L’auteur recourt aussi à une véritable personnification
de l’arbre qui s’accentue au fur et à mesure des strophes.
Il lui donne des attributs humains, physiques d’abord avec « flanc »,
puis « larmes de résine », expression qui mêle les
caractéristiques propres à l’arbre, la résine,
et celle de l’homme, les larmes. Plus loin, la résine sera aussi
comparée à du « sang qui coule goutte à goutte ».
Théophile Gautier attribue aussi à l’arbre des sentiments
tels que le regret « sans regretter », la volonté « qui
veut », le courage « Comme un soldat blessé qui veut mourir
debout » et des sensations, notamment la douleur « tronc douloureux ».
Ainsi le poème Le pin des Landes est parsemé d’indices qui dévoilent au lecteur l’intention de son auteur.
Mais Théophile Gautier ne se contente pas d’images et de comparaisons. Pour donner plus de poids au message qu’il désire faire passer, il joue sur les sens et peint un véritable tableau animé.
Il nous suggère les Landes comme un endroit désert
et aride « Sahara », « herbe
sèche ». Il utilise une allitération « s » pour
insister sur cette sècheresse.
«
On ne voit, en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l'herbe sèche et des flaques d'eaux vertes »
Gautier sollicite nos sens. La vue, grâce à l’évocation
des couleurs « sable blanc » ou « eaux vertes » et à l’expression « On
ne voit ». Les sensations tactiles avec « poudré » et « sèche ».
Il continue ainsi et dans la deuxième strophe, il nous fait entendre
le bruit de la scie contre l’arbre « Dans son tronc douloureux
ouvre un large sillon » avec une allitération en « r ».
«
Car pour lui dérober ses larmes de résine,
L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon ! »
Pour suggérer le « sang qui coule goutte à goutte »,
le poète utilise dans le vers suivant une répétition
de sonorité ce qui rythme le vers. On entend alors le rythme régulier
du liquide qui tombe. « Le pin verse son baume et sa sève qui
bout »
De plus, toute la strophe est parcourue par une allitération en « s » qui
rappelle le sang.
«
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. »
Ainsi le poète, par des comparaisons, des images, des sons, compose le tableau d’une nature singulièrement humaine.
On remarque ensuite un contraste entre le paysage qui symbolise l’humanité et le pin qui symbolise le poète. Une opposition est marquée entre le terme « Landes » au pluriel, et le « pin » singulier au milieu de cette étendu de sable, d’herbe et de flaques. De plus, les Landes, décrites comme « désertes », arides, infertiles « sable blanc, herbe sèche » semblent inhospitalières « Sahara, flaques d’eaux vertes ». La négation qui introduit le pin « On ne voit (…) d’autre arbre que le pin » le met en valeur et accentue le contraste entre cet arbre particulier et le milieu qui l’entoure. Il ne se fond pas dans le paysage dont il constitue les cimes. Isolé, différent, il attire l’œil tout de suite.
L’arbre poète nous est tout de suite présenté avec « une plaie au flanc ». Il souffre et sa souffrance est mise en lumière par un fort champ lexical de la douleur « blessé, entaille profonde, douloureux, larmes, mourir… ».
Cette souffrance n’est pas le fait de la nature mais de l’homme. L’homme « avare bourreau de la création » « dérobe » et « assassine ». Ces mots aux connotations violentes brossent le portrait d’une humanité brutale et cruelle.
Le dessein de Théophile Gautier n’est pas de dénoncer les outrages faits à la nature mais d’utiliser des images qui révèlent la brutalité du monde à l’égard des poètes. C’est au poète que l’humanité est accusée de « dérober ses larmes » « dans son tronc douloureux » comme en atteste ici les adjectifs possessifs.
Pour Théophile Gautier, la souffrance du poète est cependant
nécessaire à l’accomplissement de son destin.
« Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d'or ! »
Il utilise l’image du sang « Sans regretter son sang qui coule
goutte à goutte », des larmes « larmes de résine »,
ou de la sève « sève qui bout » pour symboliser son œuvre
et exprimer ainsi qu’elle est son essence même et que pour la livrer
au monde, il lui faut une « blessure », « une entaille profonde ».
Cette impérieuse nécessité est traduite par l’expression « Il
faut ». « Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde ».
Théophile Gautier souligne en effet à quel point la poésie
est nécessaire à l’humanité. Ce sang, ces larmes
que verse le poète composent le baume dont les hommes ont besoin pour
survivre à la brutalité de leur société. Et c’est
donc volontiers qu’il consent à souffrir pour apaiser la douleur
du monde.
«
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout »
« L'homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu'aux dépens de ceux qu'il assassine
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon »
Le cruel destin du poète s’explique par la dépendance
des hommes aux bienfaits qu’il leur prodigue. L’œuvre du
poète répond donc à des besoins humains qui donnent en
retour un sens à sa souffrance et la rendent acceptable.
Le poète est donc décrit comme une victime
sacrificielle mais consentante de l’humanité.Il accepte sa douleur
et la supporte avec vaillance.
«
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. »
«
droit » et « debout » font référence à sa
volonté de faire face sans fléchir malgré les blessures.
Il veut garder force et courage dans ce combat, cette guerre qu’évoque
l’image du soldat qui symbolise aussi le devoir.
Gautier fait un réel éloge de la condition
de poète,
revendiquant son utilité au monde. De plus, il utilise
un vocabulaire très élogieux pour qualifier
l’œuvre du poète « baume, trésor, divines larmes
d’or ». La condition de l’artiste est mise en valeur par
le contraste entre la violence de l’humanité et la générosité de sa victime.