L'Assommoir

Emile Zola

Incipit





Plan de la fiche sur l'incipit de L’Assommoir de Emile Zola :

Introduction
Texte de l'incipit
Annonce des axes
Etude méthodique
Conclusion
Autre proposition d'étude (vidéo)


Introduction

    C’est un extrait constituant l’ouverture de L’Assommoir, c'est à dire qu’il doit tenir compte de certaines contraintes propres à un début de roman (fournir les informations et les repères nécessaires au lecteur). On étudiera donc comment Zola met ici en œuvre les règles de l’incipit romanesque. La nécessité de procurer des indications au lecteur est aussi une exigence caractéristique du roman naturaliste qui veut que le narrateur s’efface et donne l’impression que les faits sont livrés en toute objectivité. Cette ouverture est remarquable par la place qu’elle accorde à la description : celle-ci marque l’effacement du narrateur au profit d’une délégation de point de vue du personnage, de plus, elle crée un horizon au lecteur en laissant attendre un récit conforme aux canons naturaliste. Enfin, cet incipit naturaliste annonce d’emblée une belle place aux éléments symboliques.

L'Assommoir - Zola


Texte de l'incipit


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Lu par Pomme - source : litteratureaudio.com

L'Assommoir - Incipit


Gervaise avait attendu Lantier jusqu'à deux heures du matin.
    Puis, toute frissonnante d'être restée en camisole à l'air vif de la fenêtre, elle s'était assoupie, jetée en travers du lit, fiévreuse, les joues trempées de larmes. Depuis huit jours, au sortir du Veau à deux têtes, où ils mangeaient, il l'envoyait se coucher avec les enfants et ne reparaissait que tard dans la nuit, en racontant qu'il cherchait du travail. Ce soir-là, pendant qu'elle guettait son retour, elle croyait l'avoir vu entrer au bal du Grand-Balcon, dont les dix fenêtres flambantes éclairaient d'une nappe d'incendie la coulée noire des boulevards extérieurs ; et, derrière lui, elle avait aperçu la petite Adèle, une brunisseuse qui dînait à leur restaurant, marchant à cinq ou six pas, les mains ballantes comme si elle venait de lui quitter le bras pour ne pas passer ensemble sous la clarté crue des globes de la porte.
   Quand Gervaise s'éveilla, vers cinq heures, raidie, les reins brisés, elle éclata en sanglots. Lantier n'était pas rentré. Pour la première fois, il découchait. Elle resta assise au bord du lit, sous le lambeau de perse déteinte qui tombait de la flèche attachée au plafond par une ficelle. Et, lentement, de ses yeux voilés de larmes, elle faisait le tour de la misérable chambre garnie, meublée d'une commode de noyer dont un tiroir manquait, de trois chaises de paille et d'une petite table graisseuse, sur laquelle traînait un pot à eau ébréché. On avait ajouté, pour les enfants, un lit de fer qui barrait la commode et emplissait les deux tiers de la pièce. La malle de Gervaise et de Lantier, grande ouverte dans un coin, montrait ses flancs vides, un vieux chapeau d'homme tout au fond, enfoui sous des chemises et des chaussettes sales; tandis que, le long des murs, sur le dossier des meubles, pendaient un châle troué, un pantalon mangé par la boue, les dernières nippes dont les marchands d'habits ne voulaient pas. Au milieu de la cheminée, entre deux flambeaux de zinc dépareillés, il y avait un paquet de reconnaissances du mont-de-piété, d'un rose tendre.
   C'était la belle chambre de l'hôtel, la chambre du premier, qui donnait sur le boulevard.
   Cependant, couchés côte à côte sur le même oreiller, les deux enfants dormaient. Claude, qui avait huit ans, ses petites mains rejetées hors de la couverture, respirait d'une haleine lente, tandis qu'Etienne, âgé de quatre ans seulement, souriait, un bras passé au cou de son frère.
   Lorsque le regard noyé de leur mère s'arrêta sur eux, elle eut une nouvelle crise de sanglots, elle tamponna un mouchoir sur sa bouche, pour étouffer les légers cris qui lui échappaient. Et, pieds nus, sans songer à remettre ses savates tombées, elle retourna s'accouder à la fenêtre, elle reprit son attente de la nuit, interrogeant les trottoirs au loin.
   L'hôtel se trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière Poissonnière. C'était une masure de deux étages, peinte en rouge lie de vin jusqu'au second, avec des persiennes pourries par la pluie. Au-dessus d'une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait à lire entre les deux fenêtres : Hôtel Boncoeur, tenu par Marsoullier, en grandes lettres jaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté des morceaux. Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants; et le vent frais apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban d'avenue, s'arrêtant presque en face d'elle, à la masse blanche de l'hôpital de Lariboisière, alors en construction.

Emile Zola - L'assommoir



Annonce des axes


Etude méthodique

I) L’incipit romanesque

    Le roman commence par "Gervaise", prénom de l’héroïne, pour attirer l’attention du lecteur sur le personnage principal. Zola ne l’appelle que par son prénom pour paraître au lecteur plus familière. Sur la même ligne, on a " Lantier " : le nom est énoncé très vite, ce qui le rend plus familier également. D’emblée, l’héroïne et Lantier nous paraissent comme les personnages importants de l’action, le lecteur entre dans un univers réel, déjà constitué, " in medias res ". Il apparaît une absence de description physique des personnages. Le temps est le plus-que-parfait qui est le temps de l’antériorité (" avait attendu "), ce qui exprime que l’action avait déjà commencé. Gervaise est une femme désespérée : c’est une femme au foyer, fiévreuse et ayant les joues trempées de larmes. Elle se sent abandonnée par Lantier, celui-ci n’étant pas rentré. Il ne paraît pas au début être son mari mais son amant. Ils vivent dans un logement à la ville, qui n’est pas proprement le sien. Zola effectue un gros plan sur les enfants (scène touchante). Tous ces éléments créent une tonalité pathétique et sont une amorce du schéma narratif, car Gervaise doit faire face à l’abandon de Lantier (situation initiale du roman).

    Le détail " brunisseuse " (ouvrière qui polit le métal) montre que c’est un quartier populaire de Paris. Gervaise appartient donc au milieu ouvrier. Le boulevard extérieur est un quartier dangereux de Paris (boulevard de la Chapelle, de Rochechoir). Gervaise vit donc dans un quartier bien réel de Paris que l’on appelle la " Goutte d’or ". " Hôtel boncoeur ", " le grand balcon ", " le Veau à deux têtes ", " Mont de Piété " : tous ces noms donnent une impression de réel.


II) L’incipit naturaliste

    Le narrateur s’efface et propose une délégation de point de vue à son personnage, ici Gervaise. Elle est dans une attente angoissée : elle guette Lantier jusqu’à 2 h du matin, d’où l’importance du champ lexical de la vue (guettait, avoir vu, regarder, yeux). Gervaise regarde l’intérieur de la chambre (focalisation interne), apparaissant sous une vision panoramique, il y a une délégation de point de vue de la part de Zola. A la fenêtre, elle est en surplomb, d’où une situation dominante. Le narrateur s’efface pour faire croire le lecteur, pour faire plus réel. L’écrivain naturaliste veut ancrer le récit dans le réel. D’où l’emploi de modalisteur : " elle croyait l’avoir vu ".

