Mémoires

Saint-Simon - chapitre XIX

Rédigées en 1723-1750, publiées en 1829

De "Il aima en tout la splendeur..." à "...dans toutes les parties de l'Europe."




Plan de la fiche sur un extrait de Mémoires de Saint-Simon :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

Texte extrait des Mémoires de Saint-Simon.
Saint-Simon (1675-1755) : majorité de sa vie à la cour. Logé à Versailles. Vie d'intrigue pour défendre les privilèges des nobles.
Témoin attentif de la fin du règne de Louis XIV. Après la mort du monarque : un rôle discret. Il s'efface par rapport à la cour.
  -> bien informé sur la vie à la cour
Mémoires :
- Rédigées en 1723-1750, et publiées en 1829. Cette œuvre n'appartient pas à la littérature classique (XVIIème), mais ce n'est pas non plus le texte d'un philosophe.
- Souvenirs et critique d'un homme qui a vécu à Versailles sous Louis XIV.
Présenter le texte : un portrait de Louis XIV (parallèle avec La Bruyère au XVIIè dans Les Caractères). Tonalité critique.



Texte étudié

Chapitre XIX

    [...]

    Il aima en tout la splendeur, la magnificence, la profusion. Ce goût il le tourna en maxime par politique, et l'inspira en tout à sa cour. C'était lui plaire que de s'y jeter en tables, en habits, en équipages, en bâtiments, en jeu. C'étaient des occasions pour qu'il parlât aux gens. Le fond était qu'il tendait et parvint par là à épuiser tout le monde en mettant le luxe en honneur, et pour certaines parties en nécessité, et réduisit ainsi peu à peu tout le monde à dépendre entièrement de ses bienfaits pour subsister. Il y trouvait encore la satisfaction de son orgueil par une cour superbe en tout, et par une plus grande confusion qui anéantissait de plus en plus les distinctions naturelles.

    C'est une plaie qui, une fois introduite, est devenue le cancer intérieur qui ronge tous les particuliers, parce que de la cour il s'est promptement communiqué à Paris et dans les provinces et les armées, où les gens en quelque place ne sont comptés qu'à proportion de leur table et de leur magnificence, depuis cette malheureuse introduction qui ronge tous les particuliers, qui force ceux d'un état à pouvoir voler, à ne s'y pas épargner pour la plupart, dans la nécessité de soutenir leur dépense, et par la confusion des États, que l'orgueil, que jusqu'à la bienséance entretiennent, qui par la folie du gros va toujours en augmentant, dont les suites sont infinies, et ne vont à rien moins qu'à la ruine et au renversement général.

    Rien, jusqu'à lui, n'a jamais approché du nombre et de la magnificence de ses équipages de chasse et de toutes ses autres sortes d'équipages. Ses bâtiments, qui les pourrait nombrer? En même temps, qui n'en déplorera pas l'orgueil, le caprice, le mauvais goût ? Il abandonna Saint-Germain, et ne fit jamais à Paris ni ornement ni commodité, que le pont Royal, par pure nécessité, en quoi, avec son incomparable étendue, elle est si inférieure à tant de villes dans toutes les parties de l'Europe.

    [...]

Saint-Simon - Mémoires (extrait)



Annonce des axes

I. Un portrait critique par rapport aux goûts du monarque
II. Une remise en cause d'un système politique



Commentaire littéraire

I. Un portrait critique par rapport aux goûts du monarque

- Phrase d'amorce : "Il aima en tout la splendeur, la magnificence, la profusion"
* Portrait psychologique et moral
* Rythme ternaire "la splendeur, la magnificence, la profusion" = gradation vers l'excès (profusion = excès, abondance). Annonce la gradation du texte : de plus en plus vive par rapport aux goûts du monarque.


- Traits principalement décriés par rapport à Louis XIV
* Orgueil : champs lexicaux relevés,
* Goût du luxe,
  -> Détaillé par différents éléments matériels : "en tables, en habits, (...) en jeu".
N.B. : ironie par le classement :
* du plus utile vers le moins utile => critique implicite, * du plus cher vers le moins cher => critique implicite.


- Le texte évolue peu à peu vers un ton plus sévère et beaucoup plus explicite. cf. 3e paragraphe : "l'orgueil, le caprice, le mauvais goût" : rythme ternaire qui fait écho au rythme de la première phrase = clôture de manière définitive le portrait moral dressé par l'auteur.


II. Une remise en cause d'un système politique

- En plus d'un portrait, ce texte est aussi un commentaire par rapport au système politique : cf. 2e phrase "Ce goût, il le tourna en maxime par politique, et l'inspira en tout à sa cour" (en fait, il en a fait une loi).

- Les principales critiques sont liées au goût du luxe de Louis XIV.

- Les nobles sont rabaissés au rang de courtisans : cf. tournures présentatrices : "C'était", "C'étaient".
-> souligne que toute l'activité des nobles est orientée vers le bon plaisir du Roi : "lui plaire", "pour qu'il parlât"

- Fin du 1er paragraphe : désormais tout le monde dépend de lui financièrement
-> malsain : réduit à néant le système de la noblesse féodale où prédominait un code de valeurs et de bonne conduite morale.

- 2e paragraphe : champ lexical de la maladie : le Roi a affaibli l'ensemble de son royaume en étendant le système de la cour partout.
N.B. : connotation négative de la métaphore et de la maladie. Cause de cette maladie : fin du paragraphe : les nobles sont "obligés" de voler les pauvres pour entretenir leur train de vie.

- 3e paragraphe : critique par rapport à l'abandon de la capitale, qui est normalement une vitrine de prestige pour le Roi.
-> implicitement, ce que Saint-Simon reproche à Louis XIV : dépenses fastueuses pour Versailles.





Conclusion

Que ce soit concernant le Roi, ou le système politique, Saint-Simon se livre ici à une critique très dure. En parallèle à ce texte et à travers les idées qu'il défend, on peut ici dresser un portrait assez précis du portraitiste :
  - Un homme attaché à l'idéal féodal et qui n'apprécie pas le métier des courtisans
  - Un noble qui refuse l'absolutisme au profit d'un retour à la puissance de la noblesse.

On a affaire à un discours critique qui n'ira pas dans le même sens que les Philosophes du XVIIIème siècle.

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Merci à Anne-Laure pour cette analyse d'un extrait de Mémoires de Saint-Simon