Plan de la fiche sur
le chapitre 1 de L’Assommoir de Emile Zola :
Introduction
L'Assommoir,
roman naturaliste de
Emile Zola, s'ouvre sur une crise, un drame qui se noue. Un épisode dramatique doublé d'une étude de mœurs (un ménage fragile). Texte à tonalité dramatique parfaitement organisé. Le texte présente d'abord le personnage principal puis le décor. Un décor en accord avec le personnage : décor misérable pour un personnage misérable.
Texte étudié
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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com
Gervaise avait attendu Lantier jusqu’à deux heures du matin. Puis, toute frissonnante d’être restée en camisole à l’air vif de la fenêtre, elle s’était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, il l’envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu’il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu’elle guettait son retour, elle croyait l’avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d’une nappe d’incendie la coulée noire des boulevards extérieurs ; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes, comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte.
Quand Gervaise s’éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n’était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d’une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d’une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d’homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales ; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d’habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du Mont-de-Piété, d’un rose tendre. C’était la belle chambre de l’hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.
Emile Zola - L'assommoir - Extrait du chapitre 1
Annonce des axes
I. La misère morale
1. La temporalité
2. La condition sociale et le désarroi de Gervaise
II. La misère matérielle
1. L'espace extérieur
2. L'espace intérieur
Commentaire littéraire
I. La misère morale
1. La temporalité
Le récit commence-t-il
in media res (= le lecteur est immergé directement dans l’action) ? Oui, mais le premier paragraphe présente une situation en cours.
Temps utilisé : Plus-que-parfait
Quel passé ? Combien de passé ?
- un passé proche : la soirée, placée sous le signe de l'attente, longue attente marquée par "jusqu'à"
- un passé plus éloigné : la semaine écoulée ;
temps utilisé ? Imparfait
Valeur ? l'habitude - d'une situation qui se répète, reprise systématique du même comportement.
Semaine placée sous quel signe ? celui du renvoi, de l'abandon, de la déloyauté de Lantier, de la tromperie
Marquée par quelle tournure grammaticale ? le gérondif "en racontant"
Où le récit débute-t-il vraiment ?
Deuxième paragraphe : temps ? Passé simple.
Quelle durée s'est écoulée entre l'attente de la soirée et le réveil ? 3 heures (2 heures / 5 heures).
Que souligne cette durée ? (idée sous entendue ?) la brièveté du sommeil : Perte très brève de la conscience de son désarroi.
Temporalité donc très marquée, c'est celle qui souligne les étapes de la crise: 8 jours, ce soir-là, l'attente jusqu'à 2 heures, le réveil à 5 heures.
2. La condition sociale et le désarroi de Gervaise
La condition de Gervaise
Le roman est celui de Gervaise. Le roman d'une femme soumise : l'homme possède les droits du plus fort "Il l'envoyait". Lantier inflige un traitement odieux, celui d'un objet dont on se débarrasse. Le pronom complément l' souligne le mépris avec lequel elle est traitée, le verbe ne laisse supposer aucune discussion possible. Abandon qui la laisse assumer seule la charge des enfants.
Comment Lantier justifie-t-il ses absences ? Par des justifications provocatrices car invraisemblables (cherche du travail la nuit). Gervaise ne possède même pas le droit de se fâcher (à moins que ce ne soit la force de ses sentiments qui freine toute velléité de révolte).
Information apportée par le prétexte avancé par Lantier : le statut social, le couple est désuni et démuni. Rivale de Gervaise ? : Adèle = une ouvrière
Le désarroi de Gervaise
Manifestation physique de sa souffrance morale ? Frissons, fièvre, reins brisés.
Passage qui la rend particulièrement pathétique ? Référence à ses pleurs - l'hyperbole "trempée de larmes" repris par "voilés de larmes", le cliché "elle éclata en sanglots". Le participe passé "jetée" reprend l'idée de l'abandon. Le point de vue est celui d'un narrateur omniscient mais c'est aussi celui de Gervaise : la fin du premier paragraphe suggère le soupçon formulé intérieurement. Mais surtout le constat énoncé au début du deuxième paragraphe "Lantier n'était pas rentré". Le style indirect libre permet l'effacement du narrateur donc au lecteur de se sentir plus proche du personnage (ici moyen d'accentuer le pathétique). C'est d'ailleurs à partir de ce regard qu'est perçu l'espace, le milieu dans lequel évolue Gervaise.
II. La misère matérielle
1. L'espace extérieur
La première image est celle du quartier : à partir de la fenêtre, point d'observation privilégié puisque "la chambre qui donnait sur le boulevard".
Jeu d'ombre et de lumière. Univers lumineux : intensité marquée par l'
hyperbole qui met en évidence par contraste l'obscurité des boulevards. La
métaphore "coulée noire" suggère un espace angoissant, reflet et (ou) produit de l'angoisse de Gervaise. Plus bas l'expression "la clarté crue des globes" est descriptive et symbolique puisqu'elle dévoile la rude vérité : la trahison de Lantier.
2. L'espace intérieur
Dans le deuxième paragraphe : description (réaliste?) structure énumérative et nombreux indices permettant de localiser les objets en suivant le regard de l'héroïne.
Une "chambre garnie" : décor misérabiliste : champ lexical de la dégradation, de la déchéance : "lambeau de perse" suppose un passé plus glorieux. Les verbes "tombait", "manquait", "traînait", "pendait" connotent la déchéance. Les substantifs "lambeau", "ficelle", "paille", "fer" marquent la simplicité et le dénuement, un mobilier à la fois répugnant ("table graisseuse") et encombrant, inadapté à un espace étriqué ("lit de fer qui emplissait les deux tiers de la pièce"). Lieu exigu où la présence de la malle (pathétique personnification avec ses "flancs nus") témoigne de la situation précaire des occupants. Les marques de l'usure et de la destruction sont omniprésentes : adjectifs "pot ébréché", "vieux chapeau", "châle troué". Seule note de couleur dans cet univers sordide : le "rose tendre" (et sa dimension romanesque) des "reconnaissances". Première marque de présence et d'ironie du narrateur.
La dernière phrase est de tonalité identique : une chute qui clôt l'extrait.
Conclusion
Une anti-héroïne pour un drame poignant. Gervaise, personnage central, omniprésente dans ce roman (premier titre auquel Zola pensait pour
L'Assommoir : La vie simple de Gervaise Macquard). Cet incipit (au sens large du terme) est aussi le début d'une très longue journée, à la limite du mélodrame. Zola nous décrit ici la médiocrité de la réalité sociale ; début naturaliste (le milieu). Réalité du cadre spatio-temporel. Vérité de la peinture sociale.