L'éducation sentimentale

Flaubert - 1869

Extrait du chapitre 1 de la première partie

De "Ce fut comme une apparition" à "apparaissant dans le capot de l'escalier."




Plan de la fiche sur le chapitre 1 de la Première partie de L'éducation sentimentale de Flaubert :
Introduction
Lecture du texte
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Introduction

    Cet extrait de L'éducation sentimentale, roman de Flaubert publié en 1869, se trouve au premier chapitre de la première partie. Un jeune homme, Frédéric, rentre chez lui à Nogent. Sur le bateau il rencontre une femme mariée dont il tombe instantanément amoureux. On assiste à la naissance d'une passion pour une femme mariée que le jeune homme idéalise directement. Comme toujours chez Flaubert, on trouve une description qui se fait à travers le regard de Fréderic. On a donc une focalisation zéro, puisque le narrateur glisse des remarques.

L'éducation sentimentale - Flaubert



Lecture du texte


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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com


Ce fut comme une apparition :

Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.

Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu.

Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.

Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.

Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur ses genoux. " Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. " Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses, comme s'il eût fait une découverte, une acquisition.

Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?

Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :

- " Je vous remercie, monsieur. "

Leurs yeux se rencontrèrent.

- " Ma femme, es-tu prête ? " cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l'escalier.

Flaubert - L'éducation sentimentale - Extrait du chapitre 1 de la première partie



Annonce des axes

I. Une description subjective qui transfigure la scène
1. Une situation banale
2. Un point de vue qui transfigure la scène

II. La naissance de la passion
1. Le coup de foudre
2. La cristallisation amoureuse

III. Des points de vue contrastés
1. Le regard du narrateur omniscient sur Fréderic
2. Le monologue intérieur de Fréderic



Commentaire littéraire

I. Une description subjective qui transfigure la scène

1. Une situation banale

La banalité réside sur le paysage décrit. On a champ lexical de la banalité « même », « vide », « ennui ». On a aussi la description des voyageurs qui montre également la banalité. Or, dans une scène ennuyeuse, le regard de Fréderic se fixe sur une seule personne. L'activité de broderie est tout à fait commune. L'apparition d'une « négresse » est banale à cette époque.

2. Un point de vue qui transfigure la scène

Le passage alterne récit descriptif et narratif. Pratiquement dans toutes les séquences descriptives, on a une focalisation interne. On a un champ lexical de la vision : « distingua », « regarda », « avait vu ». La description est prise en charge par le regard de Frédéric. Le terme « amoureusement » montre bien le point de vue interne. La description se caractérise par l'émerveillement et l'enthousiasme.
On remarque l'emploi du mot «  apparition » qui a son sens le plus fort : c'est la manifestation d'un être surnaturel qui se montre sous une forme visible. Vocabulaire montrant l'admiration du jeune homme pour cette femme : « éblouissement », « splendeur », « séduction », « finesse », « extraordinaire », « ébahissement ».

Le choix du point de vue transfigure une situation banale en une révélation quasi mystique. L'apparition d'un certain type de femme inaccessible manifeste de l'émerveillement chez le personnage Frédéric.


II. La naissance de la passion

1. Le coup de foudre

On remarque bien l'instantanéité. En effet, dès que Frédéric voit la femme, il semble l'aimer. La comparaison marque bien que le mot « apparition » prend tout son sens. Cette apparition provoque l'éblouissement par la « splendeur », « ébloui » comme une lumière. On a un champ lexical d'une lumière qui irradie et aveugle comme la foudre. La description souligne que l'unicité de cette personne a réussi à faire disparaître toutes les autres personnes.

2. La cristallisation amoureuse

L'homme amoureux est ébloui. On a un portrait assez vague de la femme, il nous renseigne sur le sentiment mais non pas l'apparence. On note aussi l'emploi du mot « palpitaient », on peut supposer que ce qui palpite est le cœur de Frédéric. Il est en état amoureux.
Les objets qui entourent Mme Arnoux « le panier », « long châle ». Nous remarquons que les objets sont des objets ordinaires mais pour Fréderic, ils sont dotés de qualité exceptionnelle. Ils deviennent des choses extraordinaires. Le « châle » est le point de départ d'une rêverie. A partir de quelques détails, la servante, « négresse », « andalouse », « créole », « au milieu de la mer », on est plongé dans une vie exotique et extraordinaire.

On peut parler d'une cristallisation de l'amour. Mme Arnoux est comme une incarnation de la femme inaccessible, la femme mystérieuse mais derrière l'enthousiasme et le transport, un autre regard est présent qui est le point de vue du narrateur.


III. Des points de vue contrastés

1. Le regard du narrateur omniscient sur Fréderic

Toutes les séquences narratives du texte sont prises en charges par le narrateur omniscient. Le regard ne se porte pas sur la femme. Il se porte sur le jeune homme.
C'est parce que cette femme le regarde qu'il exprime une gène « il fléchit involontairement les épaules ». La gestuelle de Fréderic qui traduit les éléments contradictoires : le rapprochement de cette femme, et en même temps la timidité. Il ne veut pas se déclarer de manière claire. On a un champ lexical du masque « dissimuler », « affecter », faire semblant : tout cela marque bien la maladresse du personnage, un certain ridicule. On peut parler d'un registre comique. Fréderic découvre le désir de la possession physique, mais en même temps le manque et l'impossibilité que traduit « une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limite ». Même lorsque Fréderic commentera l'intimité, il ne parviendra pas à satisfaire ses désirs, donc on a une frustration.

On a un regard critique sur le personnage et son masque d'assurance, de pugnacité. Le lecteur découvre autrement le personnage au travers de plusieurs passages dans le texte.

2. Le monologue intérieur de Fréderic

Passage où les pensées du narrateur sont rapportées au style direct. « Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? », « elle avait ramené cette négresse avec elle ? », « elle avait dû, bien des fois [...] ».
Le premier monologue consiste sur la question de la vie de l'inconnue, ce questionnement est le point de départ de deux éléments.
- Désir de connaissance absolue de la femme (meubles, vêtements, etc.), mais ce désir est impossible à combler. Fréderic se livre donc à une rêverie et à une imagination qui viennent compenser cette impossibilité. Il se met à supposer plusieurs choses et l'entrée de la négresse le rentre dans des rêveries exotiques.
- « Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ». Ces deux suppositions nous renseignent sur le tempérament et sur le goût d'une personne rêveuse, sentimentale, imprégnée de clichés romantiques de l'époque.
L'alternance récit description permet un jeu entre une réalité ordinaire qui nous présente un jeune homme timide, et ce rêve qui introduit un contraste entre le regard moqueur et l'enthousiasme rêveur de ce même personnage.





Conclusion

    Ce texte qui nous relate un coup de foudre. Frédéric entame ici son éducation sentimentale par une expérience déterminante. La rencontre avec un être appartenant à une réalité supérieure et donc inaccessible. On a un amour impossible à combler et toute la suite de sa relation sera sur le même mode mais la distance sera impossible à abolir.





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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse du chapitre 1 de la Première partie de de L'éducation sentimentale de Flaubert