Plan de la fiche sur un extrait de
Le papa de Simon de Maupassant :
Introduction
Guy de Maupassant, écrivain naturaliste de référence, vécut son enfance en Normandie, seul avec son frère, sa mère et Gustave Flaubert, ami d'enfance de cette dernière. En effet, suite à de violentes disputes entre ses parents, le père quitta à jamais la maison. Le fameux auteur réaliste, prenant finalement la place du chef de famille, initia alors à sa vocation. L'enfant qui bénéficiera, grâce aussi à sa rencontre quelques années plus tard avec Zola, d'un double héritage littéraire. Mais Maupassant refusa le parti pris d'analyse que prônait Zola ; il se voulait original, comme il l'écrivit dans sa préface de
Pierre et Jean.
Ainsi dans la nouvelle
Le papa de Simon, Maupassant dépeint la méchanceté des enfants pour finalement écrire une parabole de la cruauté humaine. Nous étudierons donc cet extrait en commençant par décrire la narration vivante, puis le groupe, suivi de l'individu isolé pour finir sur l'avis de l'auteur.
Guy de Maupassant
Texte étudié
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Lu par Nicole Delage - source : litteratureaudio.com
Midi finissait de sonner. La porte de l'école s'ouvrit, et les gamins se précipitèrent en se bousculant pour sortir plus vite. Mais au lieu de se disperser rapidement et de rentrer dîner, comme ils le faisaient chaque jour, ils s'arrêtèrent à quelques pas, se réunirent par groupes et se mirent à chuchoter.
C'est que, ce matin-là, Simon, le fils de la Blanchotte, était venu à la classe pour la première fois.
Tous avaient entendu parler de la Blanchotte dans leurs familles ; et quoiqu'on lui fît bon accueil en public, les mères la traitaient entre elles avec une sorte de compassion un peu méprisante qui avait gagné les enfants sans qu'ils sussent du tout pourquoi.
Quant à Simon, ils ne le connaissaient pas, car il ne sortait jamais et il ne galopinait point avec eux dans les rues du village ou sur les bords de la rivière. Aussi ne l'aimaient-ils guère ; et c'était avec une certaine joie, mêlée d'un étonnement considérable, qu'ils avaient accueilli et qu'ils s'étaient répété l'un à l'autre cette parole dite par un gars de quatorze ou quinze ans qui paraissait en savoir long tant il clignait finement des yeux :
- Vous savez... Simon... eh bien, il n'a pas de papa.
Le fils de la Blanchotte parut à son tour sur le seuil de l'école.
Il avait sept ou huit ans. Il était un peu pâlot, très propre, avec l'air timide, presque gauche.
Il s'en retournait chez sa mère quand les groupes de ses camarades, chuchotant toujours et le regardant avec les yeux malins et cruels des enfants qui méditent un mauvais coup, l'entourèrent peu à peu et finirent par l'enfermer tout à fait. Il restait là, planté au milieu d'eux, surpris et embarrassé, sans comprendre ce qu'on allait lui faire. Mais le gars qui avait apporté la nouvelle, enorgueilli du succès obtenu déjà, lui demanda :
- Comment t'appelles-tu, toi ?
Il répondit : "Simon."
- Simon quoi ? reprit l'autre.
L'enfant répéta tout confus : "Simon."
Le gars lui cria : "On s'appelle Simon quelque chose... c'est pas un nom ça... Simon."
Et lui, prêt à pleurer, répondit pour la troisième fois :
- Je m'appelle Simon.
Les galopins se mirent à rire. Le gars triomphant éleva la voix : "Vous voyez bien qu'il n'a pas de papa."
Un grand silence se fit. Les enfants étaient stupéfaits par cette chose extraordinaire, impossible, monstrueuse, - un garçon qui n'a pas de papa ; - ils le regardaient comme un phénomène, un être hors de la nature, et ils sentaient grandir en eux ce mépris, inexpliqué jusque-là, de leurs mères pour la Blanchotte.
Quand à Simon, il s'était appuyé contre un arbre pour ne pas tomber ; et il restait comme atterré par un désastre irréparable. Il cherchait à s'expliquer. Mais il ne pouvait rien trouver pour leur répondre, et démentir cette chose affreuse qu'il n'avait pas de papa. Enfin, livide, il leur cria à tout hasard : "Si, j'en ai un."
- Où est-il ? demanda le gars.
