Plan de la fiche sur
le chapitre 1 de Pierre et Jean de Maupassant :
Introduction
Présenter rapidement l'auteur et l'œuvre :
Extrait du roman naturaliste
Pierre et Jean de
Maupassant, publié en 1888.
Situation du passage :
Extrait du premier chapitre de
Pierre et Jean, ce texte introduit un élément capital pour l'intrigue (l'élément perturbateur) : le fait que Jean hérite d'une somme d'argent considérable. Maître Lecanu, le notaire est venu annoncer lui-même la nouvelle. Pour ménager ses effets, il procède en deux temps : il révèle d'abord aux Roland la mort de leur ami Léon Maréchal ; puis il laisse passer leur première réaction avant d'en venir à l'essentiel, c'est à dire à la façon dont se présente l'héritage.
Texte étudié
[…]
L'étonnement fut si grand qu'on ne trouvait pas un mot à dire.
Mme Roland, la première, dominant son émotion, balbutia :
"Mon Dieu, ce pauvre Léon... notre pauvre ami... mon Dieu... mon Dieu... mort !..." Des larmes apparurent dans ses yeux, ces larmes silencieuses des femmes, gouttes de chagrin venues de l'âme qui coulent sur les joues et semblent si douloureuses, étant si claires.
Mais Roland songeait moins à la tristesse de cette perte qu'à l'espérance annoncée. Il n'osait cependant interroger tout de suite sur les clauses de ce testament, et sur le chiffre de la fortune ; et il demanda, pour arriver à la question intéressante :
"De quoi est-il mort, ce pauvre Maréchal ?"
M. Lecanu l'ignorait parfaitement.
"Je sais seulement, disait-il, que, décédé sans héritiers directs, il laisse toute sa fortune, une vingtaine de mille francs de rentes en obligations trois pour cent, à votre second fils, qu'il a vu naître, grandir, et qu'il juge digne de ce legs. A défaut d'acceptation de la part de M. Jean, l'héritage irait aux enfants abandonnés." Le père Roland déjà ne pouvait plus dissimuler sa joie et il s'écria :
"Sacristi ! voilà une bonne pensée du coeur. Moi, si je n'avais pas eu de descendant, je ne l'aurais certainement point oublié non plus, ce brave ami !" Le notaire souriait :
"J'ai été bien aise, dit-il, de vous annoncer moi-même la chose. Ça fait toujours plaisir d'apporter aux gens une bonne nouvelle." Il n'avait point du tout songé que cette bonne nouvelle était la mort d'un ami, du meilleur ami du père Roland, qui venait lui-même d'oublier subitement cette intimité annoncée tout à l'heure avec conviction.
[…]
Guy de Maupassant - Pierre et Jean - Extrait du chapitre I
Annonce des axes
I. Les réactions très différentes des personnages
1. Mme Roland : une émotion contenue
2. La joie de M. Roland
3. La satisfaction du notaire
II. La présence du narrateur
1. La cupidité de M. Roland
2. Premiers indices de vérité
3. Quelques thèmes importants du roman mis en place
Commentaire littéraire
I. Les réactions très différentes des personnages
On peut noter qu'il y a une organisation assez méthodique de la présentation des réactions :
- "la première" -> Mme Roland
- "Mais" -> M. Roland
- "Maître Lecanu" -> le notaire
Nous choisissons de garder l'ordre d'intervention des personnages pour analyser leurs réactions.
1. Mme Roland : une émotion contenue
- Le fait qu'elle soit la première à réagir montre la sincérité de son émotion
- Insistance du narrateur sur cette émotion :
- "larmes" (répété deux fois)
- Champ lexical important de la douleur, de l'émotion : "émotion", "balbutia", "larmes", "chagrin", "douloureuses", "tristesse de cette perte".
- Sincérité de l'émotion mise en avant : "larmes silencieuses", "venues de l'âme" -> une douleur intime, intérieure - Discours au style direct -> mime un sanglot
- Lambeaux de phrases entrecoupés de points de suspension ("mon Dieu... mon Dieu... mort !...")
- Le point d'exclamation après "mort !"
- Expressions de désolation : "mon Dieu" (répété deux fois), "pauvre" (répété deux fois)
2. La joie de M. Roland
Le narrateur oppose les 2 époux de différentes façons :
- Par la différence d'expression des émotions :
- Mme Roland "dominant son émotion".
- Roland "ne pouvait plus dissimuler sa joie".
