Le Chef d'œuvre inconnu (1831)

Honoré de Balzac

Le portrait de Maître Frenhofer

De "Un vieillard vint à monter l'escalier…" à "…que s'est appropriée ce grand peintre."




Plan de la fiche sur Le portrait de Maître Frenhofer - Le Chef d'œuvre inconnu - Honoré de Balzac :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

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La nouvelle de Honoré de Balzac, Le Chef d'œuvre inconnu, fut tout d'abord publié en 1831 dans le journal l'Artiste sous le titre de "Maître Frenhofer". La nouvelle sera par la suite intégrée à La Comédie Humaine (1846).

Vers la fin de l'année 1612, le jeune peintre Nicola Poussin veut rencontrer le peintre François Porbus qu'il admire. Il profite de l'arrivée de Maître Frenhofer pour entrer chez le peintre.

Maître Frenhofer fait l'objet d'un portrait au début du roman, lors de sa première rencontre avec le jeune Nicolas Poussin.
Ce portrait oscille entre réalisme et fantastique.

Honoré de Balzac
Honoré de Balzac



Texte étudié


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com



Un vieillard vint à monter l'escalier. À la bizarrerie de son costume, à la magnificence de son rabat de dentelle, à la prépondérante sécurité de la démarche, le jeune homme devina dans ce personnage ou le protecteur ou l'ami du peintre ; il se recula sur le palier pour lui faire place, et l'examina curieusement, espérant trouver en lui la bonne nature d'un artiste ou le caractère serviable des gens qui aiment les arts ; mais il aperçut quelque chose de diabolique dans cette figure, et surtout ce je ne sais quoi qui affriande les artistes. Imaginez un front chauve, bombé, proéminent, retombant en saillie sur un petit nez écrasé, retroussé du bout comme celui de Rabelais ou de Socrate ; une bouche rieuse et ridée, un menton court, fièrement relevé, garni d'une barbe grise taillée en pointe, des yeux vert de mer ternis en apparence par l'âge, mais qui par le contraste du blanc nacré dans lequel flottait la prunelle devaient parfois jeter des regards magnétiques au fort de la colère ou de l'enthousiasme. Le visage était d'ailleurs singulièrement flétri par les fatigues de l'âge, et plus encore par ces pensées qui creusent également l'âme et le corps. Les yeux n'avaient plus de cils, et à peine voyait-on quelques traces de sourcils au-dessus de leurs arcades saillantes. Mettez cette tête sur un corps fluet et débile, entourez-la d'une dentelle étincelante de blancheur, et travaillée comme une truelle à poisson, jetez sur le pourpoint noir du vieillard une lourde chaîne d'or, et vous aurez une image imparfaite de ce personnage auquel le jour faible de l'escalier prêtait encore une couleur fantastique. Vous eussiez dit d'une toile de Rembrandt marchant silencieusement et sans cadre dans la noire atmosphère que s'est appropriée ce grand peintre.

Le Chef d'œuvre inconnu (1831) - Honoré de Balzac - extrait



Annonce des axes

I. Une description réaliste
1. Une description précise et organisée
2. Un cadre précis
3. La connivence du narrateur et du lecteur

II. Une étrange rencontre
1. Un artiste vu par un artiste
2. Un personnage fantastique



Commentaire littéraire

I. Une description réaliste

Portrait inscrit dans le réalisme : multiplication des détails, encrage dans un milieu identifiable, point de vue adopté.

1. Une description précise et organisée

- Abondance d'adjectifs qualificatifs et de participes passés :
* Par groupes de deux ou trois pour cerner avec plus de netteté l'apparence du personnage,
* « un petit nez écrasé, retroussé du bout », « une bouche rieuse et ridée », « une barbe grise taillée en pointe »,
* Aucun aspect du vieillard n'est laissé de côté.

- La description débute par une vision d'ensemble : « bizarrerie du costume », « prépondérante sécurité de la démarche ».

- La description se poursuit ensuite du haut vers le bas :
* « Front », « nez », « bouche », « menton »,
* Puis visage « flétri par les fatigues de l'âge ».

- La description reprend une vision d'ensemble : costume : « dentelle étincelante de blancheur », « pourpoint noir », « lourde chaîne d'or ».

=> La précision de la description donne une illusion de réalité.


2. Un cadre précis

- Cadre socio-historique relativement précis (17ème siècle) :
* Costume : « pourpoint noir », « lourde chaîne d'or »
* Comparaison : « une toile de Rembrandt ».

