Plan de la fiche sur
la scène 12 de Maître Puntila et son valet Matti de Brecht :
Introduction
Le nom de Bertolt Brecht (1898 - 1956) est attaché définitivement à la ville de Berlin.
Il a été le directeur du Berliner Ensemble. Il a dû s'exiler (problèmes avec
l'idée d'Hitler). Il s'est rendu aux Etats-Unis où il a écrit
The beggar's opera (
L'opéra
de quat'sous).
Il s'est aussi exilé en Finlande et a été logé chez une
fermière. C'est là que lui est venue l'idée de cette pièce. Il revient à Berlin
après 15 ans d'exil (1933-1948). Marxiste mais n'a pas adhéré au P.C. Il disait : "L'homme de théâtre n'a pas à aller chercher ses leçons auprès de l'Etat".
Il y développe son idée de distanciation (met à distance pour mieux voir) là en
Finlande. La distanciation se fait aussi par l'humour, la musique, les vers.
Il faut jouer distancié (ex J.P.Léaud) parce que Brecht s'adresse à l'intelligence,
pas au cœur. Son rêve aurait été que les spectateurs passent à l'action en sortant
de la salle. Les différents tableaux dans la pièce : un marché du travail ;
arrivée de Surkkala ; un "super" ouvrier mais communiste. Puntila va l'embaucher
parce qu'il est ivre. Il ne devient humain que quand il est ivre. Brecht voulait
faire un théâtre réjouissant, amusant. Dans son théâtre il défend les valeurs suivantes :
- le respect du faible
- le danger de la dictature
- et surtout la gentillesse
- la justice
- la confiance
- l'horreur de la guerre
- la camaraderie
Lecture du texte
Annonce des axes
I. Une scène de comédie
1.Du théâtre très écrit
2. L'ironie
3. La distanciation
II. Un texte engagé, une pièce politique
1. Ce que symbolise les personnages
2. L'appel à la révolte
3. Une réflexion sur ce que c'est un homme
Commentaire littéraire
I. Une scène de comédie
1.Du théâtre très écrit
On a un effet de stichomythie r. 3-4 (LAINA.- Mais si vous partez sans certificat,
vous êtes fichu. / MATTI.- Un certificat ?). Matti utilise le mot "certificat".
r.1-2 "Attendez au moins que monsieur Puntila soit levé.
MATTI.- J'aime mi réveil"
"réveil" répond à "lever".
Bien sûr, il y a des didascalies indiquant comment se joue la scène. Brecht cherche à se faire comprendre par ses comédiens marxistes qui jouaient distanciés.
2. L'ironie
Brecht est un maître de l'ironie.
r.2 : "le réveil" : article défini de notoriété (l'ironie transforme le réveil de l'alcoolique en réveil louisquatorzien).
r.4 : "Ou bien il écrira dessus que je suis un Rouge, ou bien que je suis un
homme." Alternative ironique (puisqu'on n'est pas l'un ou l'autre).
r.8 vs.2 : "Longue vie, maître Puntila !" antiphrase à moins qu'on retrouve la gentillesse brechtienne et la non-violence.
r.2 : faute de raisonnement. En + il ironise sur le dédoublement de personnalité puisqu'il apprend après coup qu'il a promis. Maître Puntila est aliéné par l'alcool. La promesse de la moitié de la forêt est assez comique.
3. La distanciation
C'est aussi une scène de comédie à cause
de l'effet de distanciation (Verfremdungseffekt). Caractéristique des comédies
de Brecht. Tout d'abord nous sommes invités à ne pas pleurer :
r.8 vs 9 "pas même une larme inutile" (Brecht ne s'adresse pas au cœur). Laïna
renifle, elle pleure r.7 (LAINA, reniflant) et aussitôt Brecht la fait partir.
Elle devient dangereuse.
