Plan de la fiche sur
la scène 4 de l'Acte II - Dom Juan de Molière :
Introduction
Jean-Baptiste Poquelin (1622-1673), dit
Molière, est un dramaturge, auteur de comédies mais également un comédien et chef de troupe du théâtre classique français.
Il s’est illustré au début du règne de Louis XIV. Ses genres sont les comédies, comédies ballet.
Scolarité chez les jésuites à Paris, et études de droit à Orléans.
La pièce :
Dom Juan a été écrit en 1665. C'est une pièce en 5 actes.
Dom Juan relate la vie d’un personnage infidèle, séducteur et libertin.
La scène 4 est une scène de séduction comique. Caricature du séducteur aux prises avec Charlotte et Maturine.
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Projet collectif - source : litteratureaudio.com
SCÈNE IV - DOM JUAN, SGANARELLE, CHARLOTE, MATHURINE.
SGANARELLE, apercevant Mathurine. Ah, Ah !
MATHURINE, à Dom Juan. Monsieur, que faites-vous donc là avec
Charlotte ? Est-ce que vous lui parlez d’amour aussi ?
DOM JUAN, à Mathurine. Non, au contraire, c’est elle qui me témoignait
une envie d’être ma femme, et je lui répondais que j’étais
engagé à vous.
CHARLOTTE. Qu’est-ce que c’est donc que vous veut Mathurine ?
DOM JUAN, bas à Charlotte. Elle est jalouse de me voir vous parler, et
voudrait bien que je l’épousasse ; mais je lui dis que c’est
vous que je veux.
MATHURINE. Quoi ? Charlotte…
DOM JUAN, bas à Mathurine. Tout ce que vous lui direz sera inutile ;
elle s’est mis cela dans la tête.
CHARLOTTE. Quement donc ! Mathurine…
DOM JUAN, bas à Charlotte. C’est en vain que vous lui parlerez
; vous ne lui ôterez point cette fantaisie.
MATHURINE. Est-ce que…?
DOM JUAN, bas à Mathurine. Il n’y a pas moyen de lui faire entendre
raison.
CHARLOTTE. Je voudrais…
DOM JUAN, bas à Charlotte. Elle est obstinée come tous les diables.
MATHURINE. Vramant…
DOM JUAN, bas à Mathurine. Ne lui dites rien c’est une folle.
CHARLOTTE. Je pense…
DOM JUAN, bas à Charlotte. Laissez-la là, c’est une extravagante.
MATHURINE. Non, non : il faut que je lui parle.
CHARLOTTE. Je veux voir un peu ses raisons.
MATHURINE. Quoi ?
DOM JUAN, bas à Mathurine. Je gage qu’elle va vous dire que je
lui ai promis de l’épouser.
CHARLOTTE. Je…
DOM JUAN, bas à Charlotte. Gageons qu’elle vous soutiendra que
je lui ai donné parole de la prendre pour femme.
MATHURINE. Holà ! Charlotte, ça n’est pas bien de courir
sur le marché des autres.
CHARLOTTE. Ce n’est pas honnête, Mathurine, d’être jalouse
que monsieur me parle.
MATHURINE. C’est moi que monsieur a vue la première.
CHARLOTTE. S’il vous a vue la première, il m’a vue la seconde
et m’a promis de m’épouser.
DOM JUAN, bas à Mathurine. Eh bien ! que vous ai-je dit ?
MATHURINE. Je vous baise les mains, c’est moi, et non pas vous, qu’il
a promis d’épouser.
DOM JUAN, bas à Charlotte. N’ai-je pas deviné ?
CHARLOTTE. A d’autres, je vous prie : c’est moi, vous dis-je.
MATHURINE. Vous vous moquez des gens ; c’est moi, encore un coup.
CHARLOTTE. Le v’la qui est pour le dire, si je n’ai pas raison.
MATHURINE. Le v’la qui est pour me démentir, si je ne dis pas vrai.
CHARLOTTE. Est-ce, monsieur, que vous lui avez promis de l’épouser.