Simon se tut ; il ne savait pas. Les enfants riaient, très excités ; et ces fils des champs, plus proches des bêtes, éprouvaient ce besoin cruel qui pousse les poules d'une basse-cour à achever l'une d'entre elles aussitôt qu'elle est blessée. Simon avisa tout à coup un petit voisin, le fils d'une veuve, qu'il avait toujours vu, comme lui-même, tout seul avec sa mère.
- Et toi non plus, dit-il, tu n'as pas de papa.
- Si, répondit l'autre, j'en ai un.
- Où est-il ? riposta Simon.
- Il est mort, déclara l'enfant avec une fierté superbe, il est au cimetière, mon papa.
Un murmure d'approbation courut parmi les garnements, comme si ce fait d'avoir son père mort au cimetière eût grandi leur camarade pour écraser cet autre qui n'en avait point du tout.
Extrait de Le Papa de Simon - Guy de Maupassant
Annonce des axes
I. Une narration vivante
II. Les autres, le groupe
III. Simon
IV. Le regard de Maupassant
Commentaire littéraire
I. Une narration vivante
Nous avons affaire à un récit vivant, se déroulant à la campagne. La couleur locale est rapidement affichée par un vocabulaire ordinaire à l'époque de Maupassant tels que "galopier" ou "garnement" et par un décor ordinaire : celui d'une école remplie d'enfants, et cette même couleur locale permet, par son côté pittoresque, une description concrète de la vie champêtre, comme celle de l'influence des ragots dans ces régions.
L'auteur cherche à donner vie à son récit par toute une série de figures de rhétorique propre aux naturalistes; tout d'abord, le texte possède comme temps dominant le passé simple, introduisant la présence d'actions et d'événements spéciaux, dont le premier est marqué par la conjonction de coordination d'opposition "mais". Cependant, d'autres temps comme l'imparfait, afin de faire des descriptions, ou le plus que parfait, afin de faire des retours en arrière, sont aussi employés.
ex : "Tous avaient entendu parler"
Quant au rythme ternaire du premier paragraphe, il marque une cassure rythmique avec la suite du texte d'où se dégagent certains mouvements (cf. : circulaire Simon).
De plus, au bout de quelques temps, apparaît un dialogue concis, mettant en valeur la violence du désespoir de l'enfant isolé, valorisation d'autant plus amplifiée du fait des contrastes, comme l'âge du "gars", 15 ans, et du petit, 8 ans, et de la présence de connecteurs logiques accentuant les va-et-vient entre le groupe et le gamin. ex : "Quand".
Enfin, le narrateur omniscient (connaît les pensées des commères) ne dépeint pas seulement les réactions des personnages, mais les justifie aussi. De ce fait, il glisse de temps à autre dans la peau des personnages apportant alors une focalisation zéro au texte, jeu assez caractéristique du réalisme et du naturalisme. Par certains procédés, l'écrivain met donc en relief la scène, et fait désirer au lecteur la suite. On évolue alors d'une simple narration à un récit de plus en plus contrasté pour finir sur une sorte de scène théâtrale du fait de l'évolution du dialogue et de la scène vers un ton dramatique.
II. Les autres, le groupe
Dès le début du texte, le groupe opposé à Simon est mentionné au pluriel "ils" "tous", et ce, constamment par des noms ou pronoms pluriels. Ainsi, ils sont nombreux, donc plus forts, tandis que Simon, seul, est faible. Un véritable contraste est alors présent entre le petit garçon âgé de 8 ans et le groupe avec à sa tête un adolescent de 14 ans. Seul un gamin ressemble à Simon, lui aussi sans père, mais lâchement, il préfère se ranger du côté des plus puissants. Cependant, dès le commencement, Maupassant critique les adultes au travers des enfants, en qualifiant leur attitude vis-à-vis de Blanchotte d'hypocrite. Ainsi, le grand enfant imite les parents, et les gamins, l'adolescent. Le comportement des enfants n'est donc pas spontané, mais a été préparé par celui des parents. En somme, la méchanceté des enfants est donc la réplique de celle du monde des adultes, caractérisé lui aussi de noms et pronoms pluriels.
Dans le paragraphe suivant, l'attitude du groupe est expliquée par la conjonction de coordination "car" dans des phrases abondant de négation, montrant le refus constant des "galopins" réagissant comme une meute, encercle la proie avec à sa tête un chef derrière lequel les mâles s'effacent et qui s'impose par la force et une attitude agressive. Ainsi, dans le dialogue "théâtrale", le ton indique un mépris insultant vis-à-vis de Simon par le tutoiement "toi" ou "Simon, quoi". Il ne fait que répéter des choses qu'il a déjà dites à travers des phrases simples, voire primaire, comme lui (en effet, un enfant de 14 ans en primaire, qui ne trouve public que chez les plus petits ?)