    Gervaise se sent abandonnée, elle est frissonnante et éclate en sanglots. Elle est seule et ne connaît personne car elle vient d’arriver à Paris. Ce statut justifie la description de la chambre. Pour Zola, c’est moins un roman que L’histoire naturelle et sociale d’une famille ouvrière sous le second empire, histoire qu’il veut réelle. Ce roman avec prétention scientifique est fondé sur le principe de l’hérédité. Pour faire réel, il y a un bref retour en arrière pour indiquer le caractère authentique : Gervaise a un passé (c’est une garantie pour le lecteur) exprimé par des noms homographiques de Paris (" Veau à deux têtes ", seul lieu inventé, " Grand balcon ", balcon célèbre qui a existé dans ce quartier de Paris avant 1860. Les masses populaires étaient rejetées à la périphérie de Paris. Zola effectue une description de la chambre pour faire plus réel (misérable, garnie (=meublée) ce qui signifie qu’elle n’a pas de bien propre). Son mobilier est une commode, rois chaise, une table, un lit de fer, une malle. Le champ lexical du manque et du laisser aller apparaissent dans ce texte : " table où le pot à eau ébréché traînait ", " un tiroir manquait ", " un chapeau d’homme enfuit sous des chaussettes sales ". Le laisser aller de Gervaise est présent : elle est en chemise et en savates. Toute cette description s’accompagne du champ lexical de la misère (lambeau, flèche attachée au plafond par une ficelle, châle troué, les dernières nippes).

    L’univers de Gervaise est comparable à celui que Zola a connu (il a vécu dans un hôtel misérable), Zola est donc ici quelque peu metteur en scène : il plante un décor pour montrer comment vivaient les ouvriers. Mais la description zolienne n’est jamais une plate description de la réalité. Zola essaie de concilier le réel et le tempérament (notion scientifique). Néanmoins, il met son talent au service. (" Une œuvre d’art est un point de création vue à travers un tempérament ") La seule couleur est le rose tendre, clin d'œil ironique de Zola semblant optimiste, mais montrant le thème de l’endettement progressif.


III) La description symbolique

    Dans le début du roman, on trouve des images que l’on retrouve dans le reste du roman.

    Il apparaît une opposition entre le rouge (sang, passion, enfer, lit de vin) et le noir (deuil, mort, inconnu). Gervaise vit dans un espace clos dont les barrières sont le boulevard de la chapelle et la poissonnerie. Elle est enfermée entre l’abattoir (qui mène à la mort), l’assommoir (qui mène à l’alcool puis à la mort) et l’hôpital (qui mène à la maladie puis à la mort). Le substantif " muraille renforce cette idée d’enfermement. Zola construit un espace symbolique de la vie de Gervaise et de celle des ouvriers du XVIII° siècle.

    Gervaise vit dans un espace sinistre, dangereux, où l’on tue les gens : c’est un quartier ouvrier , meurtrier, délinquant. L’espace est peuplé de forces hostiles : chez Zola, le monde est animalisé (" flancs vides ", " bêtes massacrées "), le verbe " manger " exprime le destin de Gervaise, elle va être mangée par les autres, être la proie de cet univers.

    Gervaise va s’autodétruire, car elle est victime de sa paresse, de la crasse, de la boue, du linge sale et de la graisse (elle va grossir).

    Dans l’univers du monde ouvriers, les hommes sont des animaux : la masse des ouvriers est comparée à un troupeau, dont Gervaise fait partie. Ce sont des bêtes de somme.

    L’alcool assomme les hommes, il les mène à un univers menaçant, agressif, mangé par la boue.


Conclusion

    L'incipit de l'Assommoir propose la confrontation d’un personnage et d’un espace et contient déjà les images et les thèmes principaux du roman. La qualité de récit va se faire sur les effets d’échos et de rappels. C’est ainsi que dans le chapitre 12, elle va se prostituer, et se retrouver devant l’hôtel Boncoeur (la boucle est bouclée). Cette structure circulaire du récit renforce le caractère clos de l’espace et souligne l’enfermement du personnage dans une situation sans issue autre qu’une mort misérable.


Autre proposition d'étude de l'incipit de L'Assommoir - Emile Zola

Extrait étudié jusqu'à "...bras passé au cou de son frère."

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