DOM JUAN, bas à Charlotte. Vous vous raillez de moi.
MATHURINE. Est-il vrai, monsieur, que vous lui avez donné parole d’être
son mari ?
DOM JUAN, bas à Mathurine. Pouvez-vous avoir cette pensée ?
CHARLOTTE. Vous voyez qu’al le soutient.
DOM JUAN, bas à Charlotte. Laissez-la faire.
MATHURINE. Vous êtes témoin comme al l’assure.
DOM JUAN, bas à Mathurine. Laissez-la dire.
CHARLOTTE. Non, non il faut savoir la vérité.
MATHURINE. Il est question de juger ça.
CHARLOTTE. Oui, Mathurine, je veux que monsieur vous montre votre bec jaune.
MATHURINE. Oui, Charlotte, je veux que monsieur vous rende un peu camuse.
CHARLOTTE. Monsieur, vuidez la querelle, s’il vous plaît.
MATHURINE. Mettez-nous d’accord, monsieur.
CHARLOTTE, à Mathurine. Vous allez voir.
MATHURINE, à Charlotte. Vous allez voir vous-même.
CHARLOTTE, à Dom Juan. Dites.
MATHURINE, à Dom Juan. Parlez.
DOM JUAN, embarrassé, leur dit à toutes deux. Que voulez-vous
que je dise ? Vous soutenez également toutes deux que je vous ai promis
de vous prendre pour femmes. Est-ce que chacune de vous ne sait pas ce qui en
est, sans qu’il soit nécessaire que je m’explique davantage
? Pourquoi m’obliger là-dessus à des redites ? Celle à qui
j’ai promis effectivement n’a-t-elle pas en elle-même de quoi
se moquer des discours de l’autre, et doit-elle se mettre en peine, pourvu
que j’accomplisse ma promesse ? Tous les discours n’avancent point
les choses ; il faut faire et non pas dire, et les effets décident mieux
que les paroles. Aussi n’est-ce rien que par là que je vous veux
mettre d’accord, et l’on verra, quand je me marierai, laquelle des
deux a mon cœur. (Bas à Mathurine.) Laissez-lui croire ce qu’elle
voudra. (Bas, à Charlotte.) Laissez-la se flatter dans son imagination.
(Bas à Mathurine.) Je vous adore. (Bas, à Charlotte.) Je suis
tout à vous. (Bas à Mathurine.) Tous les visages sont laids auprès
du vôtre. (Bas, à Charlotte.) On ne peut plus souffrir les autres
quand on vous a vue. J’ai un petit ordre à donner ; je viens vous
trouver dans un quart d’heure.
CHARLOTTE, à Mathurine. Je suis celle qu’il aime, au moins.
MATHURINE. C’est moi qu’il épousera.
SGANARELLE. Ah ! pauvres filles que vous êtes, j’ai pitié de
votre innocence, et je ne puis souffrir de vous voir courir à votre malheur.
Croyez-moi l’une et l’autre : ne vous amusez point à tous
les contes qu’on vous fait, et demeurez dans votre village.
DOM JUAN, revenant. Je voudrais bien savoir pourquoi Sganarelle ne me suis
pas.
SGANARELLE. Mon maître est un fourbe ; il n’a dessein que de vous
abuser, et en a bien abusé d’autres ; c’est l’épouseur
du genre humain, et… (Il aperçoit Dom Juan.) Cela est faux ; et
quiconque vous dira cela, vous lui devez dire qu’il en a menti. Mon maître
n’est point l’épouseur du genre humain, il n’est point
fourbe, il n’a pas dessein de vous tromper, et n’en a point abusé d’autres.
Ah ! tenez, le voilà ; demandez le plutôt à lui-même.
DOM JUAN. Oui
SGANARELLE. Monsieur ? comme le monde est plein de médisants, je vais
au devant des choses ; et je leur disais que, si quelqu’un leur venait
dire du mal de vous, elles se gardassent bien de le croire, et ne manquassent
pas de lui dire qu’il aurait menti.
