Lettre portugaises

Guilleragues - 1669

Fin de la cinquième lettre





Plan de la fiche sur les Lettre portugaises (cinquième lettre) de Guilleragues :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion



Texte complet des Lettres portugaises


Introduction

Cf. fiche sur les Lettres portugaises.
Pour éconduire un amant… l’oublier ? message de rupture.


Texte étudié

    [...]

    Cependant je crois que je ne vous souhaite point de mal, et que je me résoudrais à consentir que vous fussiez heureux ; mais comment pourrez-vous l'être, si vous avez le coeur bien fait. Je veux vous écrire une autre Lettre, pour vous faire voir que je serai peut-être plus tranquille dans quelque temps ; que j'aurai de plaisir de pouvoir vous reprocher vos procédés injustes après que je n'en serai plus si vivement touchée, et lorsque je vous ferai connaître que je vous méprise, que je parle avec beaucoup d'indifférence de votre trahison, que j'ai oublié tous mes plaisirs et toutes mes douleurs, et que je ne me souviens de vous que lorsque je veux m'en souvenir ! Je demeure d'accord que vous avez de grands avantages sur moi, et que vous m'avez donné une passion qui m'a fait perdre la raison, mais vous devez en tirer peu de vanité ; j'étais jeune, j'étais crédule, on m'avait enfermée dans ce couvent depuis mon enfance, je n'avais vu que des gens désagréables, je n'avais jamais entendu les louanges que vous me donniez incessamment, il me semblait que je vous devais les charmes et la beauté que vous me trouviez, et dont vous me faisiez apercevoir, j'entendais dire du bien de vous, tout le monde me parlait en votre faveur, vous faisiez tout ce qu'il fallait pour me donner de l'amour ; mais je suis, enfin, revenue de cet enchantement, vous m'avez donné de grands secours, et j'avoue que j'en avais un extrême besoin : En vous renvoyant vos Lettres, je garderai soigneusement les deux dernières que vous m'avez écrites, et je les relirai encore plus souvent que je n'ai lu les premières, afin de ne retomber plus dans mes faiblesses. Ah ! qu'elles me coûtent cher, et que j'aurais été heureuse, si vous eussiez voulu souffrir que je vous eusse toujours aimé. Je connais bien que je suis encore un peu trop occupée de mes reproches et de votre infidélité ; mais souvenez-vous que je me suis promis un état plus paisible, et que j'y parviendrai, ou que je prendrai contre moi quelque résolution extrême, que vous apprendrez sans beaucoup de déplaisir ; mais je ne veux plus rien de vous, je suis une folle de redire les mêmes choses si souvent, il faut vous quitter et ne penser plus à vous, je crois même que je ne vous écrirai plus, suis-je obligée de vous rendre un compte exact de tous mes divers mouvements ?

Lettres Protugaises - Guilleragues



Annonce des axes

I. Une lettre qui se veut décisive et décidée…
1. La fermeté (relative) de sa résolution
2. Le tableau de l’amant en négatif : mépris ou reproche ?

II. … mais qui traduit encore le trouble et l’égarement de l’auteur
1. Un combat intérieur : l’abandon. Hypocoristique
2. Contradictions, auto persuasion

III. Guilleragues : une vision désabusée de l’amour
1. Stéréotypes féminins : faiblesse, contradictions
2. La passion est aliénation



Commentaire littéraire

I. Une lettre qui se veut décisive et décidée…

1. La fermeté (relative) de sa résolution

- Volonté de recul : passage du tutoiement au vouvoiement. Détachement : « cet enchantement », différencie passion et amant. « enfin revenue ».
- Un ton décidé : les impératifs (« souvenez-vous »). « je » : puissance sur elle-même : « je veux », présent, elle décide, « je ne veux plus rien de vous » : détermination, « je connais ».
- Place du temps : un futur « asile » : (début du texte : emploi du temps futur avec déjà une nuance « peut-être » qui s’oppose à la fermeté. « quelques temps » flou + conditionnel. « je vous méprise ; indifférence ; je ne me souviens » : ton résolu, mais tout est nuancé par le « lorsque ». Futur : anticipation, elle n’en est pas là. « que lorsque je veux » : emprise sur elle même qu’elle n’a pas encore.


2. Le tableau de l’amant en négatif : mépris ou reproche ?

- « reproche ». Menace voilée de suicide, reproche implicite de l’indifférence de son amant : « sans beaucoup de déplaisir » (« votre indifférence m’est insupportable »). Pas de morale : seule philosophie : l’indifférence est condamnable.
- Une victoire sans gloire: « je demeure » : concession, anaphores binaires « j’étais », formes restrictives: justification, énumération de circonstance atténuantes : proie facile. Passé composé, imparfait : révolu. « peu de vanité » : un euphémisme (honte).
- Amant méprisable : « que je vous méprise », « vos procédés injustes » : manigance et manipulation. « trahison » ; « infidélité ». Dupeur : « tout le monde » : elle transfère ainsi sa responsabilité.

