Plan de la fiche sur un extrait de
la préface de Cinq Mars de Vigny :
Introduction
Objectifs :
- Introduire une explication du texte pour l'oral
- Lecture méthodique d'un texte argumentatif -> oral
Présenter : L'auteur, le siècle, le courant littéraire, le thème et le plan du texte + plan lecture méthodique.
Alfred de Vigny (1797 - 1863) est un poète romantique de la 1ère moitié du 19ème siècle, comme les romantiques, il souffre du mal du siècle, il se sent déclassé, inutile. Tout d'abord, il fait une carrière militaire mais sans gloire faute d'événements. La gloire qu'il connaîtra sera littéraire, il publie le roman historique
Cinq Mars dont notre texte est la préface. Plus tard, il écrira
Chattertone mais surtout de grands poèmes mélancoliques comme "La mort du loup" ou "La maison du berger".
Dans cette préface, Vigny refuse la fonction sociale d'un art réaliste, il rêve au contraire d'un art qui élève l'humanité : définition romantique de l'art (vision romantique). Le texte commence par définir sa thèse idéaliste puis dans le deuxième, il dévalorise la thèse réaliste.
CIRCUIT ARGUMENTATIF :
I) Caractériser le texte (polémique, délibératif, inductif …) et le circuit argumentatif.
II) Les procédés
Texte étudié
[…]
Cette VERITE toute belle, tout intellectuelle, que je sens, que je vois et voudrais définir, dont j’ose ici distinguer le nom de celui du VRAI, pour me mieux faire entendre, est comme l’âme de tous les arts. C’est un choix du signe caractéristique dans toutes les beautés et toutes les grandeurs du VRAI visible ; mais ce n’est pas lui-même, c’est mieux que lui ; c’est un ensemble idéal de ses principales formes, une teinte lumineuse qui comprend ses plus vives couleurs, un baume enivrant de ses parfums les plus purs, un élixir délicieux de ses sucs les meilleurs, une harmonie parfaite de ses sons les plus mélodieux ; enfin c’est une somme complète de toutes ses valeurs. À cette seule VERITE doivent prétendre les œuvres de l’Art qui sont une représentation morale de la vie, les œuvres dramatiques. Pour l’atteindre, il faut sans doute commencer par connaître tout le VRAI de chaque siècle, être imbu profondément de son ensemble et de ses détails ; ce n’est là qu’un pauvre mérite d’attention, de patience et de mémoire ; mais ensuite il faut choisir et grouper autour d’un centre inventé : c’est là l’œuvre de l’imagination et de ce grand BON SENS qui est le génie lui-même.
À quoi bon les Arts s’ils n’étaient que le redoublement et la contre-épreuve de l’existence ? Eh ! bon Dieu, nous ne voyons que trop autour de nous la triste et désenchanteresse réalité : la tiédeur insupportable des demi-caractères, des ébauches de vertus et de vices, des amours irrésolus, des haines mitigées, des amitiés tremblotantes, des doctrines variables, des fidélités qui ont leur hausse et leur baisse, des opinions qui s’évaporent ; laissez-nous rêver que parfois ont paru des hommes plus forts et plus grands, qui furent des bons ou des méchants plus résolus ; cela fait du bien. Si la pâleur de votre VRAI nous poursuit dans l’Art, nous fermerons ensemble le théâtre et le livre pour ne pas le rencontrer deux fois. Ce que l’on veut des œuvres qui font mouvoir des fantômes d’hommes, c’est, je le répète, le spectacle philosophique de l’homme profondément travaillé par les passions de son caractère et de son temps ; c’est donc la VERITE, de cet homme et de ce TEMPS, mais tous deux élevés à une puissance supérieure et idéale qui en concentre toutes les forces. On la reconnaît, cette VERITE, dans les œuvres de la pensée, comme l’on se récrie sur la ressemblance d’un portrait dont on n’a jamais vu l’original ; car un beau talent peint la vie plus encore que le vivant.
[…]
Cinq Mars - Alfred de Vigny
Annonce des axes
I. Un texte argumentatif
1. Le circuit argumentatif
2. Indices d'énonciation
II. Une préface théorique
1. Le refus du réalisme
2. Définition du romantisme
Commentaire littéraire
I. Un texte argumentatif
1. Le circuit argumentatif
Dans la première phrase, l'auteur expose son projet : "je voudrais définir", "me faire entendre". Trois occurrences de la première personne montrent que c'est bien l'auteur qui donne son avis. Cinq occurrences de "c'est" montrent que l'auteur veut donner sa vision des choses. Dans le début du texte, définition de la vérité idéale avec répétition de "c'est". Effet d'insistance sur le sujet.
