Lettres, 203

A Mme de Grignan (sa fille)

Mme de Sévigné - 1672






Plan de la fiche sur la Lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan (sa fille) :
Introduction
Texte de la lettre
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Mme de Sévigné, écrivain du 17ème siècle (période du classicisme, organisation de la pensée) incarne un idéal classique.
    Le texte que nous allons étudié est une correspondance (cœur de l'écriture de Mme de Sévigné) réelle entre elle et sa fille. Le départ de celle-ci est un drame pour la mère (mère en Bretagne, fille en Provence avec son mari). Mme de Sévigné établit une forte correspondance pour réduire d'une certaine manière l'éloignement et l'absence de sa fille.
    C'est un texte épistolaire (= c'est une lettre) et autobiographique.

La question : En quoi cette lettre s'avère-t-elle caractéristique d'une autobiographie ?


Mme de Sévigné
Mme de Sévigné



Texte de la lettre

De Madame de Sévigné à Mme de Grignan

A Paris, mercredi, 16 mars 1672.

    Vous me parlez de mon départ. Ah ! ma chère fille ! je languis dans cet espoir charmant. Rien ne m'arrête que ma tante, qui se meurt de douleur et d'hydropisie. Elle me brise le cœur par l'état où elle est, et par tout ce qu'elle dit de tendresse et de bon sens. Son courage, sa patience, sa résignation, tout cela est admirable. M. d'Hacqueville et moi, nous suivons son mal jour à jour. Il voit mon cœur et la douleur que j'ai de n'être pas libre tout présentement. je me conduis par ses avis; nous verrons entre ci et Pâques. Si son mal augmente, comme il a fait depuis que je suis ici, elle mourra entre nos bras ; si elle reçoit quelque soulagement et qu'elle prenne le train de languir, je partirai dès que M. de Coulanges sera revenu. Notre pauvre abbé est au désespoir aussi bien que moi. Nous verrons comme cet excès de mal tournera dans le mois d'avril. je n'ai élue cela dans la tête. Vous ne sauriez avoir tant d'envie de me voir que j'en ai de vous embrasser ; bornez votre ambition, et ne croyez pas me pouvoir jamais égaler là-dessus.
    Vous me demandez, ma chère enfant, si j'aime toujours bien la vie. je vous avoue que j'y trouve des chagrins cuisants. Mais je suis encore plus dégoûtée de la mort ; je me trouve si malheureuse d'avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m'embarrasse; je suis embarquée dans la vie sans mon consentement. Il faut que j'en sorte ; cela m'assomme. Et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? Quand sera-ce ? En quelle disposition ? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? Aurai-je un transport au cerveau ? Mourrai-je d'un accident ? Comment serai-je avec Dieu ? Qu'aurai-je à lui présenter ? La crainte, la nécessité, feront-elles mon retour vers lue ? N'aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? Que puis-je espérer ? Suis-je digne du paradis ? Suis-je digne de l'enfer ? Quelle alternative ! Quel embarras ! Rien n'est si fou que de mettre son salut dans l'incertitude, mais rien n'est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. je m'abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu'elle m'y mène que par les épines qui s'y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout, mais si on m'avait demandé mon avis, j'aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice ; cela m'aurait ôté bien des ennuis et m'aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément. Mais parlons d'autre chose.

    [...]



Premier paragraphe :
Vocabulaire :
hydropisie : tuberculose
M. d'Hacqueville : mari de la tante
M. de Coullanges : l'abbé

Mme de Sévigné devait aller voir sa fille. Mais elle est retenue à Paris car sa tante est atteinte de la maladie ce qui la contrarie doublement : par la douleur de sa tante et par son retard.

Second paragraphe :
Mme de Sévigné à Paris opère une introspection (examen de conscience, réflexion philosophique et morale). La maladie d'un proche en est le prétexte mais aussi la question de sa fille sur sa vie dans sa lettre précédente. Elle tente donc de faire le bilan mais elle répond à la question par une suite d'autres questions. Cela montre que Mme de Sévigné à Paris est quelque peu perdue et angoissée au sujet de sa vie et de sa mort.


