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Souvenir de Alfred de Musset :
Introduction
Alfred de Musset (1810 - 1857) est un poète et un dramaturge français de la période romantique.
Dans le poème
Souvenir, extrait du recueil
Poésies nouvelles (1850), Alfred De Musset retourne en forêt de Fontainebleau où il s'est rendu plusieurs fois, en compagnie notamment de son amour George Sand.
L'extrait étudié est de la troisième à la sixième strophe.
Question possible à l'oral : Comment s'exprime dans cet extrait du poème Souvenir la recherche d'un amour perdu ?
Texte de l'extrait étudié du poème
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Lu par Gilles-Claude Thériault - source : litteratureaudio.com
Souvenir (extrait)
Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m'enlaçait.
Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
A bercé mes beaux jours.
Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m'attendiez-vous pas ?
Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !
Alfred de Musset - Poésies nouvelles - 1850
Alfred de Musset, Souvenir - Aquarelle d'Eugène Lami
Annonce des axes
I. Un poème élégiaque
1. Situation d'énonciation
2. Sentiments complexes
II. Un pèlerinage sentimental
1. La forêt, un lieu enchanté
2. La forêt : une amie, espace privilégié du bonheur, un lieu de consolation
3. La Nature est témoin des amours passées du poète
Commentaire littéraire
I. Un poème élégiaque
Définition : élégiaque caractérise un texte lyrique qui exprime sur un ton mélancolique la nostalgie d'un bonheur perdu.
L'expression de la nostalgie du poète est annoncée dès le titre : « souvenir ». Le poète exprime le regret d'un bonheur perdu à jamais. Tout comme le célèbre poète Lamartine le fait dans son poème «
Le Lac » extraits des Méditations poétiques.
Ici, il s'agit d'une suite de
quatrains composés de trois
alexandrins suivi d'un
hexasyllabe. Ce type de quatrain est très fréquent dans la poésie romantique :
les alexandrins expriment un élan lyrique, pour se briser avec l'hexasyllabe. Comme si la voix du poète s'éteignait sous le poids de la mélancolie dans la quatrième strophe.
1. Situation d'énonciation
Le poète s'adresse à ses amis, qui l'ont accompagné jusque dans la forêt de Fontainebleau, lieu premier de ses amours. Il les apostrophe, plein d'émotions dans la quatrième strophe de l'extrait. Nous pouvons noter tous les impératifs à la deuxième personne du pluriel. Dans les trois strophes précédentes, nous pouvons noter la multiplication des déictiques (= mots qui renvoient directement à la situation d'énonciation). Ici, ce sont des adjectifs démonstratifs « ces ». Ils désignent tous les éléments du paysage que le poète montre à ses amis durant leur promenade.
Tous ces éléments du paysage sont chargés de souvenirs que le poète entend ressusciter. Autre démonstratif, le présentatif « Les voilà » en
anaphore au début de chaque strophe (= mise en relief). Ici, le pouvoir de l'écriture est celui d'invoquer un paysage qui s'impose au lecteur.
2. Sentiments complexes
[Dolorisme = complaisance dans la douleur].
Le sentiment dominant est celui de la douleur de l'amour perdu « un cœur encor bléssé » (vers 14) exprimé à travers la
métaphore clichée du cœur blessé. L'interjection plaintive « Ah » en tête de strophe vient appuyer cela, ainsi que l'évocation des larmes. Cette douleur n'est pas sans ambiguïté comme le montre la reprise emphatique « elles me sont bien chères, / Ces larmes » mise en relief par l'
enjambement.
Alfred de Musset n'éprouve pas que de la tristesse, ou du moins elle se teinte d'une certaine joie : la joie du souvenir. Il se complait dans cette douleur, il veut la vivre pleinement comme l'indique la prière adressée a ses amis « laissez les couler […] ne les essuyez pas ».
Tendance au dolorisme. Il désire prolonger dans l'instant présent. Enjambement également du vers 15 au vers 16 et la répétition du verbe « laissez » qui traduisent le sursaut d'un cœur qui essaie désespérément de maintenir le souvenir aussi douloureux soit-il.
Cet instant présent lui permet de revivre le passé, et de le retrouver au-delà même de la douleur bien réelle. Le passé renait a la seule vue des lieux autrefois familiers (vers 9 / 10 « les voilà […] de mes pas »). La promenade a une fonction magique, comme le suggère la comparaison élogieuse « Comme un essaim d'oiseaux […] ». Le poète semble submergé par ses souvenirs au point de retrouver sa jeunesse et les temps heureux de ses amours.
II. Un pèlerinage sentimental
Ce pèlerinage se fait en pleine nature (cf. romantisme).
