Plan de la fiche sur les
Lettre portugaises (cinquième lettre) de Guilleragues :
Texte complet des Lettres portugaises
Introduction
Cf. fiche sur les
Lettres portugaises.
Pour éconduire un amant… l’oublier ? message de rupture.
Texte étudié
[...]
Cependant je crois que je ne vous souhaite point de mal, et que je me résoudrais à consentir
que vous fussiez heureux ; mais comment pourrez-vous l'être, si vous
avez le coeur bien fait. Je veux vous écrire une autre Lettre, pour
vous faire voir que je serai peut-être plus tranquille dans quelque temps ;
que j'aurai de plaisir de pouvoir vous reprocher vos procédés
injustes après que je n'en serai plus si vivement touchée, et
lorsque je vous ferai connaître que je vous méprise, que je parle
avec beaucoup d'indifférence de votre trahison, que j'ai oublié tous
mes plaisirs et toutes mes douleurs, et que je ne me souviens de vous que lorsque
je veux m'en souvenir ! Je demeure d'accord que vous avez de grands avantages
sur moi, et que vous m'avez donné une passion qui m'a fait perdre la
raison, mais vous devez en tirer peu de vanité ; j'étais
jeune, j'étais crédule, on m'avait enfermée dans ce couvent
depuis mon enfance, je n'avais vu que des gens désagréables,
je n'avais jamais entendu les louanges que vous me donniez incessamment, il
me semblait que je vous devais les charmes et la beauté que vous me trouviez, et
dont vous me faisiez apercevoir, j'entendais dire du bien de vous, tout le
monde me parlait en votre faveur, vous faisiez tout ce qu'il fallait pour me
donner de l'amour ; mais je suis, enfin, revenue de cet enchantement,
vous m'avez donné de grands secours, et j'avoue que j'en avais un extrême
besoin : En vous renvoyant vos Lettres, je garderai soigneusement les
deux dernières que vous m'avez écrites, et je les relirai encore
plus souvent que je n'ai lu les premières, afin de ne retomber plus
dans mes faiblesses. Ah ! qu'elles me coûtent cher, et que j'aurais été heureuse,
si vous eussiez voulu souffrir que je vous eusse toujours aimé. Je connais
bien que je suis encore un peu trop occupée de mes reproches et de votre
infidélité ; mais souvenez-vous que je me suis promis un état
plus paisible, et que j'y parviendrai, ou que je prendrai contre moi quelque
résolution extrême, que vous apprendrez sans beaucoup de déplaisir ;
mais je ne veux plus rien de vous, je suis une folle de redire les mêmes
choses si souvent, il faut vous quitter et ne penser plus à vous, je
crois même que je ne vous écrirai plus, suis-je obligée
de vous rendre un compte exact de tous mes divers mouvements ?
Lettres Protugaises - Guilleragues
Annonce des axes
I. Une lettre qui se veut décisive et décidée…
1. La fermeté (relative) de sa résolution
2. Le tableau de l’amant en négatif : mépris ou reproche ?
II. … mais qui traduit encore le trouble et l’égarement de l’auteur
1. Un combat intérieur : l’abandon. Hypocoristique
2. Contradictions, auto persuasion
III. Guilleragues : une vision désabusée de l’amour
1. Stéréotypes féminins : faiblesse, contradictions
2. La passion est aliénation
Commentaire littéraire
I. Une lettre qui se veut décisive et décidée…
1. La fermeté (relative) de sa résolution
- Volonté de recul : passage du tutoiement au vouvoiement. Détachement : « cet enchantement », différencie passion et amant. « enfin
revenue ».
- Un ton décidé : les impératifs (« souvenez-vous »). « je » :
puissance sur elle-même : « je veux », présent, elle
décide, « je ne veux plus rien de vous » : détermination, « je
connais ».
- Place du temps : un futur « asile » : (début du texte : emploi du temps futur avec déjà une
nuance « peut-être » qui s’oppose à la
fermeté. « quelques
temps » flou + conditionnel. « je vous méprise ;
indifférence ; je ne me souviens » : ton
résolu, mais tout est nuancé par
le « lorsque ». Futur : anticipation, elle n’en
est pas là. « que lorsque je veux » : emprise sur elle
même qu’elle n’a pas encore.
2. Le tableau de l’amant en négatif : mépris ou reproche ?
- « reproche ». Menace voilée de suicide, reproche
implicite de l’indifférence de son amant : « sans beaucoup
de déplaisir » (« votre indifférence m’est
insupportable »). Pas de morale : seule philosophie : l’indifférence
est condamnable.
- Une victoire sans gloire: « je demeure » : concession,
anaphores binaires « j’étais », formes restrictives:
justification, énumération
de circonstance atténuantes : proie facile. Passé composé,
imparfait : révolu. « peu de vanité » :
un euphémisme (honte).