Utilisation du présent de vérité générale.
Du début du texte à "...les œuvres dramatiques." : Définir sa conception de l'art et de la vérité dans l'art
De "Pour l’atteindre, il faut..." à "...le génie lui-même." : Exposé de la méthode. "Il faut" + verbe à l'infinitif => partie injonctive.
De "À quoi bon les Arts..." à "...le rencontrer deux fois." : Rejet de la thèse adverse, de la réalité, du réalisme.
De "Ce que l’on veut des œuvres..." à la fin de l'extrait : Retour à sa thèse.
2. Indices d'énonciation
D'après le paratexte, il s'agit d'une préface, c'est-à-dire un texte argumentatif qui offre une relation privilégié avec le locuteur et son destinataire : il s'agit d'éclairer le lecteur sur son projet et répondre à ses adversaires (2ème paragraphe).
Dès la première phrase de l'extrait, il y a une forte implication du locuteur : occurrences de la 1ère personne dans la première phrase + réseau lexical valorisant sa thèse. Généralisation du raisonnement par l'emploi d'un tournure impersonnelle : "c'est" 5 fois et "il faut" 3 fois. Il s'agit ici de définir sa conception de l'art et de la vérité dans l'art. A partir du 2ème paragraphe, le locuteur s'adresse directement à ses adversaires par l'emploi de la 1ère personne et de l'impératif : "laissez-nous rêver", "la pâleur de votre vrai".
La vocabulaire péjoratif désigne le réalisme par un réseau lexical de l'inachevé, de l'indécis.
Rejet de l'œuvre réaliste : "nous fermerons… le livre". Le "nous" englobe l'auteur, ses partisans et ses lecteurs. L'auteur opère une généralisation par le passage du "nous" au "on". L'auteur joue sur l'ambiguïté du "on" qui peut désigner soit les autres (opposés à nous => les adversaires) mais aussi un "on" universel qui englobant l'auteur, les lecteurs et les adversaires, ainsi, habilement, l'adversaire est englobé et donc conquis dans le raisonnement.
II. Une préface théorique
1. Le refus du réalisme
L'auteur oppose réalité et vérité, la vérité est valorisée par les majuscules et le lexique mélioratif, la réalité est dévalorisée par un lexique péjoratif résumé ("triste et désenchanteresse réalité", "la pâleur de votre VRAI"...). L'adjectif possessif "votre" est dévalorisant pour le réalisme, il s'agit d'une vérité limitée et contestable par opposition à la vérité ou le vrai que l'auteur utilise pour parler de sa thèse.
Nous avons une périphrase restrictive pour définir le réalisme : "nous ne voyons que trop" et une question oratoire : "À quoi bon..." qui rejette la thèse de Zola (réaliste) => restriction péjorative. Il refuse la fonction sociale d'un art réaliste qui serait (selon Zola) "la copie exacte et minutieuse de la réalité" (dans la préface de
Thérèse Raquin de Zola). Il le rejette pour plusieurs raisons :
- Pour des raisons esthétiques comme le montre le réseau lexical de l'inachevé : la réalité n'est pas une matière assez forte, assez belle.
- Pour des raisons politiques par des allusions indirectes ("des doctrines variables"...), de Vigny préfère le passé "ont paru". Comme son nom l'indique, il a la nostalgie d'un ordre monarchique.
2. Définition du romantisme
- Les superlatifs ("mieux", "idéal") + les formules totalisantes du début du texte.
- Nous avons ici une esthétique romantique. Le refus du banal et du quotidien.
"la triste réalité", l'attirance pour le rêve.
"Laissez nous rêver [...] Cela fait du bien". C'est une prise de parti romantique avec fonction d'embellissement de la vie. Volonté de rendre compte de la vérité historique : "La vérité de cet homme et de ce temps."
Les romantiques affectionnent le roman historique (ex. : Cinq Mars).
Au théâtre, ils apprécient des drames + contemporains (+ proches de l'antiquité que du classique) : la bataille romantique de Ernany de Hugo se passe en Espagne. L'art doit se servir du passé proche pour éclairer le présent.
Conclusion
Cette préface est à la fois argumentative : l'auteur répond à ses adversaires et critique le réalisme (dans le 2ème paragraphe) mais elle est aussi théorique car l'auteur défini ce qu'est la vérité dans l'art pour les romantiques.
La vérité n'est pas la réalité des faits, la contre épreuve de l'existence. L'artiste ne peut atteindre une vérité qu'après avoir décanté les éléments observés dans la vie, il ne peut s'agir d'une simple copie mais d'une reconstruction artistique qui aura d'autant plus de force qu'il n'aura décanté.