J'Accuse...!

Emile Zola

Conclusion de l'article

De "J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam..." à la fin








Introduction

    J'Accuse…! est le titre de l'article rédigé par Émile Zola lors de l'affaire Dreyfus et publié dans le journal L'Aurore (13 janvier 1898). L'article est présenté comme une "lettre ouverte au Président de la République" (le président était alors Félix Faure). Au travers d'un véritable pamphlet accusateur, la contestation d'une décision de justice au nom de valeurs universelles, l'écrivain décide de s'exposer publiquement, afin de comparaître aux assises pour qu'un nouveau procès, plus indépendant, puisse se dérouler. C'est cet article qui relance l'affaire Dreyfus, au moment où, le véritable coupable (le commandant Esterházy) étant acquitté, tout pouvait sembler perdu pour le camp dreyfusard. Cet article représente le symbole de l'éloquence oratoire et du pouvoir de la presse mis au service d'une cause juste et généreuse.

    Le passage que nous étudions est la conclusion du célèbre article. Cette conclusion est précédée d'une argumentation détaillée. La conclusion est en quelque sorte la récapitulation synthétique de l'argumentation qui précède.

Emile Zola
Emile Zola




Texte étudié


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Lu par David D. - source : litteratureaudio.com

Texte complet de l'article J'Accuse...! de Zola


J'Accuse (conclusion)


[...]

J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d'avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.

J'accuse le général Mercier de s'être rendu complice, tout au moins par faiblesse d'esprit, d'une des plus grandes iniquités du siècle.

J'accuse le général Billot d'avoir eu entre les mains les preuves certaines de l'innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s'être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l'état-major compromis.

J'accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s'être rendus complices du même crime, l'un sans doute par passion cléricale, l'autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l'arche sainte, inattaquable.

J'accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d'avoir fait une enquête scélérate, j'entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.

J'accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d'avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu'un examen médical ne les déclare atteints d'une maladie de la vue et du jugement.

J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir mené dans la presse, particulièrement dans L'Éclair et dans L'Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l'opinion et couvrir leur faute.

J'accuse enfin le premier conseil de guerre d'avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le second conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable.

En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c'est volontairement que je m'expose.

Quant aux gens que j'accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l'acte que j'accomplis ici n'est qu'un moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion de la vérité et de la justice.

Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme. Qu'on ose donc me traduire en cour d'assises et que l'enquête ait lieu au grand jour !

J'attends.

Veuillez agréer, monsieur le Président, l'assurance de mon profond respect.

Emile Zola


Texte complet de l'article J'Accuse...! de Zola







Annonce des axes

I. La contestation d'une décision de justice au nom de valeurs universelles
1. Thèse du texte
2. Zola résume ses principales accusations
3. Zola exprime les valeurs qui sous-tendent son réquisitoire
4. Zola a conscience des risques que lui font courir son article

II. Un morceau d'éloquence polémique
1. Le ton catégorique du texte
2. Le style emphatique, utilisant l'hyperbole souvent combinée avec la métaphore
3. Les procédés du ton polémique
4. Le rythme vigoureux du texte



Commentaire littéraire

I. La contestation d'une décision de justice au nom de valeurs universelles

1. Thèse du texte

La thèse défendue par Zola se dégage clairement des champs lexicaux dominants : le champ lexical du mensonge puis le champ lexical de la vérité. Ce sont deux champs lexicaux opposés correspondant à deux parties distinctes dans le texte.
Dans la première partie (les accusations), le champ lexical du mensonge domine nettement : « mensongers », « frauduleux », « égarer l'opinion », «acquitter sciemment un coupable » auquel on peut associer le thème voisin de la dissimulation : « une pièce restée secrète » et de l'illégalité : « violer le droit », « illégalité », « crime juridique ».
Dans la deuxième partie (l'engagement personnel), le thème de la vérité revient avec insistance. Emile Zola s'engage à  « hâter l'explosion de la vérité et de la justice », apporter la « lumière » (métaphore conventionnelle de la vérité), traiter l'affaire « au grand jour » (toujours la même métaphore de la lumière).

Ainsi, la thèse défendue par Zola est que le Capitaine Dreyfus à tort a été condamné lors d'un procès truqué et que la vérité doit maintenant être faite.


2. Zola résume ses principales accusations

Cela correspond à la première partie du texte étudié.

Les différentes accusations portées par Zola sont facilement repérables :
L'anaphore de « j'accuse » permet de dénombrer huit accusations.
La division de cette première partie du texte en paragraphes, chaque paragraphe correspondant à une cible différente.


3. Zola exprime les valeurs qui sous-tendent son réquisitoire

Cela correspond à la seconde partie du texte étudié.

De façon métaphorique le plus souvent, Zola laisse transparaître les valeurs au nom desquelles il ose remettre en cause une décision de justice. Le paragraphe allant de « Je n’ai qu’une passion » à « au grand jour ! » permet de dégager trois idées.
D'abord, par sa « passion de la lumière », Zola semble revendiquer l'idéal rationaliste du XVIIIème siècle. Au XVIIIème siècle, « Les Lumières » désignent la raison, les connaissances positives, l'esprit critique, par opposition à l'obscurantisme, les superstitions religieuses, les dogmatismes idéologiques. Par cette référence, Zola suggère la continuité entre son engagement dans une affaire d'anti-sémitisme et celui de Voltaire contre la persécution du protestant Jean Calas. Il se place ainsi dans la lignée des grands intellectuels engagés.

