Plan de la fiche sur
les scènes 7 et 8 de l'Acte IV - Dom Juan de Molière :
Introduction
Dans une société française du 17ème siècle
qui tient aux valeurs morales de son époque,
Molière parvient grâce
au ton de la comédie à dresser les maux qui affectent la société de
son époque. Cependant, dans une tragi-comédie telle que
Dom Juan (1665) où le héros éponyme est un libertin aux valeurs iconoclastes,
le dramaturge ne peut se résoudre à accorder la grâce à ce
personnage au risque de choquer l’Opinion Publique. A ce stade de la pièce,
nous nous trouvons dans un point d’accélération de la trame
du fait de l’arrivée de la statue du commandeur chez Dom Juan, pour
lui annoncer sa punition prochaine. Pourtant, malgré la gravité de
la scène, Molière parvient à garder le ton de la comédie.
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Projet collectif - source : litteratureaudio.com
ACTE IV
Scène 7
Dom Juan, Sganarelle, Suite.
Dom Juan
Sais-tu bien que j'ai encore senti quelque peu d'émotion pour elle, que j'ai trouvé de l'agrément dans cette nouveauté bizarre, et que son habit négligé, son air languissant et ses larmes ont réveillé en moi quelques petits restes d'un feu éteint ?
Sganarelle
C'est-à-dire que ses paroles n'ont fait aucun effet sur vous.
Dom Juan
Vite à souper.
Sganarelle
Fort bien.
Dom Juan, se mettant à table
Sganarelle, il faut songer à s'amender pourtant.
Sganarelle
Oui-da !
Dom Juan
Oui, ma foi ! Il faut s'amender ; encore vingt ou trente ans de cette vie-ci, et puis nous songerons à nous.
Sganarelle
Oh !
Dom Juan
Qu'en dis-tu ?
Sganarelle
Rien. Voilà le souper.
Il prend un morceau d'un des plats qu'on apporte, et le met dans sa bouche.
Dom Juan
Il me semble que tu as la joue enflée ; qu'est-ce que c'est ? Parle donc, qu'as-tu là ?
Sganarelle
Rien.
Dom Juan
Montre un peu. Parbleu ! c'est une fluxion qui lui est tombée sur la joue. Vite une lancette pour percer cela. Le pauvre garçon n'en peut plus, et cet abcès le pourrait étouffer. Attends : voyez comme il était mûr. Ah ! coquin que vous êtes !
Sganarelle
Ma foi ! Monsieur, je voulais voir si votre cuisinier n'avait point mis trop de sel ou trop de poivre.
Dom Juan
Allons, mets-toi là, et mange. J'ai affaire de toi quand j'aurai soupé. Tu as faim, à ce que je vois.
Sganarelle, se met à table
Je le crois bien, Monsieur : je n'ai point mangé depuis ce matin. Tâtez de cela, voilà qui est le meilleur du monde. (Un laquais ôte les assiettes de Sganarelle d'abord qu'il y a dessus à manger.) Mon assiette, mon assiette ! tout doux, s'il vous plaît. Vertubleu ! petit compère, que vous êtes habile à donner des assiettes nettes ! et vous, petit la Violette, que vous savez présenter à boire à propos !
Pendant qu'un laquais donne à boire à Sganarelle, l'autre laquais ôte encore son assiette.
Dom Juan
Qui peut frapper de cette sorte ?
Sganarelle
Qui diable nous vient troubler dans notre repas ?
Dom Juan
Je veux souper en repos au moins, et qu'on ne laisse entrer personne.
Sganarelle
Laissez-moi faire, je m'y en vais moi-même.
Dom Juan
Qu'est-ce donc ? Qu'y a-t-il ?
Sganarelle, baissant la tête comme a fait la statue
Le… qui est là !
Dom Juan
Allons voir, et montrons que rien ne me saurait ébranler.
Sganarelle
Ah ! pauvre Sganarelle, où te cacheras-tu ?