DOM JUAN. Sganarelle.
SGANARELLE. Oui, monsieur est homme d’honneur, je le garantis tel.
DOM JUAN. Hon !
SGANARELLE. Ce sont des impertinents.
Molière - Dom Juan - Acte II, scène 4
Annonce des axes
I. La duplicité de Dom Juan
1. Le double jeu de Dom Juan
2. Le double langage
3. Une attitude contrastée
II. Une scène comique
1. Comique de situation
2. Comique de geste
3. Comique de mots
III. Le contraste social
1. Nobles / paysans
2. Maître / Valet
3. La critique sociale
Commentaire littéraire
I. La duplicité de Dom Juan
1. Le double jeu de Dom Juan
- Il passe d’une femme à l’autre.
- Les deux femmes sont présentes : nécessité d’un choix, risque d’être démasqué, possibilité de
lutte.
- La mise en scène : alternance Mathurine / Charlotte dans les didascalies.
- Il promet la même chose aux deux femmes « une envie d’être
ma femme » ; « voudrait bien que je l’épousasse ».
2. Le double langage
- Utilisation de synonymes pour dire la même chose : « folle » - « extravagante » ; « inutile » - « en
vain ».
-
Périphrases = dit la même chose différemment : « croire
ce qu’elle voudra » ; « se flatter dans son imagination ».
- Conclusion : Dom Juan a toujours la même stratégie.
3. Une attitude contrastée
- Début : Dom Juan dans l’urgence, déstabilisé, beaucoup
de coupures de paroles : « MATHURINE. Quoi ? Charlotte…
DOM JUAN,
bas à Mathurine. Tout ce que vous lui direz sera inutile ; elle
s’est mis cela dans la tête ». Il a une réaction
habile et intelligente.
- Fin : Les femmes se chamaillent et sont naïves, elles ne remettent
pas en question la parole de Dom Juan mais elles le questionnent et il est
piégé : il fuit, en mentant et peu courageusement : « J’ai un petit ordre à donner ; je reviens dans un quart d’heure ».
II. Une scène comique
1. Comique de situation
- Double jeu de Dom Juan : il ment aux deux femmes.
- Double jeu de Sganarelle : lâcheté devant son maître
malgré sa bonté : « Mon maitre est un fourbe » ; « il
n’est point fourbe ».
- Les deux femmes qui se disputent alors que Dom Juan est le responsable. Ce
sont les plus ridicules et les plus naïves.
- Le lecteur ou spectateur, Sganarelle et Dom Juan sont au courant de la mascarade mais pas les deux paysannes.
2. Comique de geste
- Va et vient de Dom Juan dans les didascalies.
- Mise en scène de Mesguich accentue sa duplicité : les femmes sont identiques, comme des poupées.
3. Comique de mots
- Langage populaire « le v’la » ; « Quement donc » : patois d’Ile de France.
- Répétition : Sganarelle sur son maître ; Dom Juan avec les deux femmes ; les deux femmes à Dom Juan.
- Insultes : « que monsieur vous montre votre bec jaune » ; « que monsieur vous rende un peu camuse ».
III. Le contraste social
1. Nobles / paysans
- Niveaux de langues : soutenu/familier : « que je l’épousasse » ; « Le
v’la qui est pour le dire ».
- Manipulation du noble face à la naïveté des paysannes.
- Différence de culture et d’éducation : richesse/pauvreté de vocabulaire.
2. Maître / Valet
- Les appellations mutuelles : « Sganarelle » / « mon
maître » ; « Monsieur ».
- Sganarelle a peu de vocabulaire : il réutilise les mêmes mots
alors que Dom Juan fait des périphrases.
- Relation de domination/peur : changement de propos à l’arrivée
du maître + mise en scène de Mesguich.
3. La critique sociale
- Dom Juan a des privilèges : éducation, intelligence, richesse… et en abuse.
- Critique de l’échelle sociale et de ses inégalités
(philosophie libertine).
- Pouvoir très fort du Verbe (la parole), qui permet de manipuler.
Conclusion