Plan de la fiche sur
Comme un Chevreuil de Ronsard :
Introduction
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Biographie de Ronsard
Cassandre Salviati, fille d'un banquier, est un amour éphémère et malheureux de Ronsard : prétexte à l'écriture d'un recueil de poèmes sous forme de sonnets à la manière de Pétrarque :
Les Amours de Cassandre.
Problématique : En quoi la forme du sonnet permet-elle à Ronsard de théâtraliser le coup de foudre amoureux ?
Pierre de Ronsard
Texte du poème
Comme un Chevreuil, quand le printemps détruit
L'oiseux cristal de la morne gelée,
Pour mieux brouter l'herbette emmiellée
Hors de son bois avec l'Aube s'enfuit,
Et seul, et sûr, loin de chien et de bruit,
Or' sur un mont, or' dans une vallée,
Or' près d'une onde à l'écart recelée,
Libre folâtre où son pied le conduit :
De rets ni d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte,
D'un trait meurtrier empourpré de son sang :
Ainsi j'allais sans espoir de dommage,
Le jour qu'un œil sur l'avril de mon âge
Tira d'un coup mille traits dans mon flanc.
Pierre de Ronsard - Les Amours de Cassandre - 1552
Annonce des axes
I. Un récit empreint de pittoresque
1. Evocation du printemps triomphant de l'hiver
2. Description de l'heureuse liberté du chevreuil...
3. ... inconscient des dangers qui le menacent
4. Une mort brutale et cruelle
II. La théâtralisation et mise en scène du coup de foudre amoureux
1. Comparaison entre le poète et le chevreuil
2. Analogies
Commentaire littéraire
I. Un récit empreint de pittoresque
Le poète s'attache à développer un récit plein de vivacité et de charme, dans les neuf premiers vers. Il s'agit bien de peindre une scène bucolique : «
ut pictura poesis » (Horace,
Art poétique). Les indications concrètes sont nombreuses et précises.
1. Evocation du printemps triomphant de l'hiver
Sur le moment d'abord : l'
enjambement du vers 1 à 2 contribue à mettre en valeur ce moment précieux où une saison s'efface devant l'autre. Le printemps triomphe de l'hiver caractérisé ici par un choix précis d'adjectifs évoquant l'hostilité : « morne » vers 2. La douceur du printemps est ensuite mise en valeur au travers de la
métaphore de « herbette emmiellée » (vers 3) donc douce et sucrée, adjectif mélioratif qui forme un contraste saisissant à la rime avec « gelée » du vers 2.
2. Description de l'heureuse liberté du chevreuil...
Le lecteur suit ensuite les déplacements du chevreuil grâce aux nombreuses indications de lieu du poème : « hors de son bois » (vers 4), « or' sur un mont, or' dans une vallée » (vers 6), « or' près d'une onde » (vers 7). Mise en valeur de ces déplacements grâce au jeu sur les alternatives à l'intérieur du vers 6, un rythme binaire qui établit un strict parallélisme entre les deux
hémistiches. Les verbes de mouvement contribuent aussi au dynamisme de la scène, souvent mis en valeur en fin de vers : le verbe « s'enfuit » à la fin du vers 4 qui trouve comme un écho lointain au vers 8 avec « conduit ». Ronsard s'attache donc à décrire l'élan heureux d'un animal sauvage qui ne connaît que sa seule loi, comme le montre le choix des adjectifs au vers 8 : « libre, folâtre ».
3. ... inconscient des dangers qui le menacent
Il s'agit aussi de montrer le sentiment de sécurité dans lequel vit l'animal, inconscient des dangers qui le menacent : le vers 5 souligne cette tranquillité insolente, bien mise en valeur également par le jeu discret des sonorités et l'
anaphore de « et » : « Et seul, et sûr [...] ». Discrète
allitération en [s] reprise ensuite par la chuintante en [ch] qui donne un sentiment de légèreté comme aérienne. Cet insolent sentiment de sécurité est souligné par la double négation du vers 9 : l'inversion syntaxique fait ressortir la tranquillité du chevreuil qui vit dans l'ignorance des « rets » et des « arcs », c'est-à-dire des pièges qui guettent toute proie.
4. Une mort brutale et cruelle
La rupture alors introduite au vers 10 par l'adverbe « sinon » qui a ici une valeur privative n'en paraît du coup que plus forte tant elle est brutale. Deux vers suffisent à montrer la mort brutale du chevreuil, victime d'un « trait meurtrier » (vers 11) : la synérèse sur « meurtrier » permet de faire ressortir le rythme du décasyllabe en 4//6. La violence cruelle de cette mort est ensuite soulignée par l'image du sang et la redondance discrète induite par la reprise « empourprée de son sang » (vers 11).
II. La théâtralisation et mise en scène du coup de foudre amoureux
1. Comparaison entre le poète et le chevreuil
Le poème repose sur une comparaison dont les termes sont ici clairement identifiés : le comparant est donc le chevreuil, comme le marque l'outil de comparaison « Comme » qui lance le sonnet ; et le comparé, bien que tardivement introduit au vers 12 par l'utilisation de la première personne du singulier, est bien le poète : « ainsi j'allais... ». De nombreux éléments fonctionnent comme des motifs de comparaison, qui justifient la mise en parallèle ainsi établie.
2. Analogies
- Printemps / jeunesse du poète
L'expression « avril de mon âge » (vers 13), métaphore évoquant la jeunesse du poète, peut être mise en relation avec « le printemps » (vers 1) qui voit sortir du bois le chevreuil.
- Assurance et inconscience communes au poète et au chevreuil
L'expression « sans espoir de dommage » (vers 12) évoque une même assurance : celle d'un jeune homme qui, comme le jeune animal, n'a pas connu les dangers de la vie. Cette expression rappelle donc à la fois les vers 5 et 9.
- Une même fin brutale : la blessure d'amour
Enfin, cette tranquille assurance prend fin d'une manière brutale comme le montre la rupture introduite au vers 14 : la cruauté des chasseurs n'a d'égale que celle du premier regard de Cassandre ; et le « trait » des chasseurs, leur flèche, au vers 11 est ici repris et amplifié par l'
hyperbole manifeste « mille traits » (vers 14). Ronsard met ici en valeur cette blessure d'amour, première et irréparable, le premier regard qui fait souffrir pour jamais : les mots mis à la rime « sang » (vers 11) et « flanc » (vers 14) signalent ce dommage terrible. Il se dégage donc de ce poème une image assez désenchantée de l'amour malheureux. La liberté et la jeunesse, l'insouciance heureuse prennent fin avec cette première rencontre.
Conclusion
La composition du sonnet est essentielle puisqu'elle ne fait apparaître le thème de l'amour malheureux que dans le dernier tercet. Découverte tardive du second membre de la comparaison (comparé) -> virtuosité rhétorique de Ronsard au service de la théâtralisation du coup de foudre. La comparaison oppose le bonheur éphémère à la réalité cruelle de la violence et de la mort, qu'il s'agisse de celle infligée par les chasseurs, ou de celle causée par le regard de la femme aimée.