Plan de la fiche sur
Les fées de Charles Perrault :
Introduction
Depuis plusieurs siècles et en tout lieu, le conte fait
partie de la tradition romanesque qui se diffuse par voie orale. Caractérisé par
la présence du merveilleux, ce récit en prose a une fonction morale
et didactique. Charles Perrault (1628-1703), est, encore aujourd’hui,
l’un des plus célèbres conteurs français. Il a mis
par écrit des contes issus du folklore populaire auxquels il a apporté des
modifications tel que l’addition de moralités.
Ainsi, son conte Les Fées (1695) reprend l’histoire de deux sœurs de caractère
et de destinée différents.
Charles Perrault
Texte de Les fées
Les fées
Il était une fois une veuve qui avait deux filles : l'aînée
lui ressemblait si fort d'humeur et de visage, que, qui la voyait, voyait
la mère. Elles étaient toutes deux si désagréables
et si orgueilleuses, qu'on ne pouvait vivre avec elles. La cadette, qui était
le vrai portrait de son père pour la douceur et l'honnêteté, était
avec cela une des plus belles filles qu'on eût su voir. Comme on aime
naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille
aînée, et, en même temps avait une aversion effroyable
pour la cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.
Il fallait, entre autres choses, que cette pauvre enfant allât, deux
fois le jour, puiser de l'eau à une grande demi lieue du logis, et
qu'elle rapportât plein une grande cruche. Un jour qu'elle était à cette
fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui lui pria de lui donner à boire.
-" Oui, ma bonne mère, " dit cette belle fille. Et, rinçant
aussitôt sa cruche, elle puisa de l'eau au plus bel endroit de la fontaine
et la lui présenta, soutenant toujours la cruche, afin qu'elle bût
plus aisément. La bonne femme, ayant bu, lui dit : " Vous êtes
si belle, si bonne et si honnête, que je ne puis m'empêcher de
vous faire un don. Car c'était une fée qui avait pris la forme
d'une pauvre femme de village, pour voir jusqu'où irait l'honnêteté de
cette jeune fille. Je vous donne pour don, poursuivit la fée, qu'à chaque
parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une fleur, ou une
pierre précieuse. "
Lorsque cette belle fille arriva au logis, sa mère la gronda de revenir
si tard de la fontaine. " Je vous demande pardon, ma mère,
dit cette pauvre fille, d'avoir tardé si longtemps " ;
et, en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux roses, deux perles
et deux gros diamants. " Que vois-je là ! dit sa mère toute étonnée ;
je crois qu'il lui sort de la bouche des perles et des diamants. D'où vient
cela, ma fille ? (Ce fut là la première fois qu'elle l'appela
sa fille.) La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était
arrivé, non sans jeter une infinité de diamants. " Vraiment,
dit la mère, il faut que j'y envoie ma fille. Tenez, Fanchon, voyez
ce qui sort de la bouche de votre sœur quand elle parle ; ne seriez-vous
pas bien aise d'avoir le même don ? Vous n'avez qu'à aller puiser
de l'eau à la fontaine, et, quand une pauvre femme vous demandera à boire,
lui en donner bien honnêtement. - Il me ferait beau voir, répondit
la brutale, aller à la fontaine ! - Je veux que vous y alliez, reprit
la mère, et tout à l'heure. "
Elle y alla, mais toujours en grondant. Elle prit le plus beau flacon d'argent
qui fut au logis. Elle ne fut pas plus tôt arrivée à la
fontaine, qu'elle vit sortir du bois une dame magnifiquement vêtue,
qui vint lui demander à boire. C'était la même fée
qui avait apparu à sa sœur, mais qui avait pris l'air et les
habits d'une princesse, pour voir jusqu'où irait la malhonnêteté de
cette fille. " Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse,
pour vous donner à boire ? Justement j'ai apporté un flacon
d'argent tout exprès pour donner à boire à Madame !
J'en suis d’avis : buvez à même si vous voulez. - Vous
n'êtes guère honnête, reprit la fée, sans se mettre
en colère. Eh bien ! puisque vous êtes si peu obligeante, je
vous donne pour don qu'à chaque parole que vous direz, il vous sortira
de la bouche ou un serpent, ou un crapaud. "
D'abord que sa mère l'aperçut, elle lui cria : " Eh
bien ! ma fille ! - Eh bien ! ma mère ! lui répondit la brutale,
en jetant deux vipères et deux crapauds. - O ciel, s'écria
la mère, que vois-je là ? C'est sa sœur qui est en cause : elle me le paiera " ; et aussitôt elle courut pour la battre.
La pauvre enfant s'enfuit et alla se sauver dans la forêt prochaine.
Le fils du roi, qui revenait de la chasse, al rencontra et, la voyant si
belle, lui demanda ce qu'elle faisait là toute seule et ce qu'elle
avait à pleurer ! " Hélas, Monsieur, c'est ma mère
qui m'a chassée du logis. " Le fils du roi, qui vit sortir de
sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, lui pria de lui dire
d'où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le fils du
roi en devint amoureux ; et, considérant qu'un tel don valait mieux
que tout ce qu'on pouvait donner en mariage à une autre, l'emmena
au palais du roi son père, où il l'épousa.
Pour sa sœur, elle se fit tant haïr, que sa propre mère
la chassa de chez elle ; et la malheureuse, après avoir bien couru
sans trouver personne qui voulut la recevoir, alla mourir au coin d'un bois.
