Conclusion : la musique très présente dans ce poème est l'élément qui déclenche les images.
1er quatrain : magie de la musique
2ème quatrain : évasion dans un autre temps
3ème quatrain : perception d'un autre lieu
4ème quatrain : apparition de la dame « femme aimée ou mère »
II. Le déclenchement des images par la musique
Chaque quatrain représente donc une étape nouvelle dans ce parcours qui conduit de l'air, qui concerne l'ouïe à la dame, qui concerne la vue. Dès lors que la musique déclenche les images, celles-ci défilent avec un effet de zoom vers l'élément essentiel : « la Dame ». Le mot puis, adverbe de temps, marque la succession des images « je crois voir s'étendre » les images incertaines vont se préciser au fil des quatrains. Tout se voit et tout se vit au présent comme l'indique le temps des verbes « je crois voir…jaunit, coule... ». L'imagination du poète crée bien des images qui lui permettent de s'évader dans l'espace et le temps.
1. L'image de la nature :
Coteau évoque un paysage lointain, imprécis : fait d'opposition de lignes coteau/ couchant : ces lignes ascendantes/descendantes rejoignent le thème Amour/mort. C'est une image romantique au coucher du soleil, empreinte donc de la mélancolie. La rivière et les fleurs sont des éléments que l'on retrouve dans les dessins d'enfant. Les précisions « château de brique/coteau vert/grands parcs/rivière » évoquent les paysages du Valois qui ont profondément marqué Nerval qui y passa ses toutes premières années, sa petite enfance.
2. L'image du décor :
Château : l'image du décor correspondant au siècle de Louis XIII et la description de ce château répond à l'architecture du XVIIème siècle, « brique à coins de pierres » ce qui correspond à la précision « De deux cents ans mon âme rajeunit ». Mais aussi le décor de l'amour idéalisé, de l'amour courtois. Ce qui correspond à l'époque de Louis XIII ou l'amour courtois et précieux, hérité du Moyen-âge, était très en vogue.
3. Des images colorées :
Chaque strophe a son opposition de couleurs.
Vert # jaune : couleur du printemps et de l'automne (en écho avec funèbre), naissance et mort à l'image même de l'opposition du rêve et du réel/ du passé et du présent/ su souvenir et de l'actuel.
Rouge # blanc : suggestion de couleurs brique = rouge, pierre = blanc. Pureté et de la passion. Couleurs reprisent au vers suivant « rougeâtres » mais qui associe le château à l'église par le terme vitraux. Les vitraux tamisent les couleurs qui sont de ce fait plus douces et correspondent aux caractéristiques de la musique.
« Blonde aux yeux noirs » : a lumière et les ténèbres/ le soleil et la nuit/L'éclat et le mystère est le point d'aboutissement de toutes les autres couleurs, elles sont celle de la Dame.
III. La nostalgie du passé
1. L'image de la Dame : un amour idéalisé
La Dame : image finale. La Dame est inaccessible, « à sa haute fenêtre », pure et lumineuse « blonde », elle paraît comme une statue que l'on vénère comme on le fait dans les églises : les vitraux du château rappellent en effet ceux de églises : la Dame est pour Nerval aussi une sainte ou une fée (-> dernier vers de El Desdichado « les cris de la sainte et les soupirs de la fée »). La dame dans son château, c'est aussi la princesse des univers de contes. C'est d'ailleurs par la formule des contes que commence le poème : « Il est… » mais au présent et non à l'imparfait. Le poète nous entraîne dans un monde merveilleux où le réel importe peu, où tout se mêle le rêve et la réalité, le souvenir et l'imagination. La Dame, objet de la quête amoureuse est lié cependant au mystère et à la mort : « yeux noirs ». Elle appartient à un autre monde « en ses habits anciens ».
2. L'image de la Dame : un visage de mère ?
Nerval dont la mère est morte quand il avait 2 ans a toujours lié au visage des femmes aimées celui de sa mère. La Dame « en ses habits anciens » est située loin dans le temps. L'enfance, la toute petite enfance, peut s'assimiler à ce temps lointain, où tout est confus, à cette « autre existence » dont le souvenir, est vague et imprécis comme l'image de la mère. « Dans une autre existence » serait alors l'existence de l'enfance, et la Dame, la mère à l'origine de la femme aimée que le poète a «déjà vue » et dont il se souvient.
Ainsi « des charmes secrets » prend tout son sens étymologique, de paroles magiques, que l'on ne comprend pas mais qui exerce un pouvoir de fascination, d'envoutement comme la parole d'une mère pour son petit enfant. Ainsi l'air serait la berceuse chantée pour lui seul par sa mère. Le caractère intime, familier et magique de cet air, « pour moi seul » suggère l'intimité de l'enfant et sa mère. Mère disparue comme le suggère l'adjectif funèbre, inaccessible, idéalisée, mais au souvenir envoûtant.
Ainsi ce visage de la mère est lié à la lumière : « blonde » mais aussi aux ténèbres de la mort « yeux noirs ». Les yeux pour les romantiques sont les portes de l'âme ou son miroir. Ce temps lointain implique des « habits anciens » c'est le temps paradis perdu. La mort de la mère inscrit à tout jamais le visage de la femme dans un univers mystérieux, à l'heure du soleil couchant : moment qui annonce la nuit. D'autre part, Nerval peut parcourir différents temps car il croit en la réincarnation des âmes = la métempsycose = on vit plusieurs vies dont on peut garder un vague souvenir.
Conclusion
La musique permet d'accéder à un monde perdu que recrée l'imagination au sens premier de faculté de créer des images. C'est un facteur déclenchant qui agit par associations d'images. Bien-sûr, on n'ignore pas la croyance de Nerval en la métempsycose mais la vie antérieure, quand bien même est-elle ici datée de « deux cents ans » peut se lire comme symbole d'un passé ressenti comme extrêmement lointain, celui de l'enfance et plus largement d'un « ailleurs » cher aux romantiques, paradis perdu que l'on peut revivre grâce à la magie du verbe et à la Fantaisie du poète.