- La description permet de situer le personnage dans la société :
* Personnage riche : « lourde chaîne d'or », « dentelle étincelante de blancheur, et travaillée comme une truelle à poisson. »,
* Allusion à un mécène : « protecteur ou l'ami du peintre ».

=> L'illusion est renforcée du fait que le portrait s'insère dans un cadre réaliste.


3. La connivence du narrateur et du lecteur

- Série d'impératifs :
* « Mettez », « Imaginez », « Jetez »,
* Invitation à la lecture cursive.

- Présent de vérité générale + adjectif démonstratif (« ces ») :
* « ces pensées qui creusent également l'âme et le corps »,
* Le lecteur les connait, comme il connait des hommes semblables au vieillard.

- Préscience de pluriels :
* Référence à une culture commune,
* « Le caractère serviable des gens qui aiment les arts », « les fatigues de l'âge ».

=> Le narrateur fait appel au lecteur pour construire en imagination le personnage.

Ainsi, la description du Maître Frenhofer, riche vieillard aux yeux verts, donne une illusion de réalité.
Le lecteur est amené à l'imaginer à partir des hommes qu'il connait et qu'il côtoie.
Pourtant, Honoré de Balzac, au début de sa nouvelle, souhaite capter l'attention de son lecteur, le surprendre et l'étonner en faisant du portrait de Frenhofer une sorte de tableau à la Rembrandt et en lui donnant une « couleur fantastique ».



II. Une étrange rencontre

1. Un artiste vu par un artiste

- Place prépondérante à l'évocation des yeux :
* « des yeux vert de mer ternis en apparence par l'âge, mais qui par le contraste du blanc nacré dans lequel flottait la prunelle devaient parfois jeter des regards magnétiques »,
* Nuances des yeux : constituent les seules taches de couleur dans un ensemble noir et blanc.

- Double focalisation :
* Le début du texte présente une focalisation interne,
* « il […] examina », « il aperçut »,
* Par la suite, focalisation zéro,
* « Imaginez ».

- Le portrait est construit comme un tableau :
* « ressemble à une toile de Rembrandt » (vision d'un artiste),
* Jeu d'ombre et de lumière : « noire atmosphère », « jour faible » / « dentelle étincelante de blancheur », « chaîne d'or »,
* des touches de couleurs et des nuances de noir et de blanc : «barbe grise […] yeux vert de mer […] blanc nacré […] étincelante de blancheur […] le pourpoint noir […] chaîne d'or »,
* Précis (le visage est extrêmement détaillé) \ Flou (« un corps fluet et débile »).

=> Le lecteur ne sait pas s'il fait face à un personnage réel, un tableau ou une hallucination.


2. Un personnage fantastique

- Termes qui suggèrent l'étrange caractère de ce personnage : « bizarreries », « singulièrement ».

- Lexique de l'approximation :
* Vocabulaire inapte à décrire un personnage aussi étrange,
* « quelque chose de diabolique », « je ne sais quoi », « quelques traces », « imparfaite »,
* Le vieillard est unique, impossible de trouver un vocabulaire approprié pour exprimer sa « bizarrerie ».

- Singularité du personnage suscitant les interrogations du lecteur :
* Tantôt le vieillard est valorisé : « comme celui de Rabelais ou de Socrate »,
* Tantôt il est présenté comme inquiétant : « quelque chose de diabolique », « ces pensées qui creusent également l'âme et le corps ».

- Allusions diaboliques : « barbe tallée en pointe », « yeux vert de mer », « regards magnétiques ».

=> L'ensemble du texte à une couleur fantastique.

Le portrait de Maître Frenhofer, qui n'est pas encore nommé, suscite le doute du lecteur, fasciné par l'étrangeté du vieillard.






Conclusion

    Le premier portrait de Maître Frenhofer oscille entre réalisme et fantastique : le lecteur a l'impression de voir le personnage, il peut se le représenter en imagination, et pourtant il ne comprend pas quelle est la personnalité de cet étrange caractère. L'ambigüité du portrait rend le personnage fascinant et capte l'attention du lecteur. Le portrait s'insère en effet dans l'incipit de la nouvelle de Balzac : il a aussi pour but de conduire le lecteur à poursuivre sa lecture.

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Merci à Claudia pour cette analyse sur Le Chef d'œuvre inconnu de Honoré de Balzac