Introduction
La scène précédente montre l’affrontement entre ceux
qui disent « oui » et ceux qui disent « non ». Antigone
a dit « non » parce qu’elle est libre et qu’elle a tous
les droits. Créon n’a que des devoirs car il est roi. Il veut lui
faire comprendre que dans certaines situations dramatiques, on est obligé de
dire « oui ».
Il utilise une
métaphore filée originale, celle de la marine :
quand il y a une tempête en mer, il faut que quelqu’un se dévoue
pour prendre le gouvernail.
Lecture du texte
CRÉON, la secoue soudain, hors de lui.
Mais, bon Dieu ! Essaie de comprendre une minute, toi aussi, petite idiote ! J'ai bien essayé de te comprendre, moi. Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent oui. Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l'eau de toutes parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballotte. L'équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu'à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d'eau douce, pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu'elles ne pensent qu'à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu, alors, qu'on a le temps de faire le raffiné, de savoir s'il faut dire « oui » ou « non », de se demander s'il ne faudra pas payer trop cher un jour, et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d'eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s'avance. Dans le tas ! Cela n'a pas de nom. C'est comme la vague qui vient de s'abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous giffle, et la chose qui tombe devant le groupe n'a pas de nom. C'était peut-être celui qui t'avait donné du feu en souriant la veille. Il n'a plus de nom. Et toi non plus tu n'as plus de nom, cramponné à la barre. Il n'y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ?
Annonce des axes
I. Le roi : celui qui mène la barque
II. Un métier difficile et ingrat
Commentaire littéraire
I. Le roi : celui qui mène la barque
Dans cette partie, Créon se présente comme le capitaine qui mène
la barque au milieu des menaces extérieures.
Antigone reste sur sa position et Créon se met en colère : il commence à perdre
son sang froid « bon dieu ! » « Petite idiote »,
langage familier qu’il n’a jamais utilisé auparavant.
Il fait appel à la compréhension d’Antigone « j’ai
bien essayé de te comprendre moi ! » Mais le passé composé montre
que cet acte est déjà un échec.
La répétition de « il faut » insiste sur l’obligation
d’agir. Pour se faire comprendre, il va utiliser la
métaphore de
la barque (mener la barque : gouverner). Il ne se nomme pas. Il s’exprime
d’une manière générale.
Explication de la métaphore « cela prend l’eau… »
L’eau : crime, bêtise, misère
Le gouvernail est là qui ballotte : personne ne gouverne plus
Les officiers : conseillers, notables
L’équipage : peuple
La situation est catastrophique, le vent siffle : c’est l’anarchie,
on est prêt de la guerre civile et certains essayent de tirer profil de
la situation (notables qui volent, peuple qui pille).
Tout n’est qu’égoïsme et lâcheté et « le
mât craque » : le vocabulaire devient familier « brute » « colère » « crevée » « sauver
sa peau », conséquence de l’égoïsme général.
Chacun ne pense qu’à « ses petites affaires ».
II. Un métier difficile et ingrat
Créon fait appel à la logique d’Antigone : il lui fait
comprendre que dans une telle tourmente, il n’a pas le temps de se poser
des questions, de réfléchir. Il faut agir.
Il continue sa métaphore « on prend le bout de bois ». Elle
est marquée par de nombreux verbes d’actions « prend », « redresse » « gueule » « tirer ».
Créon s’efface. Le sauvetage prime sur le reste : il faut éliminer
tous les opposants à la cité pour le bonheur de celle-ci.
Pour cela, il faut : Etre le plus fort, tirer dans le tas, Montrer son autorité,
Se faire respecter.
La tempête et les éléments déchaînés
montrent qu’on ne peut pas faire de sentiments, le combat est difficile.
Pour Créon, seule Thèbes compte. Il faut la sauver de l’anarchie.
Pour lui, tout sentiment personnel doit disparaître au nom de la citée.
Créon explique dans cette scène sa vision réaliste du
pouvoir : il aime sa cité plus que lui-même.
Il n’a aucune ambition personnelle. Créon fait parti de ses gens
simples et courageux auxquels Anouilh aime rendre hommage.
Conclusion