La Reine.
Mais j'ai toujours ouï dire qu'il y a des règles infaillibles pour connoître l'avenir par les astres.
Le C. De Richelieu.
Vous l'avez ouï dire comme une infinité d'autres choses que la vanité de l'esprit humain a autorisées. Mais il est certain que cet art n'a rien que de faux et de ridicule.
La Reine.
Quoi ! Vous doutez que le cours des astres et leurs influences ne fassent les biens et les maux des hommes ?
Le C. De Richelieu.
Non, je ne doute point : car je suis convaincu que l'influence des astres n'est qu'une chimère. Le soleil influe sur nous par la chaleur de ses rayons ; mais tous les autres astres, par leur distance, ne sont à notre égard que comme une étincelle de feu. Une bougie, bien allumée, a bien plus de vertu, d'un bout de la chambre à l'autre, pour agir sur nos corps, que Jupiter et Saturne n'en ont pour agir sur le globe de la terre. Les étoiles fixes, qui sont infiniment plus éloignées que les planètes, sont encore bien plus hors de portée de nous faire du bien ou du mal. D'ailleurs les principaux évènements de la vie roulent sur nos volontés libres ; les astres ne pourroient agir par leurs influences que sur nos corps, et indirectement sur nos ames, qui seroient toujours libres de résister à leurs impressions, et de rendre les prédictions fausses.
La Reine.
Je ne suis pas assez savante, et je ne sais si vous l'êtes assez vous-même pour décider cette question de philosophie : car on a toujours dit que vous étiez plus politique que savant. Mais je voudrois que vous eussiez entendu parler Fabroni sur les rapports qu'il y a entre les noms des astres et leurs propriétés.
Le C. De Richelieu.
C'est précisément le foible de l'astrologie.
Les noms des astres et des constellations leur ont été donnés sur les métamorphoses et sur les fables les plus puériles des poëtes. Pour les constellations, elles ne ressemblent par leur figure à aucune des choses dont on leur a imposé le nom. Par exemple, la balance ne ressemble pas plus à une balance qu'à un moulin à vent. Le belier, le scorpion, le sagittaire, les deux ourses, n'ont aucun rapport raisonnable à ces noms. Les astrologues ont raisonné vainement sur les noms imposés au hasard par rapport aux fables des poëtes. Jugez s'il n'est pas ridicule de prétendre sérieusement fonder toute une science de l'avenir sur des noms expliqués au hasard, sans aucun rapport naturel à ces fables, dont on ne peut qu'endormir les enfants. Voilà le fond de l'astrologie.
La Reine.
Il faut ou que vous soyez devenu bien plus sage que vous ne l'étiez, ou que vous soyez encore un grand fourbe de parler ainsi contre vos sentiments ; car personne n'a jamais été plus passionné que vous pour les prédictions.
Vous en cherchiez partout, pour flatter votre ambition sans bornes. Peut-être que vous avez changé d'avis depuis que vous n'avez plus rien à espérer du côté de ces astres. Mais enfin vous avez un grand désavantage pour me persuader, qui est d'avoir en cela, comme en tout le reste, toujours démenti vos paroles par votre conduite.
Le C. De Richelieu.
Je vois bien, madame, que vous avez oublié mes services d'Angoulême et de Tours, pour ne vous souvenir que de la journée des dupes et du voyage de Compiègne. Pour moi, je ne veux point oublier le respect que je vous dois, et je me retire. Aussi bien ai-je aperçu l'ombre pâle et bilieuse de M.
D'épernon, qui s'approche avec toute sa fierté gasconne. Je serois mal entre vous deux, et je vais chercher son fils le cardinal, qui est mon bon ami.
Fénelon
=> Il s'agit de voir maintenant si ces deux morts, maîtres dans l'art de la rétrospective historique, donnent une leçon édifiante au futur roi de France (le Duc de Bourgogne, mort avant de pouvoir accéder au trône).
=> Objectif de Fénélon avec ce dialogue : mettre en garde l'héritier de la couronne de France contre les intrigants qui voudraient prendre un ascendant sur lui et abuser de sa crédulité.
II. Un dialogue argumentatif reposant sur l'astrologie
1. L'influence des astres
- Enjeu : quel crédit faut-il accorder à l'astrologie ? Faut-il la considérer comme une science ?
- Thèmes de l'influence des astres, de ressemblance et de rapports.
- Deux lectures opposées de l'univers :
* principe de l'analogie --> partisans de l'astrologie : ils croient en une influence et ressemblances entre objets, les constellations représentent des figures animalières pour eux.
* principe d'identité --> opposants de l'astrologie : aucune idée de correspondance entre les êtres et les choses, principes de la science moderne (Descartes)
- Ici Marie de Médicis croit en la possibilité de connaître le destin des hommes par des astres ("Vous doutez que le cours des astres et leurs influences ne fassent les biens et les maux des hommes ?")
- Richelieu n'admet qu'une influence purement physique ("le soleil influe sur nous par la chaleur", "une bougie [...] a bien plus de vertus [...] que Jupiter et Saturne"), mais en aucun cas une influence sur nos décisions et sur notre avenir (défense de la liberté humaine : "âmes [...] toujours libres de résister à leurs impressions, et de rendre les prédictions fausses").
2. Deux types d'argumentation
- Marie de Médicis