu'un adolescent. Roman. I On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! II — Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser5. III Le cœur fou Robinsonne7 à travers les romans, Et, comme elle vous trouve immensément naïf, IV Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août. — Ce soir-là … — vous rentrez aux cafés éclatants, 1 Foin des bocks et de la limonade : le poète renonce à boire de la bière (les bocks) et de la limonade. 2 La promenade : espace bordé d'arbres, où l'on se promène à pied. 3 D'azur sombre : de ciel sombre. 4 Piqué : tacheté. 5 Griser : rendre un peu ivre. 6 On divague : on laisse errer nos pensées, on déraisonne. 7 Le cœur fou Robinsonne : le cœur s'échappe et vagabonde. 8 Cavatine : air d'opéra pour soliste. |
Texte B : Blaise Cendrars, Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France, (vers 1 à 42), in Poésies complètes, 1913.
Ce long poème de 445 vers, nourri de références propres à l'histoire de Cendrars, se présente comme le récit d'un jeune narrateur de seize ans qui fait le voyage de Moscou à Kharbine (ville de Mandchourie) en compagnie de Jeanne, une jeune fille parisienne. En ce temps-là j’étais en mon adolescence Le Kremlin3 était comme un immense gâteau tartare Pourtant, j’étais fort mauvais poète. En ce temps-là j’étais en mon adolescence […] 1 Lieue : mesure de distance approximativement égale à quatre kilomètres. 2 Le temple d'Éphèse, considéré dans l'Antiquité comme la quatrième merveille du monde, fut incendié en 356. 3 Kremlin : citadelle impériale située au cœur de Moscou. 4 Novgorode : ville de Russie. 5 Caractères cunéiformes : écriture ancienne de Mésopotamie qui combine des signes en forme de clous triangulaires. 6 Les pigeons du Saint-Esprit : dans la tradition biblique, la colombe symbolise l'Esprit saint. 7 Réminiscence : mémoire profonde, lointaine, comme venue du fond des âges. 8 Fiacre : véhicule tiré par des chevaux. 9 La venue du grand Christ rouge de la révolution russe : allusion à la Révolution de 1905, déclenchée à Saint-Pétersbourg, et dont la principale manifestation fut conduite par un religieux orthodoxe. |
Texte C : René Char, « L'adolescent souffleté », Les Matinaux, 1950.
L'adolescent souffleté1 es mêmes coups qui l’envoyaient au sol le lançaient en même temps loin devant sa vie, vers les futures années où, quand il saignerait, ce ne serait plus à cause de l’iniquité2 d’un seul. Tel l’arbuste que réconfortent ses racines et qui presse ses rameaux meurtris contre son fût3 résistant, il descendait ensuite à reculons dans le mutisme4 de ce savoir et dans son innocence. Enfin il s’échappait, s’enfuyait et devenait souverainement heureux. Il atteignait la prairie et la barrière des roseaux dont il cajolait la vase et percevait le sec frémissement. Il semblait que ce que la terre avait produit de plus noble et de plus persévérant, l’avait, en compensation, adopté. Il recommencerait ainsi jusqu’au moment où, la nécessité de rompre disparue, il se tiendrait droit et attentif parmi les hommes, à la fois plus vulnérable et plus fort. 1 Souffleté : giflé. 2 Iniquité : injustice. 3 Fût : tronc de l'arbre. 4 Mutisme : état d'une personne qui refuse de parler ou est réduite au silence. |