Scène 8
Dom Juan, La statue du Commandeur, qui vient se mettre à table, Sganarelle, Suite.
Dom Juan
Une chaise et un couvert, vite donc. (À Sganarelle.) Allons, mets-toi à table.
Sganarelle
Monsieur, je n'ai plus de faim.
Dom Juan
Mets-toi là, te dis-je. À boire. À la santé du Commandeur : je te la porte, Sganarelle. Qu'on lui donne du vin.
Sganarelle
Monsieur, je n'ai pas soif.
Dom Juan
Bois, et chante ta chanson, pour régaler le Commandeur.
Sganarelle
Je suis enrhumé, Monsieur.
Dom Juan
Il n'importe. Allons. Vous autres, venez, accompagnez sa voix.
La statue
Dom Juan, c'est assez. Je vous invite à venir demain souper avec moi. En aurez-vous le courage ?
Dom Juan
Oui, j'irai, accompagné du seul Sganarelle.
Sganarelle
Je vous rends grâce, il est demain jeûne pour moi.
Dom Juan, à Sganarelle
Prends ce flambeau.
La statue
On n'a pas besoin de lumière, quand on est conduit par le Ciel.
Annonce des axes
I. Le burlesque : Sganarelle, valet de la tradition italienne
1. Le comportement du valet
2. La fonction remplie par Sganarelle sur le plan de l'action
II. L'ambigüité : la valeur respective des deux personnages : Qui est le bon ? Qui est le méchant ?
1. Valorisation de Dom Juan par Molière
2. Le commandeur : envoyé de dieu
Commentaire littéraire
I. Le burlesque : Sganarelle, valet de la tradition italienne
1. Le comportement du valet
• Valet de la commedia Dell’ Arte (à l’affut de quelque chose à dérober)
-> burlesque.
• Incite le rire par ses prises de paroles et ses pitreries (« notre repas »).
• D’autant plus que Dom Juan se joue de lui.
• Terrorisé -> drôle. (colère, effrayé, ne veut même plus manger).
2. La fonction remplie par Sganarelle sur le plan de l’action
• Les effets comiques induits par la présence de Sganarelle et son burlesque
dédramatisent la situation (qui prête à l’angoisse).
• Parvient à faire rire les spectateurs venus voir une comédie.
• Sganarelle fait oublier la perversité de son maître.
• Sa peur souligne l’insouciance de son maître, ce qui neutralise
l’effet moralisateur de la visite du commandeur.
II. L’ambigüité : la valeur respective des deux personnages : Qui est le bon ? Qui est le méchant ?
1. Valorisation de Dom Juan par Molière
• Bien qu’il doive être prochainement puni, il est valorisé.
• Certaine intimité partagée avec son valet (confidence) et générosité à son égard,
même s’il se joue de lui.
• Courtois avec le commandeur (ordonne à ses laquais de le « régaler »).
• Insouciance qui apparaît comme du courage : accepte l’invitation
du commandeur sans hésiter.
-> Apparaît en héros.
2. Le commandeur : envoyé de dieu
• Chargé d’exécuter la punition divine.
• Parole laconique : seulement deux répliques.
• Raccourcit la scène -> accélère la trame -> renforcement de la gravité de la situation.
• Paroles denses et solennelles, symboles de la colère divine.
• Propos qui ne peuvent être détournés.
Conclusion
Bien que dans un contexte grave et solennel marqué par la venue du
Commandeur chez Dom Juan, censé effrayer le spectateur, ce denier ne
peut s’empêcher de rire. En effet, Sganarelle, comme à son
habitude, adopte un caractère bouffon neutralisant ainsi toute le sérieux
du moment. Face à un Dom Juan, flegmatique et obstiné, la moindre
action, la moindre parole du valet prête à rire. Cela vient annoncer
le dénouement, dont l’effet tragique de la mort du héros,
en accord avec le ton de la tragi-comédie, sera en grande partie étouffé par
le personnage du valet.