Le principal procédé de distanciation, ce sont les vers qui succèdent à de la prose. C'est pour nous donner à réfléchir. Ils soulignent les moments importants. Le traducteur a réussi ici à traduire avec des rimes pour que le public français comprenne bien. Les vers donnent à réfléchir. Variation dans les mètres : vs 1-2-11-12 octosyllabes , encadrant les alexandrins. Les 2 derniers vers sont particulièrement importants car changement de rythme et de mètre.
II. Un texte engagé, une pièce politique
1. Ce que symbolise les personnages
Brecht propose une nouvelle société, et pour cela il met en scène 2 personnages qui symbolisent 2 "moments" de la conscience politique.
# Laina n'a pas du tout de conscience politique, elle n'a même pas commencé son cheminement. r.1 "Je ne comprends pas" est à prendre au pied de la lettre. Elle n'est pas bête, elle est gentille au sens noble du terme. Laina lui a préparé "un paquet de provisions", elle est gentille.
"fichu" r .3 : elle a un parlé populaire. Elle est très légitimiste, elle est pour le respect des règles. Elle ne se rend même pas compte qu'elle appartient à la classe dominée.
"il s'était habitué à vous" r.5 : c'est monstrueux.
"LAINA, reniflant." r.7 : elle mélange les sentiments & la politique. Une seule solution : elle doit quitter la scène, d'où la didascalie "Elle s'en va rapidement",
qui indique qu'elle n'a plus sa place.
# Matti, lui, est arrivé au terme de sa réflexion politique et a pris sa décision. r.6 "J'en ai assez", "je ne supporte plus", et r.8 vs 1 "restons-en là" (modalité impérative) indiquent une rupture. Ils s'entendent bien malgré tout car ils appartiennent au même peuple.
2. L'appel à la révolte
Ce texte est un véritable appel à la révolte. C'est Matti qui apparaît comme le porte parole de Brecht. Champ lexical :
"je ne supporte plus" r.6, "vaincra" r.6, et l'expression métaphorique "tourner
le dos" r.8 vs 10. La métaphore de l'huile qui ne se mêle pas à l'eau (r.8 vs
7-8) donne une image de la lutte des classes.
Il en profite pour rappeler qu'il est inutile de pleurer.
Le mot "valets" vs 10 est très fort et fait entendre la rancœur du personnage.
Vs 11-12 "Un bon maître, ils en auront un
Dès que chacun sera le sien." Cette formule finale est un appel à l'autogestion, c'est un appel à une société sans classes.
L'éventuel appel de la police r.2 peut traduire sa complicité.
3. Une réflexion sur ce que c'est un homme
Mais plus encore qu'un texte révolutionnaire, cette dernière scène de la pièce
a une dimension ontologique (onto : l'homme étant, l'étant). Comme souvent,
Brecht nous amène à réfléchir sur ce qu'est un homme, en particulier à 2 endroits
du texte :
# avec une alternative monstrueuse : r.4 "Ou bien il écrira dessus que je suis un Rouge, ou bien que je suis un homme". Cela renvoie à l'idée que pour les capitalistes, les communistes ne sont pas des hommes.
# r.8 vs 4 "presque un homme" est également monstrueux puisque l'humanité n'est pas une notion qui peut être modulée ou divisée.
Dans les 2 cas c'est comique, mais c'est un comique grinçant qui donne à réfléchir
sur la place de l'homme, surtout que Puntila ne devient "presque un homme" que
quand il est ivre (or l'ivresse déshumanise un peu).
Conclusion
Le théâtre de Brecht peut être apprécié même si on n'est
pas marxiste dans la mesure où c'est toujours drôle, et d'une immense humanité.
Il y a toujours chez lui un côté spectaculaire (respect du spectateur).
Brecht est donc un auteur universel. Le problème c'est qu'il écrivait pour le peuple, mais le peuple ne va pas au théâtre. En tout cas on retrouve la grande idée de Brecht qui disait : "Il faut préparer le sol à l'amitié". Il y a dans son théâtre une véritable espérance et sa critique est toujours allègre et jamais amère.
Souvent le metteur en scène demande à son comédien de faire entendre "Longue vie, maître Puntila" comme un vrai souhait. C'est un théâtre très humain.