Charles Perrault - Contes (1695)
Annonce des axes
I. Un schéma narratif des plus rigoureux
1. Rigueur de la structure narrative
2. La concision du récit
3. Similitudes et oppositions dans le récit
II. Schématisation extrême des personnages
1. Stéréotypie de l’identité
2. Stéréotypie de la situation familiale
III. Une généralisation morale d’autant plus aisée…
1. Car liée à la stéréotypie de la narration et celle des personnages
2. Car liée à un contexte merveilleux
3. Conclusion morale et deux moralités
Commentaire littéraire
I. Un schéma narratif des plus rigoureux
1. Rigueur de la structure narrative
• Un schéma narratif simple :
- Situation initiale (l.1-12) : présentation des personnages et de
leur situation.
- Péripéties (l.13-54) : suites d’actions réalisées
par chacune des sœurs.
- Situation finale (l.62-Fin) : réalisation de la destinée de
chaque sœur.
• De plus, au sein même des péripéties, on retrouve des étapes
bien définies :
- Du paragraphe 2 au paragraphe 4, les actions de la fille malaimée
sont traitées (rencontre avec la fée, attitude serviable, récompense,
retour, réaction de la mère).
- Dans les paragraphes 5 et 6, c’est au tour du récit des actions
de la seconde fille (rencontre avec la fée, attitude désagréable,
punition, retour, réaction de la mère).
2. La concision du récit
•
Récit bref avec succession d’actions (pas d’informations
précises sur la situation finale).
•
Charles Perrault ne s’attarde sur aucun détail, aucune description.
Peu de qualificatifs. Sommaires, par exemple, l.40 : la fille arrive directement à la
forêt.
=> Ce conte rapporte seul ce qui est nécessaire à la compréhension
du texte, ex : cruche d’« argent » pour montrer l’hypocrisie.
3. Similitudes et oppositions dans le récit
•
Similitudes :
- situation familiale (deux sœurs)
- péripéties des 2 rencontres (exactement les mêmes actions)
- situation finale (chassées par leur mère)
•
Similitudes accompagnées d’effet d’inversion
•
Oppositions
- caractère des deux filles (système manichéen : bon/mal)
- sentiments éprouvés par la mère
- au sein même de la rencontre avec la fée (fée : pauvre/magnifique ; cruche/cruche d’argent ; Récompense/punition, réaction
de la mère)
- situation finale : mariage princier/mort
=> Situation initiale et situation finale elles-mêmes inversées
II. Schématisation extrême des personnages
1. Stéréotypie de l’identité
•
Pas de nom (excepté Fauchon)
•
Identifiables par leur situation familiale, par leur ordre de naissance, par
la nature des relations.
•
Des personnages réduits à leur seule fonction (ainée
gâtée, cadette détestée, mère abusive)
•
Stéréotypie des caractères de chaque personnage renforcée
par l’opposition.
2. Stéréotypie de la situation familiale
•
Mère qui possède une fille adorée et une fille détestée.
•
Ressemblance Père/cadette : beaux et aimables, ressemblance Mère/ainée : laides et mauvaises.
•
Pas d’informations sur le milieu.
=> Cadre très favorable à la réflexion morale, rendue
possible par les caractéristiques de la narration.
III. Une généralisation morale d’autant plus aisée…
1. Car liée à la stéréotypie de la narration
et celle des personnages
•
La morale passe par le caractère concret et simple de la situation,
ce qui la rend accessible.
•
La morale passe par les rôles de modèles et de contre modèles
joués par les personnages.
•
Stéréotypie qui permet la généralisation de la
situation, et donc de rendre la morale valable en tout lieu et à toute époque.
2. Car liée à un contexte merveilleux
•
La fantaisie du conte rend sa lecture divertissante, l’attention du
lecteur est alors bien ancrée pour rendre l’assimilation de la
morale d’autant plus aisée.
•
Les fées apparaissent comme la justice qui met à l’épreuve,
laissant chacun une certaine latitude pour exercer son libre arbitre.
3. Conclusion morale et deux moralités
• Conclusions morales :
- l’amabilité et la civilité à l’égard
de chacun sont toujours récompensées,
- la méchanceté et l’injustice sont punies.
• La première morale est concrète et accessible faisant allusion à ce
qui est purement monétaire.
• La seconde morale, d’une tonalité plus abstraite et philosophique,
relate le fait que tout acte généreux trouve sa récompense,
une morale en relation avec les principes prônés par Perrault tout au long du conte.
Conclusion
La force de conviction du récit, et la mise en place aisée
de la morale est ici liée au genre choisi par le conteur. De part la
simplicité et la concision de la narration, ainsi que la stéréotypie
des situations et des personnages, le conte frappe le lecteur et favorise son
identification. Ce dernier se voit donc apte à tirer ses propres conclusions,
conforté par les moralités de l’auteur. La structure irréaliste
du conte permet de le rendre attrayant et accessible à tous. C’est
donc dans une logique d’instruire par le divertissement que l’auteur
persuade ses lecteurs.
L’absence de référence antique dans le conte
illustre la position de Perrault en faveur des Modernes dans la Querelle des Anciens et des
Modernes et l’oppose à d’autres artistes tels que
la
Fontaine qui dans sa fable
Le philosophe Scythe compare
les courants de pensées de l’Antiquité.