De la tolérance universelle

Voltaire - Traité sur la tolérance - Chapitre XXII (extrait) - 1763

De "Il ne faut pas un grand art,..." à "...être sauvé sans tout cela ? »"




Plan de la fiche sur De la tolérance universelle de Voltaire :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire


Introduction

      Voltaire est un écrivain du XVIIIème siècle. Le siècle des Lumières est caractérisé par une progression des sciences, une facilitation de la diffusion des savoirs, l’écriture de l’Encyclopédie qui recense tous les savoirs et une remise en cause du pouvoir absolu. Les philosophes et la censure sont importants. La relation entre Dieu et le savoir se change en relation entre l’homme et Dieu car l’homme est à l’origine du savoir. Les philosophes de l’époque ont un savoir quasi universel et une culture phénoménale. Les écrivains cherchent à déjouer la censure, très forte à l’époque, en utilisant l’apologue, l’ironie ou le procédé du regard neuf pour satisfaire leur besoin d’expression.
      Voltaire prend des risques en dénonçant l’intolérance religieuse. Pour cela, il construit un dialogue fictif où il met en scène des personnages appartenant à des religions différentes : un imam pour les musulmans et un talapoin (moine bouddhiste de Thaïlande ou de Birmanie). Puis il écrit le discours d’un inquisiteur (en rapport direct avec l’affaire Calas).
      Voltaire écrit au conditionnel, ce qui confère au texte une certaine irréalité. Le texte est une fiction qui implique la vérité et l’ironie. Le traité sur la tolérance dénonce l’intolérance religieuse due à la révocation de l’édit de Nantes et démontre l’incapacité des différents personnages à s’entendre. Il relativise les jugements.


Comment à travers un dialogue Voltaire construit-il et met-il en scène l’intolérance religieuse ?
      La première phrase renvoie à l’Ancien Testament et le discours de l’inquisiteur à l’affaire Calas. La thèse de Voltaire est que tous les hommes sont frères puisqu’ils sont tous fils d’un même père. Son premier argument est que l’homme est peu de chose comparé à l’univers mais que pourtant il a la prétention de détenir la vérité de la révélation, il est illustré par la métaphore de l’homme/fourmi par induction. Son deuxième argument est qu’il faut admettre les différentes approches religieuses car ce n’est pas remettre en cause la foi en Dieu et il est illustré par la métaphore des langues par analogie.


Texte étudié

Chapitre XXII - De la tolérance universelle (extrait)

      Il ne faut pas un grand art, une éloquence bien recherchée, pour prouver que des chrétiens doivent se tolérer les uns les autres. Je vais plus loin : je vous dis qu'il faut regarder tous les hommes comme nos frères. Quoi ! mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? Oui, sans doute; ne sommes-nous pas tous enfants du même père, et créatures du même Dieu ?
      Mais ces peuples nous méprisent ; mais ils nous traitent d'idolâtres ! Hé bien ! je leur dirai qu'ils ont grand tort. Il me semble que je pourrais étonner au moins l'orgueilleuse opiniâtreté d'un iman ou d'un talapoin, si je leur parlais à peu près ainsi :
      "Ce petit globe, qui n'est qu'un point, roule dans l'espace, ainsi que tant d'autres globes ; nous sommes perdus dans cette immensité. L'homme, haut d'environ cinq pieds, est assurément peu de chose dans la création. Un de ces êtres imperceptibles dit à quelques-uns de ses voisins, dans l'Arabie ou dans la Cafrerie : "Ecoutez-moi, car le Dieu de tous ces mondes m'a éclairé : il y a neuf cents millions de petites fourmis comme nous sur la terre, mais il n'y a que ma fourmilière qui soit chère à Dieu ; toutes les autres lui sont en horreur de toute éternité ; elle sera seule heureuse, et toutes les autres seront éternellement infortunées."
      Ils m'arrêteraient alors, et me demanderaient quel est le fou qui a dit cette sottise. Je serais obligé de leur répondre : "C'est vous-mêmes." Je tâcherais ensuite de les adoucir ; mais cela serait bien difficile.
      Je parlerais maintenant aux chrétiens, et j'oserais dire, par exemple, à un dominicain inquisiteur pour la foi : "Mon frère, vous savez que chaque province d'Italie a son jargon, et qu'on ne parle point à Venise et à Bergame comme à Florence. L'Académie de la Crusca a fixé la langue ; son dictionnaire est une règle dont on ne doit pas s'écarter, et la Grammaire de Buonmattei est un guide infaillible qu'il faut suivre ; mais croyez-vous que le consul de l'Académie, et en son absence Buonmattei, auraient pu en conscience faire couper la langue à tous les Vénitiens et à tous les Bergamasques qui auraient persisté dans leur patois ?"
      L'inquisiteur me répond : "Il y a bien de la différence ; il s'agit ici du salut de votre âme : c'est pour votre bien que le directoire de l'Inquisition ordonne qu'on vous saisisse sur la déposition d'une seule personne, fût-elle infâme et reprise de justice ; que vous n'ayez point d'avocat pour vous défendre ; que le nom de votre accusateur ne vous soit pas seulement connu ; que l'inquisiteur vous promette grâce, et ensuite vous condamne ; qu'il vous applique à cinq tortures différentes, et qu'ensuite vous soyez ou fouetté, ou mis aux galères, ou brûlé en cérémonie. Le Père Ivonet, le docteur Cuchalon, Zanchinus, Campegius, Roias, Felynus, Gomarus, Diabarus, Gemelinus, y sont formels et cette pieuse pratique ne peut souffrir de contradiction."
      Je prendrais la liberté de lui répondre : "Mon frère, peut-être avez-vous raison ; je suis convaincu du bien que vous voulez me faire ; mais ne pourrais-je pas être sauvé sans tout cela ?".

