Electre

Jean Giraudoux

ACTE I, Scène 1

Du début de la scène à "...Toujours. Pas pour longtemps."




Plan de la fiche sur l'acte I, Scène 1 de Electre de Jean Giraudoux :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    A la fin de l'année 1936, Jean Giraudoux (1882 - 1944) écrit sa pièce, Electre représentée pour la première fois à Paris au printemps 1937. A cette époque, de nombreux écrivains, comme Cocteau, s'inspire des grands mythes de l'antiquité et poursuivent ainsi la tradition ; mais Giraudoux fait une œuvre originale en transformant le désir de vengeance en quête de la vérité.

    La scène d'exposition dont nous allons étudier le début est à la fois classique puisqu'elle présente les personnages principaux, elle plante le décor. Elle annonce l'arrivée de l'héroïne. C'est un personnage éponyme et inhabituel puisque le spectateur doit faire appel à son intuition pour comprendre les symboles et les signes qui lui permettent d'entrer dans l'intrigue.


Electre - Giraudoux
Electre de Giraudoux - Mise en scène de Claudia Morin
Les trois petites filles



Lecture du texte

ACTE PREMIER
SCÈNE I


Un étranger (Oreste) entre escorté de trois petites filles, au moment où, de l’autre côté, arrivent le jardinier, en costume de fête, et les invités villageois.

PREMIÈRE PETITE FILLE. – Ce qu’il est beau, le jardinier !
DEUXIÈME PETITE FILLE. – Tu penses ! C’est le jour de son mariage.
TROISIÈME PETITE FILLE. – Le voilà, monsieur, votre palais d’Agamemnon !
L’ÉTRANGER. – Curieuse façade !… Elle est d’aplomb ?
PREMIÈRE PETITE FILLE. – Non. Le côté droit n’existe pas. On croit le voir, mais c’est un mirage. C’est comme le jardinier qui vient là, qui veut vous parler. Il ne vient pas. Il ne va pas pouvoir dire un mot.
DEUXIÈME PETITE FILLE. – Ou il va braire. Ou miauler.
LE JARDINIER. – La façade est bien d’aplomb, étranger ; n’écoutez pas ces menteuses. Ce qui vous trompe, c’est que le corps de droite est construit en pierres gauloises qui suintent à certaines époques de l’année. Les habitants de la ville disent alors que le palais pleure. Et que le corps de gauche est en marbre d’Argos, lequel, sans qu’on ait jamais su pourquoi, s’ensoleille soudain, même la nuit. On dit alors que le palais rit. Ce qui se passe, c’est qu’en ce moment le palais rit et pleure à la fois.
PREMIÈRE PETITE FILLE. – Comme cela il est sûr de ne pas se tromper.
DEUXIÈME PETITE FILLE. – C’est tout à fait un palais de veuve.
PREMIÈRE PETITE FILLE. – Ou de souvenirs d’enfance.
L’ÉTRANGER. – Je ne me rappelais pas une façade aussi sensible…
LE JARDINIER. – Vous avez déjà visité le palais ?
PREMIÈRE PETITE FILLE. – Tout enfant.
DEUXIÈME PETITE FILLE. – Il y a vingt ans.
TROISIÈME PETITE FILLE. – Il ne marchait pas encore.
LE JARDINIER. – On s’en souvient, pourtant, quand on l’a vu.
L’ÉTRANGER. – Tout ce que je me rappelle, du palais d’Agamemnon, c’est une mosaïque. On me posait dans un losange de tigres quand j’étais méchant, et dans un hexagone de fleurs quand j’étais sage. Et je me rappelle le chemin qui me menait rampant de l’un à l’autre… On passait par des oiseaux.
PREMIÈRE PETITE FILLE. – Et par un capricorne.
L’ÉTRANGER. – Comment sais-tu cela, petite ?
LE JARDINIER. – Votre famille habitait Argos ?
L’ÉTRANGER. – Et je me rappelle aussi beaucoup, beaucoup de pieds nus. Aucun visage, les visages étaient haut dans le ciel, mais des pieds nus. J’essayais, entre les franges, de toucher leurs anneaux d’or. Certaines chevilles étaient unies par des chaînes ; c’était les chevilles d’esclaves. Je me rappelle surtout deux pieds tout blancs, les plus nus, les plus blancs. Leur pas était toujours égal, sage, mesuré par une chaîne invisible. J’imagine que c’était ceux d’Électre. J’ai dû les embrasser, n’est-ce pas ? Un nourrisson embrasse tout ce qu’il touche.
DEUXIÈME PETITE FILLE. – En tout cas, c’est le seul baiser qu’ait reçu Électre.
LE JARDINIER. – Pour cela, sûrement.
PREMIÈRE PETITE FILLE. – Tu es jaloux, hein, jardinier ?
L’ÉTRANGER. – Elle habite toujours le palais, Électre ?
DEUXIÈME PETITE FILLE. – Toujours. Pas pour longtemps.

