L'Assommoir

Emile Zola

Extrait du chapitre 10

De "Le premier hiver, ils firent encore du feu..." à "...l’écrasement du pauvre monde."




Plan de la fiche sur le chapitre 10 de L’Assommoir de Emile Zola :
Introduction
Texte étudié
Annonce des axes
Commentaire littéraire
Conclusion


Introduction

    Ce chapitre de L'Assommoir de Zola est marqué par une accélération de la déchéance. Les Coupeau habitent désormais sous les toits, dans le "coin des pouilleux". Gervaise s'éloigne de sa boutique, comme avalée par le labyrinthe de la maison ouvrière. Troisième repas du roman : celui de la communion (pour la forme) de Nana, et dernière fête. La misère s'installe.

    Texte narratif qui montre la misère et l'angoisse qu'elle génère. Tonalité à la fois pathétique (pitié pour les pauvres) et épique (amplification et simplification dans la représentation de la misère du peuple).
    Le récit progresse en fonction des différentes étapes de la déchéance selon une succession de séquences représentatives de la misère.

L'Assommoir - Zola


Texte étudié


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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com

    Le premier hiver, ils firent encore du feu quelquefois, se pelotonnant autour du poêle, aimant mieux avoir chaud que de manger ; le second hiver, le poêle ne se dérouilla seulement pas, il glaçait la pièce de sa mine lugubre de borne de fonte. Et ce qui leur cassait les jambes, ce qui les exterminait, c’était par-dessus tout de payer leur terme. Oh ! le terme de janvier, quand il n’y avait pas un radis à la maison et que le père Boche présentait la quittance ! Ça soufflait davantage de froid, une tempête du Nord. M. Marescot arrivait, le samedi suivant, couvert d’un bon paletot, ses grandes pattes fourrées dans des gants de laine ; et il avait toujours le mot d’expulsion à la bouche, pendant que la neige tombait dehors, comme si elle leur préparait un lit sur le trottoir, avec des draps blancs. Pour payer le terme, ils auraient vendu de leur chair. C’était le terme qui vidait le buffet et le poêle. Dans la maison entière, d’ailleurs, une lamentation montait. On pleurait à tous les étages, une musique de malheur ronflant le long de l’escalier et des corridors. Si chacun avait eu un mort chez lui, ça n’aurait pas produit un air d’orgues aussi abominable. Un vrai jour du jugement dernier, la fin des fins, la vie impossible, l’écrasement du pauvre monde.

Emile Zola - L'assommoir - Extrait du chapitre 10




Annonce des axes

I. Les étapes de la dégradation
II. L'épopée de la misère



Commentaire littéraire

I. Les étapes de la dégradation

1. Progression temporelle

Noter la rapidité du rythme narratif : le premier paragraphe recoupe deux années (marques temporelles : "le premier hiver... le second hiver..."). Par la suite le temps semble se diluer, la durée est très vague, imprécision : on ne sait à quel mois de janvier il est fait allusion, rien ne prouve qu'il s'agisse de celui du deuxième hiver. Remarque sur les temps verbaux, du passé simple à l'imparfait de répétition. Autre indicateur temporel : "le samedi suivant" l'adjectif ne renvoie à aucune date précise, et l'article défini généralise la période : tous les samedis qui suivent tous les termes de tous les mois de janvier.


2. Progression spatiale

Le premier mot qui situe dans l'espace est le mot "poêle" ("autour du poêle"). Localisation précise qui évoque le foyer au sens propre comme au sens figuré. Le deuxième mot = "la pièce", donc élargissement de la perspective. Le troisième mot = "la maison" dans le sens de logement. Le quatrième = "la maison entière" dans le sens d'immeuble. Donc amplification spatiale et généralisation du malheur comme le montrent les pluriels : "tous les étages", "les corridors" (le singulier "l'escalier" évoquant lui la colonne vertébrale de l'immeuble). A cet espace intérieur, s'oppose l'espace extérieur ("dehors... le trottoir") qui en filigrane amène l'idée de dépossession, d'expulsion.