1. La forêt, un lieu enchanté
Dans les trois premières strophes de l'extrait étudié, multiplication des mots associés au
champ lexical de la nature : la plupart de ces mots sont au pluriel pour exprimer la profusion, le foisonnement, la diversité de la forêt : « coteaux », « bruyères », « sable », « sapins », « buissons », « gorge profonde » dont le pittoresque est mis en relief par la périphrase « nonchalants détours » qui désigne les méandres de cette vallée. De Musset utilise certains termes mélioratifs pour désigner le paysage « charmant » et « beau » :
chiasme « Lieux charmants, beau désert ».
Le terme « désert » renvoie à la solitude, prisée du poète romantique car elle lui permet d'entrer en communion avec la nature.
2. La forêt : une amie, espace privilégié du bonheur, un lieu de consolation
Personnification de la forêt, que le poète apostrophe aux vers 11 et 12. L'enjambement du vers 11 à 12 en passant de l'alexandrin à l'hexasyllabe met en relief la question que le poète pose au vers 12.
Comme si la forêt était une amie qui attendait depuis longtemps son retour. Au vers 7, la périphrase « ces sauvages amis » évoque une relation tendre et familière avec la nature.
Le poète pressé par le malheur et le passage du temps trouve un pouvoir consolateur dans l'observation du paysage puisque si l'homme est périssable, la nature est éternelle (« antique murmure » vers 7 et 8). Elle reste également fidèle à elle-même et à travers elle le poète peut revivre le passé comme le montre le choix du passé composé « a bercé » vers 8. Tout ceci rappelle le célèbre poème de Lamartine, «
Le Lac » et ces célèbres vers : « Ô temps suspends ton vol, et vous heures propices suspendez votre cours ».
3. La Nature est témoin des amours passées du poète
Le poète se plait à souligner le lien étroit entre le cadre de la forêt et sa bien-aimée ; constamment évoquée mais jamais nommée. Quelques mots suffisent à dire sa présence et à ressusciter le passé : « ces pas argentins », « son bras », « ces causeries », « ma maîtresse ».
La célébration de la forêt prend tout son sens puisqu'elle témoigne encore de la présence de sa bien-aimée : le sable muet fait revenir le souvenir du bruit de ses pas, les sentiers évoquent leurs promenades passées « ces sentiers amoureux » : un hypallage (= déplacement d'adjectif ; il qualifie un nom alors qu'il devait en qualifier un autre). Il donne l'impression que ces sentiers sont encore tout vibrants des amours des deux amants. Ainsi,
le poète en revenant sur les lieux de l'amour perdu, retrouve plus que le souvenir. Il retrouve sa jeunesse et comme l'essence même de ce passé heureux, puisqu'il a l'impression que sa maîtresse est encore vivante.
Conclusion
Dans cet extrait du poème
Souvenir, Alfred de Musset cherche l'amour perdu au travers d'un pèlerinage sentimental. Son discours, chargé d'émotions détaille les différentes étapes de sa promenade. Il retrouve l'amour perdu grâce à la nature environnante et qui semble dotée d'un pouvoir surnaturel. Il retrouve dans ces paysages familiers les traces de sa jeunesse et d'un amour heureux désormais perdu.
Remarques :
- Inspiration autobiographique très nette (= souvenir).
- Registre élégiaque (variant du registre lyrique) dans un mélange de souffrance et de joie, il fait revivre le passé et permet au poète de sublimer sa douleur.
- Chez Ronsard et Du Bellay, il s'agissait du sonnet : forme fixe, plus rhétorique que lyrique. Avant tout un déploiement de la virtuosité du poète. Chez Musset, la forme utilisée est plus libre, les vers plus longs. Il assouplit la rythmique (= alexandrins, hexasyllabes), les coupes sont moins marquées, vers plus souples et fluides.
- Le vocabulaire est beaucoup plus simple : on a l'impression que le discours du poète romantique s'apparente plus à la parole spontanée et a l'expression des sentiments. On crée ici, l'illusion du naturel, voie plus intime et sincère.
- Le poète de la Renaissance lui ne cherche qu'à briller par la technique. Il a aussi un goût prononcé pour le bucolique.
Texte complet du poème Souvenir de Alfred de Musset
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Lu par Gilles-Claude Thériault - source : litteratureaudio.com
Souvenir
J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir
En osant te revoir, place à jamais sacrée,
O la plus chère tombe et la plus ignorée
Où dorme un souvenir !
Que redoutiez-vous donc de cette solitude,
Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main,
Alors qu'une si douce et si vieille habitude
Me montrait ce chemin ?
Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
Où son bras m'enlaçait.
Les voilà, ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
A bercé mes beaux jours.
Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,
Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas.
Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,
Ne m'attendiez-vous pas ?
Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères,
Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !
Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières
Ce voile du passé !
Je ne viens point jeter un regret inutile
Dans l'écho de ces bois témoins de mon bonheur.
Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille,
Et fier aussi mon cœur.
Que celui-là se livre à des plaintes amères,
Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami.
Tout respire en ces lieux ; les fleurs des cimetières
Ne poussent point ici.
Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
Et tu t'épanouis.
Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour :
Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie
Sort mon ancien amour.
Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ?
Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant ;
Et rien qu'en regardant cette vallée amie
Je redeviens enfant.
O puissance du temps ! ô légères années !
Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets ;
Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées
Vous ne marchez jamais.
Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice !
Je n'aurais jamais cru que l'on pût tant souffrir
D'une telle blessure, et que sa cicatrice
Fût si douce à sentir.
Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées,
Des vulgaires douleurs linceul accoutumé,
Que viennent étaler sur leurs amours passées
Ceux qui n'ont point aimé !
Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère
Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t'a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?
En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l'as dit ?
Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire,
Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur.
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur.
Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle
Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle
Ses regards éblouis ;
Dans ce passé perdu quand son âme se noie,
Sur ce miroir brisé lorsqu'il rêve en pleurant,
Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie
N'est qu'un affreux tourment !
Et c'est à ta Françoise, à ton ange de gloire,
Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,
Elle qui s'interrompt, pour conter son histoire,
D'un éternel baiser !
Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
Et qui pourra jamais aimer la vérité,
S'il n'est joie ou douleur si juste et si certaine
Dont quelqu'un n'ait douté ?
Comment vivez-vous donc, étranges créatures ?
Vous riez, vous chantez, vous marchez à grands pas ;
Le ciel et sa beauté, le monde et ses souillures
Ne vous dérangent pas ;
Mais, lorsque par hasard le destin vous ramène
Vers quelque monument d'un amour oublié,
Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peine
Qu'il vous heurte le pied.
Et vous criez alors que la vie est un songe ;
Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,
Et vous trouvez fâcheux qu'un si joyeux mensonge
Ne dure qu'un instant.
Malheureux ! cet instant où votre âme engourdie
A secoué les fers qu'elle traîne ici-bas,
Ce fugitif instant fut toute votre vie ;
Ne le regrettez pas !
Regrettez la torpeur qui vous cloue à la terre,
Vos agitations dans la fange et le sang,
Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière :
C'est là qu'est le néant !
Mais que vous revient-il de vos froides doctrines ?
Que demandent au ciel ces regrets inconstants
Que vous allez semant sur vos propres ruines,
A chaque pas du Temps ?
Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n'avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
Que le vent nous l'enlève.
Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments
Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
Ce fut au pied d'un arbre effeuillé par les vents,
Sur un roc en poussière.
Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
Et des astres sans nom que leur propre lumière
Dévore incessamment.
Tout mourait autour d'eux, l'oiseau dans le feuillage,
La fleur entre leurs mains, l'insecte sous leurs pieds,
La source desséchée où vacillait l'image
De leurs traits oubliés ;
Et sur tous ces débris joignant leurs mains d'argile,
Etourdis des éclairs d'un instant de plaisir,
Ils croyaient échapper à cet être immobile
Qui regarde mourir !
Insensés ! dit le sage. Heureux dit le poète.
Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœ;ur,
Si le bruit du torrent te trouble et t'inquiète,
Si le vent te fait peur ?
J'ai vu sous le soleil tomber bien d'autres choses
Que les feuilles des bois et l'écume des eaux,
Bien d'autres s'en aller que le parfum des roses
Et le chant des oiseaux.
Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbres
Que Juliette morte au fond de son tombeau,
Plus affreux que le toast à l'ange des ténèbres
Porté par Roméo.
J'ai vu ma seule amie, à jamais la plus chère,
Devenue elle-même un sépulcre blanchi,
Une tombe vivante où flottait la poussière
De notre mort chéri,
De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde,
Nous avions sur nos cœurs si doucement bercé !
C'était plus qu'une vie, hélas ! c'était un monde
Qui s'était effacé !
Oui, jeune et belle encor, plus belle, osait-on dire,
Je l'ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois.
Ses lèvres s'entr'ouvraient, et c'était un sourire,
Et c'était une voix ;
Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,
Ces regards adorés dans les miens confondus ;
Mon cœur, encor plein d'elle, errait sur son visage,
Et ne la trouvait plus.
Et pourtant j'aurais pu marcher alors vers elle,
Entourer de mes bras ce sein vide et glacé,
Et j'aurais pu crier : " Qu'as-tu fait, infidèle,
Qu'as-tu fait du passé ? "
Mais non : il me semblait qu'une femme inconnue
Avait pris par hasard cette voix et ces yeux ;
Et je laissai passer cette froide statue
En regardant les cieux.
Eh bien ! ce fut sans doute une horrible misère
Que ce riant adieu d'un être inanimé.
Eh bien ! qu'importe encore ? O nature ! ô ma mère !
En ai-je moins aimé ?
La foudre maintenant peut tomber sur ma tête :
Jamais ce souvenir ne peut m'être arraché !
Comme le matelot brisé par la tempête,
Je m'y tiens attaché.
Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent ;
Ni ce qu'il adviendra du simulacre humain,
Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
Ce qu'ils ensevelissent.
Je me dis seulement : " À cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle. "
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Et je l'emporte à Dieu !
Alfred de Musset - Poésies nouvelles - 1850