Annonce des axes

I. Une lettre attachante

1. Mise en place des éléments d'une communication épistolaire
2. La mise en scène de l'affectivité
3. La tonalité tragique

II. Une méditation sur l'existence
1. L'expression de l'incertitude
2. L'entrelacement des thèmes de la vie et de la mort



Commentaire littéraire

I. Une lettre attachante

1. Mise en place des éléments d'une communication épistolaire

Genre épistolaire : Bipolarisation : Narrateur – Narrataire
Commence par les marques de l'énonciation, d'échange de paroles.
Dès la première phrase, on a un échange de propos : « Vous me parlez »
• Les pronoms personnels renvoyant à Mme de Sévigné « je … me » sont répétés de façon récurrente. L'importance de ces marques traduit la volonté de parler avant tout d'elle.
• En même temps, « vous » narrataire. Elle parle à quelqu'un de précis : sa fille Françoise qu'elle aime énormément. Elle envoie ses nombreuses lettres pour combler la distance entre elle et sa fille. « ma chère fille ».
• Echange de propos, impression de discours oral, dialogue écrit. « Vous me demandez » qui renvoie à une lettre précédente. « Ah ! » interjection orale qui donne l'impression de parole, il donne de la vivacité au récit, il exprime les sentiments.


2. La mise en scène de l'affectivité

La tonalité exprimée par le vocabulaire affectif donne l'impression que la personne qui s'exprime est touchée. En effet, elle devait partir voir sa fille mais elle est retardée, elle est donc dans l'impatience de voir sa fille. Cette impatience est une souffrance. « Il voit mon cœur et la douleur que j'ai de n'être pas libre tout présentement. », « je languis », « Vous ne sauriez avoir tant d'envie de me voir que j'en ai de vous embrassez ». Ces expressions soulignent l'amour qu'elle porte à sa fille. On a une tonalité lyrique qui exprime l'impuissance et une tonalité pathétique qui exprime la douleur de ne pas être là. Les mots qui traduisent l'amour et la tendresse qu'elle porte pour sa fille : « chère… espoir charmant » et « vous embrassez » sont renforcés par le point d'exclamation.


3. La tonalité tragique

Le fait que sa tante se trouve à l'agonie rajoute le tragique, idées de maladie, de la mort, de la séparation. Cette dernière idée rappelle la séparation mère/fille en moins tragique. Vocabulaire de la maladie « brise le cœur » l'hyperbole souligne la détresse face à la mort, « au désespoir aussi bien que moi » sentiments liés au tragique. Elle est obsédée, une double obsession entre la guérison impensable de sa tante et le désir de revoir sa fille. C'est un « je » qui exprime ses sentiments : marque de l'autobiographie.


Conclusion : l'ensemble est donc une mise en scène autobiographique des sentiments d'une mère angoissée (peur et impuissance face à la mort) et épleurée (traversée par des événements tragiques).


II. Une méditation sur l'existence

C'est une partie métaphysique (réflexion sur la vie et le mort) et philosophique (forme de sagesse).
C'est une épicurienne : « dégoûtée par la mort ».
Malgré son amour pour sa religion, son amour pour sa fille est plus fort ce qui l'entraîne à cette sincérité autobiographique. Sa fille la questionne sur sa vie, elle répond en parlant directement de sa mort, le sujet qui l'intéresse. Elle est obnubilée par la mort => la vie n'a plus grand intérêt.

1. L'expression de l'incertitude

Le passage des interrogations (« Et comment en sortirai-je ?... ») souligne encore une fois l'aspect obsessionnel de cette réflexion sur la mort. C'est un monologue intérieur introspectif, elle s'interroge sur l'existence, c'est une interrogation lyrique.


2. L'entrelacement des thèmes de la vie et de la mort

Cet entrelacement traduit l'angoisse et l'inquiétude « Je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie » car la vie mène à la mort. Questionnement sur le sens de l'existence. Expression de regrets sur sa « sotte vie ». L'incohérence de la vie relevée par Mme de Sévigné : Elle n'a pas demandé à vivre, elle ne demande pas à mourir. C'est à ses yeux une fatalité inacceptable.


Conclusion : Il s'agit d'un journal égotique (réflexion sur le « soi ») qui est une véritable introspection.





Conclusion

    C'est une lettre autobiographique, il y a expression de l'auteur de ses sentiments à la première personne. C'est une introspection car Madame de Sévigné se livre sincèrement à sa fille, elle est le sujet et l'objet de sa réflexion.

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Merci à Antoine pour cette analyse sur la Lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan