Plan de la fiche sur
La Rose et le Réséda de Aragon :
Introduction
Le texte que nous allons étudier est un poème de Louis Aragon (1897 - 1982), écrivain surréaliste connu pour son engagement idéologique au côté du Parti Communiste. Le recueil La Diane française d'où est extrait le poème La rose et le réséda (poème parut en 1943) réunit des poèmes écrits pendant la guerre ou à la Libération. Il contient notamment des poèmes, comme La rose et le réséda qui, furent publiés au départ dans la clandestinité.
Les deux fleurs, la rose rouge et le réséda blanc symbolisent par leurs couleurs deux appartenances politico-religieuses : le rouge est la couleur des socialismes, traditionnellement athées, le blanc, celle de la monarchie, et plus généralement du catholicisme qui lui est associé dans l'histoire de France.
Poème de circonstance à l'origine, (à l'époque le Parti Communiste pratique la politique de "la main tendue") ce texte, au-delà des circonstances précises de sa composition vaut par la beauté de l'idéal d'unité qu'il illustre.
Louis Aragon
Texte de La Rose et le Réséda
La Rose et le réséda
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
Annonce des axes
I. Le récit d'un épisode de la résistance
1. Première étape (vers 1 à 27)
2. Deuxième étape (vers 28 à 50)
3. Troisième étape (v 51 à la fin)
II. Un texte épique
1. A chaque étape, le poète narrateur intervient pour commenter l'action avec une visée argumentative destinée à embellir le geste
2. Un registre épique
III. De nombreux procédés d'amplification
Commentaire littéraire
I. Le récit d'un épisode de la résistance
Ce poème est dédié à 4 grands Résistants de droite et de gauche, fusillés par les Allemands :
- Gabriel Péri : homme politique et journaliste français, membre du Parti communiste, fusillé en 1941.
- Honoré d'Estienne d'Orves : officier de marine français, rallié au Général de Gaulle en 1940, fusillé en 1941.
- Guy Moquet, fils d'un député communiste, fusillé comme otage en 1941, à l'âge de 17 ans.
- Gilbert Dru : il organisa la Résistance dans les milieux de la Jeunesse Chrétienne, fusillé à Lyon en 1944, à l'âge de 24 ans.
C'est donc en
référence à des faits réels qu'Aragon écrit ce texte, qui raconte avant tout un épisode type de la Résistance.
Ce texte est conçu sous forme de récit, en 3 étapes très distinctes.
1. Première étape (vers 1 à 27)
- Présentation des personnages avec une dominante imparfait : l'athée et le chrétien, unis par la même construction anaphorique et parallélique "celui qui croyait au ciel / celui qui n'y croyait pas".
- Image de la France prisonnière.
- Détermination des Résistants et abolition des querelles idéologiques au nom du commun combat.
2. Deuxième étape (vers 28 à 50)
- Un événement : "la sentinelle tira" vers 28 = passage au passé simple dominant de l'action.
- La détention.
- L'exécution à "l'aube cruelle", et le mélange de sang.
- Présent de narration vers 47.
3. Troisième étape (v 51 à la fin)
- L'utilité du sacrifice : le sang des martyrs nourrit une France qui redeviendra féconde : "mûrisse un raisin muscat" vers 54.
- Un plan élargi sur une France se redécouvrant, d'Ouest en Est - sur fond de ritournelle, presque de comptine - comme creuset unifiant des couples antithétiques, comme la rose piquante e le fade réséda.
II. Un texte épique
1. A chaque étape, le poète narrateur intervient pour commenter l'action avec une visée argumentative destinée à embellir le geste
1. Première étape
Le narrateur intervient au présent de vérité générale pour commenter et approuver l'attitude des personnages : "Qu'importe comment s'appelle…" vers 9 / "Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles" vers 22-23.
Les commentaires ont une visée argumentative, Aragon en appelle à l'union sacrée.
2. Deuxième étape
Le narrateur insiste sur le fait que l'insurrection contre la barbarie transcende les convictions personnelles "Un rebelle est un rebelle" vers 39.
3. Troisième étape
Ici la présence du narrateur se ressent dans l'apostrophe la "flûte" et au "violoncelle" v. 60 qui est un appel au lyrisme à propos du sujet posé : voir le lexique : "Rechantera" v. 60 : le poète pose ici une mission qui est celle de chanter les louanges des héros : on retrouve ici la tradition épique où le narrateur intervient pour commenter la bataille en la grandissant.
