Plan de la fiche sur un extrait du
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau :
Introduction
Rousseau est né en 1772 et est mort en 1778. En 1750, il écrit le
Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi
les hommes d’après un sujet proposé par l’académie
de Dijon : « Les sciences et les arts aident-ils l’homme à se
développer ? ». Rousseau condamne sciences, arts, luxe et progrès
qui ont corrompu l’homme et l’ont fait sortir de l’état
de nature. Il présente ici ce qui sera sa thèse la plus connue : le mythe du « bon sauvage ».
L'extrait étudié se trouve dans la seconde partie. L'extrait va de « Les politiques
font sur l'amour de la liberté... » à « ...de raisonner de liberté ».
Texte étudié
Les politiques font sur l'amour de la liberté les
mêmes sophismes que les philosophes ont faits sur l'état de nature ;
par les choses qu'ils voient ils jugent des choses très différentes
qu'ils n'ont pas vues et ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la
servitude par la patience avec laquelle ceux qu'ils ont sous les yeux supportent
la leur, sans songer qu'il en est de la liberté comme de l'innocence
et de la vertu, dont on ne sent le prix qu'autant qu'on en jouit soi-même
et dont le goût se perd sitôt qu'on les a perdues. Je connais les
délices de ton pays, disait Brasidas à un satrape qui comparait
la vie de Sparte à celle de Persépolis, mais tu ne peux connaître
les plaisirs du mien.
Comme un coursier indompté hérisse ses crins, frappe la terre
du pied et se débat impétueusement à la seule approche
du mors, tandis qu'un cheval dressé souffre patiemment la verge et
l'éperon, l'homme barbare ne plie point sa tête au joug que l'homme
civilisé porte sans murmure, et il préfère la plus orageuse
liberté à un assujettissement tranquille. Ce n'est donc pas
par l'avilissement des peuples asservis qu'il faut juger des dispositions
naturelles de l'homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu'ont
faits tous les peuples libres pour se garantir de l'oppression. Je sais que
les premiers ne font que vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouissent
dans leurs fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant, mais quand
je vois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance
et la vie même à la conservation de ce seul bien si dédaigné de
ceux qui l'ont perdu ; quand je vois des animaux nés libres et abhorrant
la captivité se briser la tête contre les barreaux de leur prison,
quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser les voluptés
européennes et braver la faim, le feu, le fer et la mort pour ne conserver
que leur indépendance, je sens que ce n'est pas à des esclaves
qu'il appartient de raisonner de liberté.
Extrait de Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes - Rousseau
Annonce des parties de l'analyse linéaire
- Empressement du jugement européen
(du début à « ceux qu'ils ont sous les yeux supportent la leur »)
- Raisons de la docilité de l'homme social
(« sans songer qu'il en est de la liberté » à « mais tu ne peux connaître les plaisirs du mien. »)
- La liberté est naturelle
(« Comme un coursier indompté » à « un assujettissement tranquille »)
- Sacrifices observés pour une inestimable liberté
(« Ce n'est donc pas par l'avilissement » à « que leur indépendance »)
- Conclusion oratoire : l’art de la pointe
(« je sens que ce n'est pas à des esclaves qu'il appartient de raisonner de liberté. »)
Analyse linéaire
I. Empressement du jugement européen
Les politiques font sur l'amour de la liberté les mêmes sophismes que les philosophes ont faits sur l'état de nature ; par les choses qu'ils voient ils jugent des choses très différentes qu'ils n'ont pas vues et ils attribuent aux hommes un penchant naturel à la servitude par la patience avec laquelle ceux qu'ils ont sous les yeux supportent la leur
Dans son premier argument, qui est une
analogie, Rousseau commence par s'en prendre
aux hommes politiques européens, qu'il estime aussi peu que les philosophes.
Tous fondent leur jugement sur ce qu'il voient, mais ils n'ont qu'une vision
restreinte du monde (« ils ont sous les yeux »).
Ils n'aboutissent ainsi qu'à des « sophismes » quand il s'agit
de juger si les hommes tiennent à la liberté.
Le talent oratoire de Rousseau consiste à employer un
rythme binaire :
Complément circonstanciel de propos « par les choses » +
proposition subordonnée relative « qu’ils voient ».
Complément circonstanciel de propos « par la patience » +
proposition subordonnée relative « avec laquelle ».
II. Raisons de la docilité de l'homme social
sans songer qu'il en est de la liberté comme de l'innocence et de la vertu, dont on ne sent le prix qu'autant qu'on en jouit soi-même et dont le goût se perd sitôt qu'on les a perdues. Je connais les délices de ton pays, disait Brasidas à un satrape qui comparait la vie de Sparte à celle de Persépolis, mais tu ne peux connaître les plaisirs du mien.
« Sans songer » prive les politiques de la faculté de
raisonner. Dans une seconde analogie est employé pour la deuxième
fois le terme « liberté ». Cette fois, la liberté,
qui est un état, est assimilée à l'innocence et à la
vertu qui sont des qualités.
On trouve encore des tournures binaires :
« l'innocence et la vertu »,
« dont on ne sent le prix (…) et dont le goût »,
« se perd sitôt qu'on les a perdues ».
« Il en est » et « on » sont des tournures impersonnelles
qui donnent un aspect universel : la liberté concerne chaque homme.
Le paragraphe se termine par un exemple emprunté à l’Antiquité,
ce qui est gage de sagesse. L’absence de guillemets, inhabituelle pour
introduire du discours direct, sert à mieux intégrer les paroles
rapportées au discours et à abolir la distance temporelle. L’exemple
est fondé sur une opposition (« mais ») qui annonce toutes celles à venir.