3. Progression thématique

Le thème général de la misère est développé par l'intermédiaire du thème de la faim, du froid et du terme.

Ces thèmes vont d'ailleurs par couple et selon un crescendo dramatique.

Premier couple : la faim et le froid. Le froid étant l'épreuve la plus difficile comme l'indique l'expression "aimant mieux". Deux objets représentent ces deux épreuves : le buffet et le poêle. Ce dernier subissant une transformation du premier au second hiver : d'aide (il chauffe un peu), il devient opposant (il glace aussi bien moralement que physiquement). Personnifié "mine lugubre", il devient un être maléfique, un ennemi par la froideur de son aspect, une matière inerte "une borne".

Deuxième couple d'épreuve = le froid et le terme. Le plus douloureux étant le terme comme le soulignent les adverbes de quantité "par dessus tout... davantage". Véritable obsession soulignée par la récurrence du mot. Son importance est marquée syntaxiquement par la reprise du présentatif, du démonstratif : "ce qui... ce qui... c'était...". Procédé qui permet de retarder et donc de mettre en évidence le mot fatal ("terme"). Son effet est accentué, dramatisé par l'hyperbole "cassait les jambes" : évocation d'une violence physique pour traduire une souffrance morale. La métaphore de "la tempête du nord" accentue son effet dévastateur.

Deux personnes incarnent le terme, selon une gradation, le père Boche et sa quittance puis Monsieur Marescot. Ce messager de la mort, représentation charnelle du malheur, est assimilé par la métaphore "grandes pattes" à une espèce de charognard : pour payer le terme, ils auraient vendu de leur chair". Dans ce contexte, le "drap blanc" impose l'image du linceul. Il s'agit donc d'une mort morale et les références aux "lamentations" et à "la musique du malheur" rappellent un enterrement.
L'extrait s'achève sur l'idée de l'Apocalypse et la dernière phrase, phrase nominale, par sa structure accumulative mime l'effet dévastateur du fléau qui s'abat sur le peuple entier.


II. L'épopée de la misère

Si la scène est vue par l'intermédiaire d'un narrateur omniscient, le point de vue adopté est aussi par glissement progressif de celui des Coupeau.
Quatre tableaux sont proposés. Les deux premiers proposent une vision centrée sur le poêle. La première phrase présente la première scène, l'élément le plus descriptif est le participe présent "se pelotonnant". Le narrateur montre ainsi les personnages repliés sur eux-mêmes autour de la source de chaleur.

Dans le deuxième volet du tableau les Coupeau ont disparu, seul reste le poêle (qui accède par la personnification au statut de personnage). On peut envisager une focalisation interne, l'objet étant peut-être vu à travers le regard de Gervaise et des siens.

La troisième scène est celle de la venue du propriétaire, un drame vécu, sans conteste, de l'intérieur. En effet, le style indirect libre, la phrase nominale qui exprime douleur et désespoir, le langage populaire, pittoresque ("pas un radis"), la syntaxe relâchée (le pronom démonstratif "ça" qui redouble le sujet) sont autant d'indices. Le propriétaire est vu comme un bourgeois à l'abri du malheur et indifférent aux malheurs des autres, un étranger par son opulence ("bon paletot... fourrées... gants"). Cette scène terrifiante est doublée ("pendant que") par l'évocation en contraste d'un sinistre paysage urbain enneigé.

Le quatrième et dernier volet, offre un plan plus général, celui de la maison ouvrière, d'où s'échappe une immense plainte, l'image d'une misère omniprésente ("à tous les étages... le long des...").





Conclusion

    Ainsi cet extrait de L'Assommoir composé de séquences, donc de scènes simplificatrices, donne à voir la misère du peuple à l'aide de nombreux procédés qui amplifient le pathétique. C'est bien l'épopée du peuple martyre que propose Zola. Le récit de "la simple histoire de Gervaise", étant avant tout la dénonciation des souffrances des humbles.

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