[...]

Electre - Jean Giraudoux - ACTE I, Scène 1 (début de la scène)



Annonce des axes

I. Un décor surréaliste
1. La fête
2. Le symbolisme du palais

II. Une présence tragique
1. Des souvenirs heureux
2. L'évocation d'Electre
3. L'avancée du destin



Commentaire littéraire

I. Un décor surréaliste

1. La fête

    Il s'agit du début de la scène d'exposition de la pièce. On remarque des éléments traditionnels et des éléments originaux. Dès la didascalie initiale, on a le lieu scénique mais le palais d'Agamemnon n'est pas vraiment présenté comme un lieu où il s'est déroulé des événements tragiques, l'atmosphère est joyeuse, gaie puisque la scène commence par les préparatifs d'un mariage. D'après la classe sociale des personnages, on ne se trouve pas dans la tragédie, il y a donc originalité. Les 3 premières répliques des petites filles sont des exclamations joyeuses avec un langage familier et un ton un peu moqueur à l'égard du jardinier. La 3ème réplique apprend aux spectateurs que l'étranger est escorté de 3 petites filles et a une préoccupation : c'est qu'on lui indique le chemin du palais d'Agamemnon. Le spectateur doit deviner que l'étranger est Oreste.


2. Le symbolisme du palais

    Dans les répliques qui suivent, il y a une description du palais d'Agamemnon, cette description est étrange, surréaliste… l'anormalité vient du fait qu'on s'interroge sur sa stabilité. Puis dans la réplique qui suit, la première petite fille fait une remarque qui nous fait entrer dans l'étrangeté, elle nous fait entrer dans le jeu du visible et de l'invisible après cette remarque sur le palais, on parle du jardinier avec le même jeu cependant la réponse du jardinier est tout aussi étrange. Il a une réponse scientifique : « elle est d'aplomb ». Il a des propos incohérents (anachronismes, incertitudes). La petite fille l'avait annoncé. Les habitants de la ville disent que le palais rit ou qu'il pleure. Le palais est personnifié (« sensible »...). Lorsque le palais pleure, on voit l'assassinat d'Agamemnon et toute la malédiction des Atrides ; lorsque le palais rit on voit la fête, le mariage d'Electre. Il y a des intermittences : le palais pleure puis il rit.


II. Une présence tragique

1. Des souvenirs heureux

    Le jardinier pose une question à l'étranger ("Vous avez déjà visité le palais ?"), les 3 petites filles répondent avant lui. Elles évoquent l'enfance de l'étranger. L'étranger a des souvenirs visuels, dans la première tirade de réponse il évoque la mosaïque du dallage. C'est un paysage exotique, merveilleux comme dans un conte. Pour évoquer ses souvenirs il redevient enfant, il utilise des mots d'enfants.
    L'étranger évoque les êtres du décor ("Et je me rappelle aussi beaucoup...") avec des différences de catégorie social, des anneaux d'or autour des pieds et les franges des toges = les riches = maîtres opposés aux chaînes aux chevilles, les esclaves.


2. L'évocation d'Electre

    Au milieu de tous ces pieds il y a ceux d'Electre, ils sont accompagnés par des adjectifs valorisants, et des répétions qui apportent un effet d'insistance. Electre se maîtrise beaucoup, elle ne court pas, elle reste calme et elle est déterminée. On perçoit l'enjeu de l'action. Il veut être sûr que c'est bien Electre. Elle n'a pas reçu d'affection.


3. L'avancée du destin

Les petites filles connaissent le futur : "DEUXIÈME PETITE FILLE. – Toujours. Pas pour longtemps.".
Le destin est déjà en marche.
Il y a un début d'explication sur ce que sont les petites filles, qui pourraient être les représentantes du destin. Elles savent qu'Oreste va forcément rencontrer Electre.





Conclusion

    Comme toute scène d'exposition, celle de Electre apporte des informations sur les lieux, le moment de l'action et sur les personnages présents ou évoqués mais elle est déconcertante par sa tonalité à la fois joyeuse et tragique et par son langage simple voir même singulier, le spectateur est dérouté par ce mélange inhabituel et la nécessité de traduire des symboles, cependant cette scène d'ouverture éveille l'intérêt du spectateur en mettant Electre au centre des préoccupations.

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Merci à Max pour cette analyse sur l'acte I, Scène 1 de Electre de Jean Giraudoux