Quant au reste du groupe, ils sont caractérisés par leur esclavage vis-à-vis du chef, par leur naïveté, et par leur crédulité vis-à-vis du discours des adultes. Leur ignorance (comment peut-on ne pas avoir de père?) est décrite avec grossièreté. D'ailleurs, chez eux, l'inexpliqué provient inconsciemment des parents ayant une certaine confusion d'esprit. Ainsi, le groupe se résume en un chef primaire qui a le courage facile et d'autres gamins qui consistent à faire masse derrière le plus fort.
III. Simon
Tandis que le sentiment chez le groupe passe de l'étonnement à la
méchanceté, chez Simon, on passe de la surprise à l'embarrassement pour finir
par le désespoir. Tout d'abord, l'arrivée du héros est mise en valeur par
des procédés d'attente, puis par un gros plan sur sa personne. L'embarrassement
du petit est visible par le "sans comprendre". Mais cet enfant est présenté comme
le fils de Blanchotte. Ainsi, ce n'est pas lui qu'on aperçoit, mais sa mère
au travers lui. D'ailleurs, le prénom de celle-ci n'est pas bénin. Une certaine
candeur et innocence (voire de pureté) se dégage, malgré un côté péjoratif
avec le suffixe "hotte". D'ailleurs, l'enfant aussi est "pâle". De plus, Simon
est toujours resté avec sa mère ("il ne sortait jamais", "c'est le garçon à sa
maman). Ainsi, il a tout pour être le souffre-douleur typique, d'autant plus
qu'il a un aspect pacifique, chose inacceptable aux yeux des autres gamins.
Les questions, alors posées par le chef ne lui laissent pas d'autre choix que
de faire "l'aveu" qu'il se nomme "Simon" (répété 3 fois). Cruellement, les
autres enfants l'attaquent sur le fait que sa mère vit seule.
Ce dernier évolue donc dans le texte. De pâlot, il passe à "livide", pour finalement vaciller (s'appuie contre un arbre) de désespoir. A un moment, il a "l'énergie du désespoir" (autre gosse). Après avoir été poussé à bout, on lui dérobe la seule planche de salut qu'il avait avec celui qui lui ressemblait.
IV. Le regard de Maupassant
Un auteur qui nous décrit une telle scène désire nous faire
réfléchir tout comme Hugo, bien que celui-ci soit plus didactique (séparation
de l'histoire et de la morale). Maupassant, lui, joue avec l'ironie. Ainsi,
il traite ici des sujets tels que : l'éducation des parents, des rumeurs, les
effets sur les enfants... De la même façon, il exprime et il nous fait réfléchir
sur les attitudes en groupe. (ex : l'autre petit). D'ailleurs, l'auteur intervient
afin de donner son avis au sujet de la façon dont les gamins accueillent quelqu'un
de différent. Il se présente parfois comme omniscient, mais surtout ceci est
ambigu (ex : paragraphe 4) (est-ce du style indirect libre). En fait, le point
de vue est une focalisation zéro. De plus, il juge ses personnages. Ces groupes
sont caractérisés de termes péjoratifs comme : "presque gauche" ou "galopins" ou "enorgueillit"...
La cruauté du groupe est alors mise en valeur de façon à ce que la faiblesse
de Simon apparaisse clairement. Sans compter la comparaison du groupe à des ¨bêtes
comme des poules des champs ou ces fils de champs. Maupassant prend donc nettement
parti surtout dans la dernière phrase, très solennelle, où l'antithèse et l'hyperbole
(ex : "écrasait") donnent un côté pathétique au texte. L'auteur montre ainsi l'absurdité des
relations humaines, en nous peignant des enfants cruels, contrairement aux habitudes.
Conclusion
Ainsi dans ce texte où le naturalisme domine malgré le ton
final emphatique, Maupassant nous décrit une scène banale dans une cour d'école
en pleine campagne. Mais les enfants sont étonnamment dépeints en tant que petits
adultes cruels. Ainsi derrière l'anecdote, l'auteur critique la société et met
en valeur l'influence des rumeurs sur une personne et l'attitude au milieu d'un
groupe. D'après l'écrivain, l'homme peut s'avilir au point de ressembler à une
bête. Alors, ainsi que Zola dans
La Bête humaine, un certain pessimisme
se dégage de l'œuvre "originale" comme le demande Maupassant à tous les artistes
dans sa préface de
Pierre et Jean.