Plan de la fiche sur
l'incipit de L'Ecume des jours de Boris Vian :
Introduction
L'Ecume des jours fut écrit par Boris Vian de mars à mai 1946, et publié pour la première fois en 1947. Ce roman est une véritable fête du langage. Dans ce livre ambigu, narquois et angoissant, par le jeu même de la plus insidieuse fantaisie, se découvre d'une douloureuse gravité.
Les personnages : Colin et Chloé (dont un nénuphar ronge progressivement les poumons). Chick et Alise, le professseur Mangemanche, mais aussi "Jean-Sol Partre" et "Simone de Bovouard".
L'amenuisement de la maison de Colin peut symboliser le rétrécissement d'un univers mental obsédé par la maladie d'un être aimé ("quand on voit la vie en noir, elle s'assombrit réellement").
Texte de l'incipit
Colin terminait sa toilette. Il s'était enveloppé, au sortir du bain, d'une ample serviette de tissu bouclé dont seuls ses jambes et son torse dépassaient. Il prit à l'étagère de verre, le vaporisateur et pulvérisa l'huile fluide et odorante sur ses cheveux clairs. Son peigne d'ambre divisa la masse soyeuse en longs filets orange pareils aux sillons que le gai laboureur trace à l'aide d'une fourchette dans de la confiture d'abricots. Colin reposa le peigne et, s'armant du coupe-ongles, tailla en biseau les coins de ses paupières mates, pour donner du mystère à son regard. Il devait recommencer souvent, car elles repoussaient vite. Il alluma la petite lampe du miroir grossissant et s'en rapprocha pour vérifier l'état de son épiderme. Quelques comédons saillaient aux alentours des ailes du nez. En se voyant si laids dans le miroir grossissant, ils rentrèrent prestement sous la peau et, satisfait, Colin éteignit la lampe. Il détacha la serviette qui lui ceignait les reins et passa l'un des coins entre ses doigts de pied pour absorber les dernières traces d'humidité. Dans la glace, on pouvait voir à qui il ressemblait, le blond qui joue le rôle de Slim dans Hollywood Canteen. Sa tête était ronde, ses oreilles petites, son nez droit, son teint doré. Il souriait souvent d'un sourire de bébé, et, à force, cela lui avait fait venir une fossette au menton. Il était assez grand, mince avec de longues jambes, et très gentil. Le nom de Colin lui convenait à peu près. Il parlait doucement aux filles et joyeusement aux garçons. Il était presque toujours de bonne humeur, le reste du temps il dormait.
Il vida son bain en perçant un trou dans le fond de la baignoire. Le sol de la salle de bains, dallé de grès cérame jaune clair, était en pente et orientait l'eau vers un orifice situé juste au-dessus du bureau du locataire de l'étage inférieur. Depuis peu, sans prévenir Colin, celui-ci avait changé son bureau de place. Maintenant, l'eau tombait sur son garde-manger.
Il glissa ses pieds dans des sandales de cuir de roussette et revêtit un élégant costume d'intérieur, pantalon de velours à côtes vert d'eau très profonde et veston de calmande noisette. Il accrocha la serviette au séchoir, posa le tapis de bain sur le bord de la baignoire et le saupoudra de gros sel afin qu'il dégorgeât toute l'eau contenue. Le tapis se mit à baver en faisant des grappes de petites bulles savonneuses.
Il sortit de la salle de bains et se dirigea vers la cuisine, afin de surveiller les derniers préparatifs du repas.
L'Ecume des jours - Boris Vian
Annonce des axes
I. Un univers apparemment familier
II. Une parodie
III. Un monde régi par d'étranges lois
Commentaire littéraire
I. Un univers apparemment familier
De nombreux objets de notre univers quotidien.
Des actes de la vie quotidienne.
Une écriture apparemment classique : un jeune héros blond à l'âge d'or.
Système d'énonciation traditionnel.
II. Une parodie
La parodie de l'incipit : commencer par "terminer" ; présenter le héros faisant sa toilette.
La parodie de la description : description physique seulement ; description par les ressemblances. Mélange de description physique et morale surprenant ("Il était assez grand, mince avec de longues jambes, et très gentil.").
III. Un monde régi par d'étranges lois
Le monde décrit par Boris Vian paraît absurde, imaginaire, enfantin. Tout y est simple (ex.: les comédons qui s'en vont tout seuls).
Les liens de causalité (histoire de la fossette).
L'histoire de la baignoire
Les rapports filles / garçons
Personnification des objets (les comédons = points noirs, tapis qui bave...) ; confusion entre les objets et les légumes (tapis de bain qui dégorge)...
Conclusion
Un début de roman très gai, en accord avec le caractère du personnage ; rien d'inquiétant. Le lecteur est tout au plus dérouté par les lois étranges qui semblent régir cet univers. C'est beaucoup plus tard que ce monde de conte de fée basculera dans un univers cauchemardesque. Pour le moment, le narrateur peut se livrer tout comme son personnage au plaisir de la fantaisie.