- Par la différence des termes utilisés dans le discours direct :
- "Sacristi" | | "Mon dieu" |
- "s'écria" | | "balbutia" |
| | | | |
Joie déplacée | | Chagrin |
- Par la différence des termes utilisés pour qualifier Maréchal :
- "ce pauvre Maréchal" | | "ce pauvre Léon" |
- "ce brave ami" | | "notre pauvre ami" |
| | | | |
Utilisation du nom de famille | | proche du défunt |
-> Beaucoup plus distant.
- Par la ponctuation, notamment, les points d'exclamation, qui manifestent :
- La joie et la satisfaction chez M. Roland,
- la douleur chez Mme Roland.
- Par l'organisation des phrases :
- Beaucoup plus longues chez M. Roland -> maîtrise
- Discours décousu chez Mme Roland -> ne se maîtrise pas
3. La satisfaction du notaire
- Expression "J'ai été bien aise"
- Champ lexical de la satisfaction : "souriait", "bien aise", "plaisir", "bonne nouvelle"
- Froideur du notaire qui ne manifeste pas d'émotion envers Maréchal :
- Réponse à la question de Roland sur l'origine de la mort : de toute évidence, il ne s'en est pas préoccupé
- Champ lexical dominant de l'argent, du profit : "les clauses de ce testament", "le chiffre", "la fortune", "héritiers", "sa fortune, une vingtaine de mille francs de rentes en obligation trois pour cent", "ce legs", "l'héritage"
- Le dernier terme utilisé montre toute son indélicatesse : "bonne nouvelle" pour désigner la mort.
II. La présence du narrateur
Dans cet extrait de
Pierre et Jean, le narrateur ne se contente pas de conduire le récit : il marque sa présence en mettant à nu les caractères et en laissant deviner les grands thèmes du roman.
1. La cupidité de M. Roland
Le narrateur le démasque en montrant que ses préoccupations sont uniquement financières :
- "Roland songeait moins à la tristesse qu'à l'espérance annoncée."
- Dernier mot de la phrase (malicieusement placé ici en position stratégique) : "pour arriver à la question intéressante"
- Hypocrisie du chef de famille s'écriant : "Moi, si je n'avais pas eu de descendant (…)" -> une affirmation mensongère qui n'engage à rien et qui fait sourire le lecteur
2. Premiers indices de vérité
Le narrateur laisse au lecteur la possibilité de deviner ce qui échappera toujours à M. Roland : ici, à quelques reprises, il donne des indices sur la nature exacte du lien qui pourrait exister entre Jean et Maréchal :
- Insistance sur l'émotion de Mme Roland
- L'expression significative du notaire : "qu'il a vu naître (…) digne de ce legs" -> en insistant sur la naissance, il explique implicitement la présence de Maréchal
- Ironie du narrateur qui consiste à placer dans la bouche de M. Roland l'expression qui donne la solution et résume tout : "une pensée du cœur". (Pour M. Roland c'est un geste d'amitié mais le lecteur peut y voir une marque d'amour de la part de Maréchal).
3. Quelques thèmes importants du roman mis en place
Dans cet extrait qui introduit l'élément perturbateur, le narrateur par sa présence et à travers les réactions des personnages met en place quelques thèmes du roman comme :
- A travers les larmes, l'image émouvante de Mme Roland, qui laissera à nouveau couler ses larmes lorsque Pierre dévoilera à Jean son secret.
- Les rapports de Pierre et Jean : le notaire évoque ici l'hypothèse d'un "défaut d'acceptation" de la part de Jean. Au chapitre VII, Pierre reprochera à son frère d'avoir accepté l'héritage et Jean lui-même y songera. De plus, le notaire évoque la possibilité que l'argent aille aux "enfants abandonnés" : cette expression contient, elle aussi un élément d'annonce : Pierre, contraint de quitter la maison paternelle au dernier chapitre, ne sera-t-il pas lui aussi un "enfant abandonné" ?
Conclusion
Sur le plan de l'intrigue, cet extrait de
Pierre et Jean délivre une nouvelle capitale et met en place les caractères si différents de M. et Mme Roland.
Cependant, une autre chose particulièrement intéressante ici est la place du narrateur : celui-ci apparaît en effet derrière ses personnages. Il démasque discrètement l'hypocrisie de certains propos.
Il nous laisse la possibilité en tant que lecteur d'entrevoir la suite du récit et nous invite à y réfléchir : Est-ce vraiment une "bonne nouvelle" qu'apporte ici Me Lecanu ? Au début du chapitre VI, M. Roland fera remarquer : "Depuis que nous avons eu le bonheur de cet héritage, tout le monde semble malheureux."