=> Le message est explicite : l’image que Mariane veut donner d’elle, la part d’auto-persuasion.


II. … mais qui traduit encore le trouble et l’égarement de l’auteur

1. Un combat intérieur : l’abandon. Hypocoristique

- Digression: Réminiscences des sentiments. « enchantement » : magie, « charme, beauté, du bien, faveur, amour » : nostalgie. L’hypothèse du bonheur contredit tout, « toujours » contre « enfin ». « souffrir » : double sens ? égoïsme implicite de l’amant.
- « donner » : une offrande. douleur qu’elle chérie: « tous mes plaisirs et toutes mes douleurs » (plaisir 1er). Exprimer sa passion encore vivace : exutoire.
- Combat intérieur. « mais » se ressaisit « enfin ». lumière. « j’y parviendrais » : combat, promesse de victoire. « il faut vous quitter » : la forme impersonnelle atténue : fatalité, dépit…
« ne plus penser… même ne plus écrire» : ironie ?


2. Contradictions, auto persuasion

- Démentis, contradictions, répétitions. « je sais que je ne vous aime pas » illocutoire.
« encore un peu trop ». Période style oral, conjurer le sort, « que » : imprécations. « afin de ne plus retomber ». « que je me suis promis ». Forme réfléchie : « j’écris moins pour vous que pour moi même ». Là encore, pas sûr : « ou » : possibilité d’un échec (=> suicide).
- Egarement : ton non homogène altère détermination (très longue période finale qui s’essouffle). « je demeure » contre instabilité. Impact implicite de l’amant : « si vivement touchée », « tous mes plaisirs », « grand avantages ». « grand, extrême » : trouble. Interjection « Ah ! ».
- Une lettre de rupture ? fin : la brèche du doute, point d’orgue, elle s’adresse à elle-même. Elle garde les dernières lettres, contrairement à la tradition de rupture (Laclos).


III. Guilleragues : une vision désabusée de l’amour

1. Stéréotypes féminins : faiblesse, contradictions

- Une lettre de dépit : « Ah ! que j’eusse été heureuse… »
- Fragilité : « si vivement touchée »
- Absence de volonté : « peut-être plus tranquille dans quelques temps », « je me souviens de vous… » + doutes, contradictions, auto persuasion.
- L’égarement : combat intérieur, expression de la passion : femme = éternelle sentimentale.
- « vous avez de grand avantages sur moi » ; « mes faiblesses » : la supériorité quasi-explicite de l’homme sur sa maîtresse.


2. La passion est aliénation

Vue radicalement pessimiste de l’amour, la même que chez La Rochefoucauld :
- Les contradictions inhérentes à l’âme humaine : « nous sommes plus près d’aimer ceux qui nous haïssent que ceux qui nous aiment plus que nous le voulons ».
- Le moteur de l’amour est la tromperie : « on est quelquefois moins malheureux d’être trompé de ce qu’on aime, que d’en être détrompé » / « Je ne cherchais pas à être éclaircie ; ne suis-je pas malheureuse de n’avoir pu vous obliger à prendre quelque soin de me tromper ? » (lettre V). Registre de la manipulation : « procédés injustes, trahison, infidélité »
- L’amour foncièrement égoïste : « tous mes plaisirs, donné une passion, enchantement » : différenciation amant et amour. « le plaisir de l’amour est d’aimer, et l’on est plus heureux par la passion que l’on a que par celle que l’on donne » / « J’ai éprouvé que vous m’étiez moins cher que la passion » (lettre V). Et puis une « histoire qui finit mal », vision pessimiste de l’amant coureur.
- Une illusion qui se dissipe toujours : « l’amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement perpétuel, et il cesse de vivre, dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre ». Le point d’orgue de la question finale, un amour qui s’asphyxie.
=> passion = aliénation. Folie : « une passion qui m’a fait perdre la raison » ; « je suis une folle », style peu homogène, rythme qui suggère l’égarement : abdication de la raison.





Conclusion

    Les lettres portugaises de Guilleragues marquent le début d’un genre : le roman épistolaire (18ème).
    Un homme à l’origine de ce « chant de l’amour trahi ». Qualité de la langue, la structure est apparemment simple mais en réalité elle est extrêmement étudiée : remarquable illusion de naturel.
    Lettre : miroir narcissique, construction du moi. Elle est intéressante dans le portrait en creux et le contraste qu’elle présente. Expression des sentiments, moyen d’entrer presque en tant que « voyeur » dans l’intimité du personnage.

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Merci à celui ou celle qui m'a envoyé cette analyse les Lettre portugaises (cinquième lettre) de Guilleragues