Zola ajoute qu'il combat  « au nom de l'humanité  qui a tant souffert et qui  a droit au bonheur ».  Zola revendique ainsi implicitement sa confiance dans le progrès : opposition du passé, dévalorisé, assimilé à la souffrance, et du futur qui ouvrira le « droit au bonheur ». C'est l'idéal démocratique et humaniste de la Révolution française de 1789 : les droits fondamentaux de la personne humaine, l'égalité des hommes, notamment devant la justice.

Enfin, Zola expose sa liberté de conscience. Il justifie sa révolte par la spontanéité et la pureté de son indignation : « Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon  âme ». Par cette phrase, Zola revendique en quelque sorte le droit à la désobéissance civile face à l'état, lorsque l'individu a l'intime conviction d'avoir raison contre la loi. Il affirme le droit de s'élever contre la loi écrite (une décision de justice dans ce cas précis) lorsqu'elle apparaît injuste à « l'âme ».

Ces valeurs : raison, progrès et liberté de conscience, sont le fonds commun de la civilisation française et sont a priori des valeurs partagées par le plus grand nombre. En les mettant avant, Zola espère emporter l'adhésion des lecteurs.


4. Zola a conscience des risques que lui font courir son article

Zola cite clairement le texte de loi qu'il transgresse en portant cette accusation : « je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 ».
Il expose ainsi son courage politique et dit clairement et fait part au lecteur de toute sa détermination car il montre qu'il a conscience des risques qu'il prend en lançant cette accusation « c'est volontairement que je m'expose ».


II. Un morceau d'éloquence polémique

Cet extrait étant la conclusion de l'article, sa fonction est plus rhétorique que proprement argumentative. Les arguments ont été développés en détail dans le corps de l'article. Ne reste donc dans la conclusion qu'une envolée oratoire destinée à persuader le lecteur de l'engagement personnel de l'écrivain. Plusieurs procédés sont caractéristiques de l'écriture engagée.

1. Le ton catégorique du texte

Zola use fréquemment de verbes d'action ou de volonté,  d'expressions disant la certitude ou la détermination énergique : « je n'ignore pas… » ; « c'est volontairement que je m'expose » ; « je n'ai qu'une passion… » ; « j'attends » ; « l'acte que j'accomplis ici…. » ; etc… L'omniprésence de la première personne dans ces expressions, comme dans l'anaphore « J'accuse », confirme l'idée d'engagement personnel de l'auteur. Zola entend faire sentir au lecteur qu'il s'engage totalement dans cette bataille pour la réhabilitation de Dreyfus.


2. Le style emphatique, utilisant l'hyperbole souvent combinée avec la métaphore

Zola utilise plusieurs hyperboles afin d'appuyer ses propos : « moyen révolutionnaire » au lieu de moyen exceptionnel, « explosion de la vérité » au lieu de la révélation de la vérité.
L'usage de l'hyperbole ajoute à la solennité de la déclaration de guerre à l'injustice : « une campagne abominable », « protestation enflammée », « moyen révolutionnaire ». Des métaphores apportent un certain lyrisme : « la passion de la lumière », « le cri de mon âme », « l'explosion de la vérité ».


3. Les procédés du ton polémique

Zola fait le choix d'un vocabulaire agressif  et injurieux  pour les personnes mis en cause : « mensongers », « frauduleux », « abominable », « crime juridique », « violé le droit », « esprits de malfaisance sociale ». Zola utilise également l'ironie pour convaincre le lecteur, quand il affirme que les trois experts en écritures ont menti « à moins qu'un examen médical ne les déclare atteints d'une maladie de la vue ou du jugement ».  L'ironie consiste à s'exprimer par antiphrase. Ici, par exemple, l'excuse apparente (« à moins que… ») cache une injure aggravée (ils sont peut être fous ou mal voyants).


4. Le rythme vigoureux du texte

Portée par l'anaphore de « J'accuse », la construction de la conclusion en paragraphes courts dégage une impression de dynamisme destiné à suggérer au lecteur l'importance du crime (mise en valeur du terme « accuser »), l'urgence de sa dénonciation et la détermination de l'auteur. Cette construction rend également la lecture du texte plus aisée et plus rapide.






Conclusion

    La conclusion de l'article J'Accuse est un bon exemple d'éloquence oratoire mise au service d'une thèse à défendre. Par son intervention dans l'affaire Dreyfus, Zola s'inscrit dans une tradition d'engagement politique de l'intellectuel illustrée notamment par Voltaire au XVIIIème siècle ou Victor Hugo au XIXème siècle. Ces écrivains ont su à l'occasion consacrer leur savoir-faire, leur habileté rhétorique, à combattre l'intolérance et l'injustice. Ils ont mis leur célébrité au service de la cause défendue.




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