III. La liberté est naturelle
Comme un coursier indompté hérisse ses crins, frappe la terre du pied et se débat impétueusement à la seule approche du mors, tandis qu'un cheval dressé souffre patiemment la verge et l'éperon, l'homme barbare ne plie point sa tête au joug que l'homme civilisé porte sans murmure, et il préfère la plus orageuse liberté à un assujettissement tranquille.
Le rythme binaire s’intensifie avec une série de
comparaisons (« comme ») et d’
oppositions (« tandis que »).
Le « coursier indompté » désigne
en termes nobles « l’homme barbare », ce qui prouve
que chez Rousseau,
l’adjectif « barbare » n’est nullement péjoratif.
Le coursier s’oppose au « cheval dressé »,
de même que l’homme barbare s’oppose à « l’homme
civilisé », et que « la plus orageuse liberté » du premier répond à l’« assujettissement tranquille »
du second. La fougue et la violence sont ce qu’a choisi l’homme
barbare (« hérisse », « frappe », « se
débat ») tandis qu’à l’homme civilisé revient
une tranquille mais servile sécurité.
Dans tous ces exemples ce sont des
termes antithétiques qui donnent
donc des antithèses au
rythme binaire.
Rousseau utilise l'article indéfini « un », et parle de « l'homme
barbare » en général pour donner une
valeur universelle à son
texte, il généralise ce dont il parle.
IV. Sacrifices observés pour une inestimable liberté
Ce n'est donc pas par l'avilissement des peuples asservis qu'il faut juger des dispositions naturelles de l'homme pour ou contre la servitude, mais par les prodiges qu'ont faits tous les peuples libres pour se garantir de l'oppression. Je sais que les premiers ne font que vanter sans cesse la paix et le repos dont ils jouissent dans leurs fers, et que miserrimam servitutem pacem appellant, mais quand je vois les autres sacrifier les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance et la vie même à la conservation de ce seul bien si dédaigné de ceux qui l'ont perdu ; quand je vois des animaux nés libres et abhorrant la captivité se briser la tête contre les barreaux de leur prison, quand je vois des multitudes de sauvages tout nus mépriser les voluptés européennes et braver la faim, le feu, le fer et la mort pour ne conserver que leur indépendance
De la comparaison découle une idée (introduite par « donc »). Cette idée est présentée en deux temps, d’abord
de façon négative (« pas par ») puis de façon
positive (« mais par »). Le rythme binaire qui martèle
tout le texte donne plus de force au discours et fonctionne comme un
aide-mémoire pour ses auditeurs.
La tournure restrictive « ne font que vanter » oppose
encore une fois les peuples asservis, à qui est associé un verbe
de parole (« vanter ») aux peuples libres caractérisés
par des verbes d’action. Encore une fois, Rousseau accorde sa préférence à l’homme
barbare et libre et méprise l’homme civilisé.
Le mot « mais » (« mais quand je vois les autres sacrifier »), second terme d’une
concession,
annonce qu’après avoir rappelé l’opinion commune
selon laquelle l’homme civilisé peut jouir de la « paix » et
du « repos », Rousseau va énoncer sa thèse.
Pour mieux l’étayer, il va la développer sur une
registre
didactique en trois exemples facilement repérables grâce à l’
anaphore de « quand je vois » et en une conclusion
introduite par « je sens que ».
Ainsi, l’argumentation, qui s’appuyait jusque-là sur des
généralités, se sert à présent de la
première
personne, du témoignage qui paraît plus crédible pou l’auditoire.
D'après Rousseau, les peuples libres sont courageux. Tout ce qu’ils
consentent à sacrifier pour sauvegarder leur liberté est rapporté dans
l’énumération « les plaisirs, le repos, la richesse, la puissance et la vie », qui obéit à une graduation :
ces peuples finissent par risquer leur « vie même ». Rousseau
marque l'étonnement avec « même » qui montre l'
admiration
que porte Rousseau aux sauvages. Une deuxième énumération
(« la faim, le feu, le fer et la mort ») est mise en valeur par une
allitération en [f].
V. Conclusion oratoire : l’art de la pointe
je sens que ce n'est pas à des esclaves qu'il appartient de raisonner de liberté.
La pointe est une conclusion inattendue, c'est aussi un trait d'esprit recherché.
La tournure négative est une
condamnation implicite de ce qui se pratique
chez les « esclaves » qui tentent de « raisonner de liberté »,
c’est-à-dire à la cour, chez les sujets des rois qui ont
la prétention de juger les hommes barbares alors qu’eux-mêmes
ont renoncé à leur liberté.
Cette
critique virulente des Européens renvoie au premier paragraphe
de l’extrait étudié. On peut résumer la thèse
de Rousseau ainsi : « Peuples européens, regardez-vous vous-mêmes avant de juger les autres ».
Conclusion
Dans ce texte du
Discours sur l’origine et les fondements
de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau fait l'éloge des
peuples libres.
Il utilise des phrases binaires pour marquer les esprits. Il élabore sa
thèse selon laquelle l’homme barbare n’est pas plus à plaindre
que l’homme civilisé, loin s’en faut…
Etude d'autres extraits du
Discours sur l'origine des fondements de l'inégalité parmi les hommes de Rousseau :
-
De "Tant que les hommes..." à "...croître avec les moissons"
-
De "Tant que les hommes..." à "...le matin à ses besoins du soir."
-
De "Qui ne voit que tout semble éloigner..." à "...pour vivre en société."