Plan de la fiche sur
El Desdichado de Gérard de Nerval :
Introduction
Les Chimères (1854) de Gérard de Nerval, dont est extrait El Desidichado, sont un recueil de 12 sonnets d'inspiration
romantique mais comptant déjà des traits symboliques (Expression lyrique des sentiments,
goût des extrêmes ; Symbolisme : fin 19ème siècle, association de symboles) publié à la
fin des nouvelles "Les Filles du Feu" dont il est le prolongement.
Le poète est en effet toujours hanté par ses amours perdus, par les mythes et les légendes
et par une interminable quête de lui-même à la recherche de la miséricorde. Ces éléments font du poème El Desidichado un poème d'inspiration romantique.
Gérard de Nerval (1808 - 1855)
Texte du poème El Desdichado
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Lu par René Depasse - source : litteratureaudio.com
El Desdichado
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ? ... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Gérard de Nerval, Les Chimères (1854)
Plan de El Desdichado
Le malheur :
- 1er quatrain : l'affirmation du désespoir
- 2ème quatrain : le désir de miséricorde
Le pardon :
- 1er tercet : l'interrogation sur l'identité
- 2ème tercet : la victoire sur le malheur et la folie
Annonce des axes
I. Un état caractérisé par le manque
1. Manque de bonheur
2. Manque d'amour
3. Manque de vie
II. L'obsession du passé
1. Les personnages du passé
2. Les lieux du passé
3. Les échos du passé
III. La quête d'une personnalité
1. Un poète en rupture d'identité
2. La reconquête
Commentaire littéraire
I. Un état caractérisé par le manque
1. Manque de bonheur
Le champ lexical du malheur est très présent dans
El Desdichado ("inconsolé",
"consolé", "désolé") construit autour
d'une racine latine : "solor" (=apporter un soulagement).
Présence bienfaitrice d'une personne sur qui il peut compter. Le mot mélancolie
marque fortement le texte. Il rappelle le tableau de Dürer. Le titre El Desdichado signifie : "déshérité". Il traduit en effet un manque. On passe de "lui" à "je" et "je" traduit le malheur.
2. Manque d'amour
Le malheur du poète est d'être seul. L'actrice qu'il aimait est morte (Nerval fait référence à l'actrice Jenny Colon dont il était amoureux et qui est morte en 1842), comme le montre la métaphore "Ma seule étoile est morte". Cette métaphore est élogieuse car elle compare l'actrice à une étoile dont l'unicité ("ma seule") montre la valeur.
C'est lui le "veuf", celui qui a perdu son amour. Le terme "veuf" est mis en valeur dans le premier vers, car placé juste après la césure de l'alexandrin.
Repris au vers 3 : allusions aux
femmes qu'il a aimé. L'adjectif "seul" insiste sur le fait que sa vie est entièrement
vide. Aux vers 2 et 3, la solitude ressort. Vers 5 : il est à l'égal d'Orphée,
il est en communication avec les morts. Vers 9 : ce sont des amants malheureux. "Biron" était
un ami d'Henry 4. "Lusignan" est le vrai mari de Mélusine.
Ce sont quatre images de l'amour malheureux.
3. Manque de vie
Références à la mort très importantes. On ne sait si le poète est sorti du monde des vivants : "j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron". Il a gardé des contacts avec les morts. Nerval a perdu sa mère très jeune.
Absence de couleur : "ténébreux", "soleil noir...". L'oxymore "soleil noir" montre que même le soleil n'apporte plus de lumière. La seule couleur présente est le "rouge", couleur de l'enfer.
Sonorités très assourdies, nasales.
II. L'obsession du passé
1. Les personnages du passé
Confusion entre les différentes époques. Nerval était fasciné par le passé et l'aristocratie. Confusion entre la mythologie, l'histoire et le moyen-âge : trois époques => confusion.
Au vers 2 "Le prince d'Aquitaine", fait référence au prince noir (Edouard Plantagenêt) -> 14ème siècle. Le poème compte de noimbreuses allusion à la mythologie ("Phébus", "Achéron"...). "Lusignan ou Biron" font références au Moyen-Age et aux supposées origines périgourdines de Nerval.
"j'ai deux fois vainqueur..." : il s'assimile complètement avec un héros de la mythologie. Il s'imagine que ce héros a existé. L'errance entre le passé et le présent se voit par les temps verbaux. Présent : "je suis", le passé composé : "j'ai rêvé". Il a du mal à se situer.
2. Les lieux du passé
Vers 11, "la grotte" : espace indéfini, "sirène" et "Achéron" : lien avec
la mythologie. "Pausilippe" (vers 6) : Le Pausilippe (Posilipo) est
une colline à l'Ouest
de Naples. Virgile, un grand poète, y serait enterré.
Assonances en [i] pour l'image du bonheur.
3. Les échos du passé
"abolie", "mélancolie" :
rimes féminines ('e' à la fin).
Tout le poème est bati sur des échos sonores. Echos => dédoublements permanents.
Echo sur "sore" ("seul, soleil, désolé"). Echos intérieurs
("fleurs" et "cœur"), ("Pausilippe et Italie"). Jeu sur 'i' et 'r' ("soupir,
lire, cri").
Rythme ternaire des alexandrins : | "Suis-|je A|mour| | ou Phé|bus, | Lusi|gnan | ou Bi|ron ?". |
| 3 | 3 | 3 | 3 |
Multitude de voyelles à partir de la fin du texte => luminosité, retour vers plus de calme.
III. La quête d'une personnalité
1. Un poète en rupture d'identité
Le poème
El Desidichado s'ouvre sur l'affirmation "Je suis", mais montre pourtant un poète en quête d'identité.
"suis-je" (vers 9) est différent de "je suis" (vers 1). Au vers 9, les points d'interrogation et les points de suspension montrent les doutes du poètes.
Cela débouche sur le vide, absence d'identité. Description de sa perte d'identité : "tour abolie". Au vers 9, multiplicité de références contradictoires dont le seul point commun est l'échec.
"nuit du tombeau", "grotte" : lieux fermés.
2. La reconquête
Le poète se reprend. A partir du premier tercet, il va être l'élu de la reine. Allusion à la nouvelle des "Filles du Feu" en Adrienne au vers 10.
Au vers 12, il se montre victorieux "j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron". Cette image de la victoire est optimiste. Ici Nerval fait allusion aux crises de folie qu'il a surmonté (dans la mythologie grecque, l'Achéron est une branche de la rivière souterraine du Styx, dans les enfers).
Importance de la victoire, le luth constellé marqué de désespoir du vers 3 devient la lyre d'Orphée au vers 14. Dans la mythologie grecque, Orphée est un poète et musicien auquel le poète s'identifie. Mais rappelons qu'Orphée est descendu aux Enfers et n'a pas pu ramener sa femme Eurydice dans le monde des vivants, de même que le poète Nerval ne peut ramener l'être aimé dans le monde des vivants.
Le poète croit en ses talents, espoir d'une vie éternelle. Opposition entre un jeu d'ombres et de lumières. Sonorités plus claires, rythme du poème très irrégulier.
Conclusion
Dans le sonnet
El Desdichado, Gérard de Nerval exprime une renaissance. Gérard de Nerval, enfoncé dans son malheur et sa folie, a perdu son identité. Petit à petit, il la reconquiert en retrouvant la lumière et le pardon.