Voltaire - Traité sur la tolérance (1763)



Annonce des axes

I. Un texte construit sur l'emboîtement de dialogues

II. Une argumentation progressive
1. L'intolérance religieuse
2. L'attaque de l'inquisition

III. L'importance du dialogue dans l'argumentation


Commentaire littéraire

I. Un texte construit sur l’emboîtement de dialogues

    Dans le début du texte (jusqu'à « du même Dieu ? ». ), il y a un dialogue fictif où le « je » partisan de la tolérance s’oppose au lecteur à convaincre qui serait donc intolérant. Il n’y a aucune marque typographique de dialogue, seulement des incises, des exclamations et des interrogations : « quoi, oui sans doute, mais ». Puis le dialogue de Voltaire est hypothétique : « si je leur parlais à peu près ainsi », il emploie le conditionnel. Puis apparaissent les guillemets qui introduisent un discours imaginaire d’un des voisins d’Arabie ou de la Cafrerie à l’intérieur du premier discours.
    Voltaire oppose sa parole à celle d’un individu intolérant, puis ses interlocuteurs se rendent compte de l’incohérence de leur raisonnement et enfin, il dialogue avec un inquisiteur dominicain.


II. Une argumentation progressive

1. L’intolérance religieuse

    Voltaire utilise des métaphores pour confronter deux grandes religions monothéistes qui font du prosélytisme (propagande religieuse). Ainsi, le globe est apparenté à un point, les civilisations à des fourmilières et l’homme à un être imperceptible ; il donne même un nombre hyperbolique d’êtres humains (900 millions). Grâce à ces métaphores, Voltaire construit un apologue.
    Les « petites fourmis comme nous » sont en nombre considérable mais elles ne sont égales qu’à un point. Puisque l’homme vit en société (fourmilière), il devrait donc entre tolérant.
    Pourtant, l’homme est intolérant et considère que le bonheur et la révélation religieuse sont exclusivement réservés à sa société. L’adverbe « éternellement » souligne le caractère irrévocable de l’intolérance.
    L’argumentation est limitée puisque les représentants religieux ne sont pas convaincus et qu’ils refusent d’être persuadés. On peut donc en conclure qu’ils sont fous.
    La tolérance devrait prendre racine dans la conscience de notre misère humaine et nous encourager à développer un esprit de fraternité humaine universelle.

2. L’attaque de l’inquisition

    Voltaire s’en prend aux chrétiens intolérants. Il construit une analogie entre les langues et les religions, entre les dictionnaires de grammaire et les dogmes et entre le patois et l’hérésie.
    Il en conclut que l’intolérance est absurde puisque l’on utilise la force pour empêcher les hérésies. La tolérance naturelle serait d’accepter les différents dogmes comme différents patois.
    L’ironie intervient dans le discours de l’Inquisiteur lorsqu’il dit « Il y a bien de la différence ; il s’agit du salut de votre âme » ; ensuite il énumère des choses injustes et inacceptables comme la délation, l’impossibilité de se défendre, l’anonymat de l’accusateur, le manquement à la parole donnée, le droit de donner la mort, de torturer et de mettre les condamnés au bûcher et qu’il présente comme chose normale. Puis, après ses arguments injustes, il présente de faux arguments d’autorité avec la liste de noms tout à fait inconnus.
    L’ironie de Voltaire invalide de ce fait les arguments d’autorité. Il y a encore un échec dans son argumentation car l’inquisiteur s’accroche à des arguments aberrants. Cet échec sert la stratégie argumentative de Voltaire qui essaye de recourir à des arguments de bon sens qui auraient pu permettre à ses interlocuteurs de reconnaître leurs erreurs.


III. L’importance du dialogue dans l’argumentation

    La forme dialoguée a plusieurs avantages : elle implique le lecteur en lui donnant la parole, elle rend le texte plus vivant en le théâtralisant grâce à la mise en scène des idées, elle suit le plan argumentatif et permet de mettre en scène des interlocuteurs imaginaires à qui Voltaire fait dire ce qu’il a envie pour défendre ses idées.
    Ce n’est pas qu’une simulation de confrontation d’idée, les personnages sont des caricatures ce qui permet la critique ironique. Par l’intermédiaire de ces interlocuteurs fictifs et caricaturaux, on revient au lecteur par une complicité ironique.
    Il donne la parole au bon sens et à l’évidence et ses personnages lui servent de contre-exemples.
    La conviction du lecteur est emportée non par une argumentation raisonnée mais par la satire, à travers des personnages et une mise en scène. Pourquoi écrit-il cela ? Car il essaye de répondre à la question « qu’est-ce qui peut pousser un homme à revenir sur ce que la raison lui dicte » ?


Conclusion





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