Les Thibault

Roger Martin du Gard

Le discours de Jaurès

De "Jacques, penché en avant..." à "...C’est l’éruption de la fin !"




Plan de la fiche sur un extrait de Les Thibault de Roger Martin du Gard :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Présenter l'auteur, Roger Martin du Gard (1881 - 1958), et l'œuvre.


Texte étudié

Jacques, penché en avant, le menton sur le point, l’œil tendu vers ce visage levé qui semblait toujours regarder ailleurs, au delà – ne perdait pas une syllabe.
Jaurès n’apportait rien de nouveau. Il dénonçait, une fois de plus, le danger des politiques de conquête et de prestige, la mollesse des diplomaties, la démence patriotique des chauvins, les stériles horreurs de la guerre. Sa pensée était simple ; son vocabulaire, assez restreint ; ses effets, souvent de la plus courante démagogie. Pourtant ces banalités généreuses faisaient passer à travers cette masse humaine à laquelle Jacques appartenait ce soir, un courant de haute tension qui la faisait osciller au commandement de l’orateur, frémir de fraternité ou de colère, d’indignation ou d’espoir, frémir comme une harpe au vent. D’où venait la vertu ensorcelante de Jaurès ? de cette voix tenace, qui s’enflait et ondulait en larges volutes sur ces milliers de visages tendus ? de son amour si évident des hommes ? de sa foi ? de son lyrisme intérieur ? de son âme symbolique, où tout s’harmonisait par miracle, le penchant à la spéculation verbeuse et le sens précis de l’action, la lucidité de l’historien et la rêverie du poète, le goût de l’ordre et la volonté révolutionnaire ? Ce soir, particulièrement, une certitude têtue, qui pénétrait chaque auditeur jusqu’aux moelles, émanait de ces paroles, de cette vois de cette immobilité : la certitude de la victoire toute proche, la certitude que, déjà, le refus des peuples faisait hésiter les gouvernements et que les hideuses forces de la guerre ne pouvaient pas l’emporter sur celles de la paix.
Lorsque, après une péroraison pathétique il quitta enfin la tribune, contracté, écumant, tordu par le délire sacré, toute la salle, debout, l’acclama. Les battements de mains, les trépignements, faisaient un vacarme assourdissant, qui, pendant plusieurs minutes, roula d’un mur à l’autre du Cirque, comme l’écho du tonnerre dans une gorge de montagne. Des bras tendus agitaient frénétiquement des chapeaux, des mouchoirs, des journaux, des cannes. On eût dit un vent de tempête secouant un champ d’épis. En de pareils moments de paroxysme, Jaurès n’aurait eu qu’un cri à pousser, un geste de la main à faire, pour que cette foule fanatisée se jetât, derrière lui tête baissée, à l’assaut de n’importe quelle Bastille.
Insensiblement, ce tumulte s’ordonna, devint rythme. Pour se délivrer de l’étau qui les serrait, toutes ces poitrines haletantes recouraient de nouveau à la musique, au chant :
Debout les damnés de la terre !...
Et, au dehors, les milliers de manifestants qui n’avaient pas pu entrer, et qui, malgré les déploiements de la police, obstruaient toutes les rues avoisinantes, reprirent le couplet de L’Internationale :

Debout les damnés de la terre !...
…………………………………….
C’est l’éruption de la fin !

Extrait de Les Thibault - Roger Martin du Gard




Annonce des axes

I. Un texte épidictique
1. L’éloge de Jaurès l’orateur
2. Le blâme de Jaurès le démagogue
3. L’ambiguïté du personnage

II. Un texte ancré dans un contexte historique
1. Jaurès
2. Contexte
3. L’effervescence de la population avant l’entrée en guerre



Commentaire littéraire

I. Un texte épidictique

Le discours épidictique loue ou blâme, distingue ce qui est noble de ce qui est vil, "le beau et le laid moral".

1. L’éloge de Jaurès l’orateur

- Sa rhétorique : « D’où venait la vertu ensorcelante […] et la volonté révolutionnaire » => Jean Jaurès envoûte son auditoire à sa façon de parler.
- Métaphore : « courant de haute tension » = son discours crée des émules.
- Jaurès captive totalement son public : le narrateur fait part de ses réactions à travers des questions rhétoriques, accentuées par des effets d’accumulations, qui reflètent de manière libre les pensées de Jacques, et le langage oral de son discours par la suppression des verbes.


2. Le blâme de Jaurès le démagogue

- « Jaurès n’apportait rien de nouveau » => inutilité de son discours, formule très définitive : « une fois de plus ».
- Gradation : « sa pensée était simple […] de la plus courante démagogie » => un discours sans fond, creux, vide = accentuation par la juxtaposition de propositions indépendantes courtes et la suppression du verbe être et par la présence d’un rythme ternaire.


3. L’ambiguïté du personnage

- Les figures d’opposition = mettre en évidence les sentiments contradictoires qu’inspire Jaurès : oxymore = « banalités généreuses » => un discours sans intérêt pourtant utile au moral de l’auditoire ; antithèses = « frémir de fraternité ou de colère, d’indignation ou d’espoir » => on ne sait pas quelles émotions le discours suscite + « la lucidité de l’historien […] et la volonté révolutionnaire » => un personnage difficile à cerner.
- « vertu ensorcelante » => malgré un discours fade, Jaurès capte l’attention de son public : il est envoûtant, c’est un tribun habile, et proche du peuple.


II. Un texte ancré dans un contexte historique

1. Jaurès

- Homme politique célèbre de la Troisième République : c’est un des grands personnages de l’histoire politique française et socialiste (L’Internationale = chant socialiste), créateur de l’Humanité.
- Brillant orateur.
- Défenseur des classes sociales pauvres, des ouvriers, de Dreyfus.
- Pacifiste s’opposant à l’entrée en guerre de la France en 1914, il est assassiné à la veille de la déclaration de guerre.


2. Contexte

- Un contexte politique : champ lexical de la politique = Jaurès, politique, mollesse des diplomaties, patriotique, chauvins, révolutionnaire, peuples, gouvernement, Bastille.
- Un contexte historique d’avant-guerre : champ lexical de la guerre = danger, conquête, prestige, horreurs de la guerre, victoire toute proche, guerre, paix.


3. L’effervescence de la population avant l’entrée en guerre

- Beaucoup de monde, un phénomène de foule et non d'individualités : « masse humaine » = métaphore ; « ces milliers de visages tendus », « toutes ces poitrines haletantes » = métonymies ; « foule », « manifestants » => les gens ne sont désignés que par l’effet produit par Jaurès sur eux.
- Une foule en effervescence : « démence patriotique des chauvins » = pléonasme ; « un courant de haute tension » =  métaphore ; anaphore de « frémir » ; « toute la salle, debout, l’acclama ».
- Ce qui entraîne : « battements de mains, les trépignements », « vacarme assourdissant » = champ lexical du bruit.





Conclusion

L’auteur recrée la fièvre qui accompagne le discours de Jaurès. Engouement toujours possible aujourd’hui ?

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Merci à Mathilde pour cette analyse sur un extrait de Les Thibault de Roger Martin du Gard