Les deux infinis

Blaise Pascal - Les Pensées










Introduction

    L’œuvre Les Pensées, constituée de notes et fragments publiés à titre posthume, était destinée à la grande Apologie de la religion chrétienne à laquelle Pascal se consacra pendant les dernières années de sa vie. Dans cet extrait, l’objectif de ce célèbre auteur classique du 17ème était de ramener les incroyants à la religion en humiliant la raison de l’Homme et en effrayant son imagination.

Blaise Pascal
Blaise Pascal




Texte de Les deux infinis

    Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C'est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.
    Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ?
    Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme nouveau. Je lui veux peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné; et trouvant encore dans les autres la même chose sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ses merveilles, aussi étonnantes dans leur petitesse que les autres par leur étendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde, ou plutôt un tout, à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ?
    Qui se considérera de la sorte s'effrayera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que sa curiosité, se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.
    Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d'où il est tiré, et l'infini où il est englouti.

Les pensées de Pascal




Annonce des axes

I. Evocation imagée et progressive des deux infinis
1. L’infiniment grand
2. L’infiniment petit
3. L’infiniment grand contenu dans l’infiniment petit

II. L’argumentation
1. Pascal, guide du lecteur
2. Vers un Dieu caché



Commentaire littéraire

I. Evocation imagée et progressive des deux infinis

1. L’infiniment grand

* D’abord ce que l’homme voit
* Ensuite ce que l’homme imagine
* Amplification progressive
* Hyperbole
* Le fait de prendre l’homme comme point de référence (que l’Homme contemple, …) souligne la petitesse de celui-ci par rapport au Cosmos

2. L’infiniment petit

* Présenté comme un autre prodige
* On part du ciron (petit acarien parasite du fromage), qui est décomposé jusqu’à ne plus être sécable (gradation + ANADIPLOSE)
* Sollicitation de l’imagination : concevoir un autre univers dans le ciron lui même
* L’ordre d’énumération est inversé par rapport à l’ordre de description de l’infiniment grand.
* L’homme se sent un « colosse » / « un monde » / « un tout à l’égard du néant »

3. L’infiniment grand contenu dans l’infiniment petit

* Mêmes mots pour évoquer l’infiniment petit et l’infiniment grand (immensité, univers, terre).

Le lecteur éprouve un vertige, perdu entre les deux infinis, il sera enclin à chercher un réconfort.


II. L’argumentation

1. Pascal, guide du lecteur

En 3 étapes :
        - 1  injonction (ordre) (que l’homme contemple, que l’homme regarde)
        - 2  « nous » englobe le lecteur +  « je veux lui faire voir » : Pascal prend en charge la visite des deux infinis .
        - 3  questions de rhétorique (dont la réponse est donnée) -> le lecteur est accompagné et se laisse conduire par l’auteur.

2. Vers un Dieu caché

* L’homme est dans une situation inconfortable au centre de l’infini.
* Le vertige est accentué par hyperbole/ énumération/ paradoxe (C'est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part -> paradoxale pour un mathématicien)
* Texte présenté comme une dramatisation progressive : de l’admiration (majesté, délicate lumière) à l’effroi (néant, trembler, s’effrita)
* Les choses sont cachées (Dieu) (secret impénétrable, fin et principe des choses cachés)
* Pascal pousse l’homme à chercher un réconfort en Dieu.
La raison de l’homme est rabaissée pour favoriser l’adhésion aux faits.





Conclusion

    Pascal cherche, grâce à son art de la persuasion, à évoquer la disproportion de l’homme par rapport au monde qui l’entoure. Il l’incite donc à se réfugier dans la foi.
    Ouverture : Pascal était lecteur de Montaigne, qui a lui aussi rendu l’homme perdu sans la foi dans L’apologie de R.S.




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Merci à Brigitte pour cette analyse sur Les deux infinis de Pascal