- Amant méprisable : « que je vous méprise », « vos
procédés injustes » : manigance et manipulation. « trahison » ; « infidélité ». Dupeur : « tout le monde » :
elle transfère ainsi sa responsabilité.
=> Le message est explicite : l’image que Mariane veut donner d’elle, la part d’auto-persuasion.
II. … mais qui traduit encore le trouble et l’égarement de l’auteur
1. Un combat intérieur : l’abandon. Hypocoristique
- Digression: Réminiscences des sentiments. « enchantement » :
magie, « charme, beauté, du bien, faveur, amour » :
nostalgie. L’hypothèse du bonheur contredit tout, « toujours » contre « enfin ». « souffrir » : double sens ? égoïsme implicite de l’amant.
- « donner » : une offrande. douleur qu’elle
chérie: « tous
mes plaisirs et toutes mes douleurs » (plaisir 1er). Exprimer
sa passion encore vivace : exutoire.
- Combat intérieur. « mais » se ressaisit « enfin ».
lumière. « j’y parviendrais » : combat,
promesse de victoire. « il faut vous quitter » :
la forme impersonnelle atténue : fatalité, dépit…
«
ne plus penser… même ne plus écrire» : ironie ?
2. Contradictions, auto persuasion
- Démentis, contradictions, répétitions. « je
sais que je ne vous aime pas » illocutoire.
« encore un peu trop ». Période style oral,
conjurer le sort, « que » : imprécations. « afin
de ne plus retomber ». « que
je me suis promis ». Forme réfléchie : « j’écris
moins pour vous que pour moi même ». Là encore, pas sûr : « ou » :
possibilité d’un échec (=> suicide).
- Egarement : ton non homogène altère détermination (très
longue période finale qui s’essouffle). « je demeure »
contre instabilité. Impact implicite de l’amant : « si vivement
touchée », « tous mes plaisirs », « grand
avantages ». « grand, extrême » : trouble.
Interjection « Ah ! ».
- Une lettre de rupture ? fin : la brèche du doute, point d’orgue,
elle s’adresse à elle-même. Elle garde les dernières
lettres, contrairement à la tradition de rupture (Laclos).
III. Guilleragues : une vision désabusée de l’amour
1. Stéréotypes féminins : faiblesse, contradictions
- Une lettre de dépit : « Ah ! que j’eusse été heureuse… »
- Fragilité : « si vivement touchée »
- Absence de volonté : « peut-être plus tranquille dans
quelques temps », « je me souviens de vous… » + doutes,
contradictions, auto persuasion.
- L’égarement : combat intérieur, expression de la passion : femme = éternelle sentimentale.
- « vous avez de grand avantages sur moi » ; « mes faiblesses » :
la supériorité quasi-explicite de l’homme sur sa maîtresse.
2. La passion est aliénation
Vue radicalement pessimiste de l’amour, la même que chez La Rochefoucauld :
- Les contradictions inhérentes à l’âme humaine : « nous
sommes plus près d’aimer ceux qui nous haïssent que ceux
qui nous aiment plus que nous le voulons ».
- Le moteur de l’amour est la tromperie : « on est quelquefois
moins malheureux d’être trompé de ce qu’on aime, que
d’en être détrompé » / « Je ne
cherchais pas à être éclaircie ; ne suis-je pas malheureuse
de n’avoir pu vous obliger à prendre quelque soin de me tromper ? » (lettre V). Registre de la manipulation : « procédés injustes, trahison,
infidélité »
- L’amour foncièrement égoïste : « tous
mes plaisirs, donné une passion, enchantement » : différenciation
amant et amour. « le plaisir de l’amour est d’aimer,
et l’on est plus heureux par la passion que l’on a que par celle que l’on
donne » / « J’ai éprouvé que vous m’étiez
moins cher que la passion » (lettre V). Et puis une « histoire
qui finit mal », vision pessimiste de l’amant coureur.
- Une illusion qui se dissipe toujours : « l’amour, aussi
bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement perpétuel, et il
cesse de vivre, dès qu’il cesse d’espérer ou de craindre ».
Le point d’orgue de la question finale, un amour qui s’asphyxie.
=> passion = aliénation. Folie : « une passion qui m’a
fait perdre la raison » ; « je suis une
folle », style peu homogène, rythme qui suggère l’égarement :
abdication de la raison.
Conclusion
Les lettres portugaises de Guilleragues marquent le début d’un genre : le roman épistolaire (18ème).
Un homme à l’origine de ce « chant de l’amour
trahi ». Qualité de la langue, la structure est apparemment simple mais en réalité elle
est extrêmement étudiée : remarquable illusion de naturel.
Lettre : miroir narcissique, construction du moi. Elle est intéressante
dans le portrait en creux et le contraste qu’elle présente. Expression
des sentiments, moyen d’entrer presque en tant que « voyeur » dans
l’intimité du personnage.