Le miroir qui revient

Alain Robbe-Grillet

De « Grand-père parlait peu. » à « …prétendre lutter contre elle. »




Plan de la fiche sur un extrait de Le miroir qui revient de Alain Robbe-Grillet :
Introduction
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion




Introduction

      Alain Robbe-Grillet (1922 - 2008) est un des représentants de la tendance moderne du roman au XXème siècle, qualifié de « Nouveau Roman » (cf. Michel Butor, Claude Simon, Robert Pinget, Nathalie Sarraute). Chef de file et théoricien de ce renouveau qui prend son élan dans les années 1950 et 1960.
      Alain Robbe-Grillet et ses amis lancent des défis destructeurs et déstructurants au roman « traditionnel », particulièrement à ceux du XIXème siècle dont Balzac est le représentant le plus caractéristique : il s’agit de faire éclater les stéréotypes et les « trucs » d’un réalisme finalement impossible voire « truqueur ». Le stylo devient caméra « caméra-stylo » (cf. les liens entre le Nouveau Roman et la « Nouvelle Vague » au cinéma (Resnais, Godard) dans les années 60, scrute compulsivement le réel, le torture pour lui faire avouer un sens, derrière les illusions rassurantes du réel dans une époque -les années 60- d’heureuse euphorie).
      Le miroir qui revient (1985) est une autobiographie narcissique (miroir) habilement fictive : il fait « revenir » à la mémoire des mots (cf. Sartre), des images, des obsessions, des personnes, des objets fétiches pour tenter de trouver la cohérence et sens à ce personnage qui se nomme Alain Robbe-Grillet, ingénieur agronome de son métier.


Lecture du texte


Annonce des axes

I. La difficile reconstruction du passé : les difficultés du récit autobiographique
1. Le titre
2. Un personnage central fixe des souvenirs : grand-père et ses voyages
3. Les difficultés du souvenir et de la mémoire

II. Les enjeux du récit autobiographique
1. Chaos et discontinuités : le miroir brisé
2. Déconstruction du souvenir et naufrage de la mort
3. Ecrire, créer : l’art contre la mort



Commentaire littéraire

I. La difficile reconstruction du passé : les difficultés du récit autobiographique

1. Le titre

      LE MIROIR QUI REVIENT explicite la/les difficulté(s) du récit autobiographique. « Miroir »= regard sur soi dédoublé ; jeu de miroir (illusion), image d’un MOI autre, d’un moi éclaté qui, à la fois, existe et se regarde exister.
      Miroir, thème baroque (jeu, illusion, dédoublement, conflit possible), thème du Narcisse (double inversé, séduction, fascination/répulsion létale (de mort) pour une image de soi), Miroir des contes : « Miroir, joli miroir, dis-moi si… ». Ce thème semble assez fécond pour désigner ce regard sur/ de soi dans l’autobiographie. Mais le miroir « revient » : personnalisation et désignation d’une incursion nouvelle, d’un retour qui va exiger des comptes. (Comme ces maudits, ces parias, ces fils d’assassinés qui reviennent au village demander des comptes « vengeance » bien plus tard). Qu’attend de moi ce miroir qui revient !


2. Un personnage central fixe des souvenirs : grand-père et ses voyages

      Quelques détails effleurent à une mémoire : ils constituent une trame assez lâche, générale. « Les navires partaient pour trois ans », « on élevait à bord des moutons et des poules (…) traversaient la France à pied ». Que ce soit la durée (trois longues années réduites à une phrase) ou les souvenirs, on est dans la notation floue, presque irréelle, curieuse, dans le détail anecdotique et inattendu montant à l’assaut de la mémoire comme par accident. Que signifient ces détails ? Pourquoi ceux-là viennent-ils en particulier ? Que signifie leur côté curieux, cocasse, anecdotique ? Il y a comme un courant sous-marin de la mémoire que l’on devine mal à la surface plate et générale de ce récit.


3. Les difficultés du souvenir et de la mémoire

     « Grand père parlait peu. » déjà un handicap : une chape de silence autour de la vie de cet homme : difficulté de savoir « je ne me souviens pas qu’il nous ait fait le moindre récit de ses multiples tours du monde », « je ne connais presque rien ». Une vie de marin, habituellement foisonnante d’expériences, réduite à « presque rien ». Sans doute, difficulté du grand-père à communiquer et à transmettre la signification de sa vie aux autres, à supposer qu’il ait vu clair dans le miroir du passé qui revenait ou, peut-être, irréalité du souvenir et des rêves désormais désordonnés et comme déjà morts avec les années et donc impossibles à communiquer dans les détails.