2. Un registre épique
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Allégorie de la France, jeune femme "la belle" v. 3, "celle / Qu'aucun des deux ne trompa" v. 45-46 : cette allégorie pose les héros un peu comme des chevaliers du Moyen-Age, chargés de libérer la "Prisonnière des soldats v. 4
D'autant plus que comme dans l'amour courtois, l'amour est total, platonique et fidèle :
- "Tous deux adoraient la belle" v. 3
- "Tous les deux étaient fidèles / Des lèvres du cœur et des bras" v. 15-16 -> rythme ternaire qui accentue la plénitude de l'amour suggéré
- "le nom de celle / Qu'aucun des deux ne trompa" v. 45-46.
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Réseau lexical abondant de la guerre et de la mort
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Grandissement épique de certaines images :
- Métaphore filée, des récoltes entre le vers 21 et la fin du texte : de manière antithétique, le blé "sous la grêle" (métaphore des bombardements) trouvera un écho dans "le raisin muscat" qui mûrit à la fin v. 54 = images opposées destinées à dramatiser la situation
- Le sang dont se nourrit la terre : v. 47, 51-52 : le caractère épique de l'image est d'autant plus souligné par le singulier qui désigne ici les 2 morts ; idée = grandissement des héros par leur unité. (Il ne font plus qu'un face à la mort)
- La transformation finale : "L'un court et l'autre a des ailes" v. 57 : ange ou demi-dieu, les héros ont acquis des pouvoirs magiques.
III. De nombreux procédés d'amplification
La visée d'Aragon dans ce poème est semblable à celle d'Eluard : résolument hostile au nazisme et à la collaboration, il fait de la poésie une arme qui doit toucher immédiatement : d'où l'importance accordée aux procédés d'amplification :
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L'anaphore, toujours présente dès lors qu'un texte est oratoire :
- "Celui qui / celui qui" : les personnages sont à la fois différents (par le singulier) et liés (par l'anaphore) - "Lequel / et lequel".
- "Tous les deux / et tous les deux" : là aussi, les anaphores marquent l'un et le double.
- "Fou qui / fou qui" : rappel d'une structure courante de la poésie ancienne : "Heureux qui…"
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Les rimes : la limpidité apparente est le fruit d'un système de rimes très élaboré, qui participe à l'effet d'insistance. Deux rimes seulement [ÎI] (L) et [a], toujours croisées, comme sont croisées les destinés des deux personnages.
On peut observer que ces rimes sont parfois redoublées à l'intérieur du vers (par ex : v. 5, v. 28, v. 35), et que tout un réseau d'assonances, d'une part autour du [a], d'autre part autour du [e], [ÎI] leur fait écho.
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Le refrain : dix fois, à la façon d'une litanie, il rappelle l'indéfectibilité du lien qui unit des personnages que tout pourrait séparer ; ce lien, c'est celui du "commun combat".
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Aucune ponctuation dans ce parcours en heptasyllabes (comme dans "Liberté") vers la "saison nouvelle", ce qui ne signifie pas pour autant un parcours parfaitement linéaire.
En effet, le rythme ne fait pas forcément coïncider l'unité métrique et l'unité sémantique, et produit des effets soit d'étirement, soit de rupture, soit de mise en valeur. On constate par exemple des
enjambements :
- V. 3-4 : "la belle / prisonnière"
- V. 17-18 : "qu'elle / Vive", qui permettent la mise en valeur du mot en position de rejet
- V. 45-46 : "celle / Qu'aucun des deux…"
Mise en valeur des mots en contre-rejet :
- V. 33-34 : "Lequel / A le plus triste…"
- V. 51-52 : "se mêle / la terre…"
Enjambement qui illustre bien la continuité entre la vie et la mort.
On observera que c'est souvent l'enjeu du combat, jamais nommé, la France, qui est valorisée par ces effets de rythme.
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Quant aux allitérations, elles constituent une respiration du texte.
Sans prétendre à une étude exhaustive, on remarque que dans certains passages, les allitérations sont dures : [k], v. 24 ; [g], v. 40 ; [t], v. 28 ; [d], v. 3
et dans d'autres passages, plus douces : [v], v. 18 ; [s], v. 47
Sans proposer une interprétation mécanique et stérile des sonorités, on peut cependant constater que ces échos consonantiques "colorent" de façon efficace des énoncés, tantôt dramatiques, tantôt sereins.
Conclusion
Récit et chanson tout à la fois,
La Rose et le réséda, poésie engagée se veut avant tout un hymne à l'unité face à l'adversité : que l'on partage ou non les convictions de l'auteur, force est de reconnaître la puissance du souffle épique qui parcourt ce texte et dont l'
allégorie de la France n'est pas sans rappeler le texte de d'Aubigné (dans un autre registre cependant).