      Les souvenirs transitent par des tiers : la mère : « rien en dehors de menues bribes rapportées par ma mère » et les tantes « mes tantes »  : détours supplémentaires par des mémoires féminines ayant retenu, fixé ce qui les intéressait, touchait par leur affectivité, leur esprit romanesque (détails cocasses du bateau) ou grande fête familiale de la remise delà légion d’honneur. L’auteur n’y a pas assisté (« ce fut une belle journée pour mon grand-père, m’a-t-on dit »). Il y a même insistance et brouillage des repères chronologiques « je ne sais plus si j’ai assisté à la scène, ou si on me l’a seulement racontée. Peut-être même était-ce avant ma naissance ». Le calendrier de sa vie et de ses souvenirs est flou. Ces faits flottent hors de lui, ne s’imbriquent que difficilement dans les cadres de sa biographie. Il y a comme une désagrégation du tissu mémoriel (qui donne du sens à sa vie) (les fous perdent ces repères). Un non-sens du temps qui est déjà une absence de sens de la vie et déjà, peut-être, une plongée dans le néant de la mort.


II. Les enjeux du récit autobiographique

1. Chaos et discontinuités : le miroir brisé

      Si par son insistance sur le temps flou et décomposé l’auteur signifie déjà dans un premier paragraphe, une déconstruction symbolique de la vie désertée par les souvenirs, il se montre beaucoup plus explicite dans le second paragraphe qui se présente comme une analyse, un bilan « voilà donc ». De même l’expression « ce qui reste » qui désigne le passé comme reste, étrave : de toute cette matière solide et réelle de la vie ne restent que cendres.
      Alain Robbe-Grillet explicite la désagrégation du temps dans les souvenirs : ce miroir qui revient présente mille fêlures : ce sont des « pièces dépareillés » le souvenir n’a pas cette cohérence qui pourrait, au bilan de sa vie, avoir un sens, une signification humaine ou même philosophique : le tissu des souvenirs est un « patchwork bigarré ». L’insistance sur cette incohérence, cette discontinuité désespérante est bien marquée : « objets sans suite », « des instantanés qu’on énumère en désordre sans parvenir à les mettre véritablement (logiquement) bout à bout ». (La parenthèse « (logiquement) » est importante : une vie vue dans le miroir du passé, ne représentant pas de logique, de « logos », de sens construit). Il manque le fil aux perles de la vie. L’isolement, la solitude de chaque souvenir qui ne peut faire corps avec l’ensemble, est aussi décrit : « des morceaux de gestes figés et d’objets sans suite ».
      Et même, au soin de la vie, à l’heure de quelques réponses aux questions celles-ci restent dans le « vide », attendent le sens qu’auraient pu donner la logique et la cohérence de valeurs enfin trouvées, le fil conducteur du sens.


2. Déconstruction du souvenir et naufrage de la mort

      Le naufrage des souvenirs du grand-père constitue l’exemple et le paradigme de sa propre mort : la dispersion, la dissolution et l’engloutissement du passé annoncent et préfigurent ce qui attend l’auteur : « voilà tout ce qui reste, au bout de si peu de temps, et de moi-même bientôt sans aucun doute ».

      Comme la vie du grand-père marin naufragé de la mémoire, la sienne sombrera très vite sous la surface éclairée de la vie : irrémédiable plongeon ! Du coup ce miroir qui revient annonce sa mort : le passé déconstruit annonce toutes les décompositions de la vie : c’est quand on ne pense plus à moi que je suis définitivement mort : « c’est ça le mort… » ; c’est quand les souvenirs lâchent prise, ne s’accrochent plus au fil du sens qui les suspend au-dessus du vide et du néant (« logiquement ») que la vie sombre dans le néant.


3. Ecrire, créer : l’art contre la mort

      Trois lignes (21/22/23) pour désigner l’art comme un « anti-destin », un combat contre les forces qui écrasent. « Construire un récit, ce serait alors de façon plus ou moins consciente prétendre lutter contre elle ».

      Ecrire est un combat contre le temps, l’oubli, la mort. Ecrire, c’est, peut-être, donner une (sa) cohérence à l’éclatement schizophrénique du passé, c’est « recomposer le passé » pour lui donner un sens suffisamment solide pour résister à l’engloutissement de la mort. Ecrire une œuvre, c’est cela aussi ; c’est un « monument » (du latin : « monumentum » (de moneo) = « ce qui rappelle au souvenir », « monument » « tombe » « mémorial ») qui, résistant à l’oubli, nargue la mort (penser à cela dans les cimetières devant les écrivains qui vivent toujours par leur œuvre, Baudelaire, Sartre, de Beauvoir, Beckett à Montparnasse par exemple). Noter que l’auteur reste dans le conditionnel, « modalise » : « ce serait….prétendre » (de façon lu ou moins consciente ». Ecrire reste donc une tentative, un essai de lutte entre le néant, un cri d’espoir dans une autre forme de vie éternelle.





Conclusion

- Texte court, style concis, laconique, lapidaire (celui du constat) très « Nouveau Roman » (la brièveté stylistique dit une vision en « flashes » de la vie).

- Texte dense, de l’anecdote (refusée comme telle d’ailleurs) à une méditation sur l’art et l’écriture narguant la mort (cf. Malraux – ses thèses sur l’art).




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